A 22 ans, Antoine Balcerzak a la double casquette. Bénévole très actif sur le campus rouennais pour aider les étudiants, il est aussi lui-même dans une situation de précarité. En France, près d’un étudiant sur deux, comme lui, a des difficultés pour se nourrir convenablement. Et un tiers déclare des symptômes dépressifs.
Antoine Balcerzak est en 3ème année de licence d’économie, à l’Université de Rouen mais il aimerait s’orienter vers le social, notamment depuis qu’il a une activité associative importante et chronophage.
Le jeune homme de 22 ans aime aider les autres. Depuis juin 2021, il est défenseur des droits à la Feder, Fédération des Etudiants Rouennais. « Je reçois beaucoup de demandes d’étudiants qui sont en situation de précarité alimentaire. Il y a de plus en plus de messages, depuis la rentrée de septembre, sur cette problématique. »
Recevoir de tels message ne l’étonne pas. Premièrement, parce que la précarité étudiante est très répandue : 46% des étudiants sautent des repas pour des raisons financières, selon une enquête de l’association Linkee. Deuxièmement, parce qu’Antoine est directement concerné : il est lui-même en situation de précarité alimentaire.
« Je dépense l'essentiel de mon budget pour mon logement. Le reste de mes dépenses, c’est surtout pour manger. » Pour vivre, Antoine a « peu d’aide extérieure », et aucun travail pour lui assurer un salaire. Ce n’est pas faute de chercher, mais « de nombreux étudiants sont également en demande », et Antoine aimerait éviter qu’un emploi n’empiète sur ses études.
Alors depuis octobre, l’étudiant est bénéficiaire d’une structure toute nouvelle sur le campus : l’AGORAé. Une épicerie sociale qui a ouvert ses portes en avril 2021. L’aboutissement pérenne de plusieurs campagnes de distribution alimentaire ponctuelles, organisées pendant les différents confinements.
Mise en place par la Feder, l’épicerie propose des denrées alimentaires de bases (pates, café, lait, produits frais…) à 10% des prix du marché, ainsi que des produits d’hygiènes.
Antoine - en plus de donner un coup de main à l’épicerie - fait partie des 181 inscrits. Mais des dizaines d’étudiants sont sur liste d’attente, preuve de la nécessité criante d’une telle initiative. « Avant, je faisais beaucoup de concessions sur ce que je pouvais acheter. J’essayais de rester sur l’essentiel. Aujourd’hui, je retrouve une variété de produits. En quelque sorte, mon pouvoir d’achat est plus fort grâce aux tarifs réduits de l’AGORAé».
Dépenser moins pour manger mieux permet à Antoine de faire des économies et de revivre un peu. « Avant de faire mes courses à l’AGORAé, je faisais beaucoup de sacrifices, ma situation financière était très compliquée. Naturellement, ça joue sur le moral. Car on se pose des questions très simples, sur le transport par exemple, de ne pas pouvoir acheter un ticket de bus. Ou sur le fait de pouvoir manger convenablement. Ça a un poids, car des retranchements obligés comme ceux-ci limitent les sorties. Ça peut avoir un impact social assez important, notamment en tant qu’étudiant. »
Depuis le début de la crise sanitaire, la précarité étudiante est davantage mise en lumière. Alimentaire, donc. Psychologique, aussi. Un sentiment d’isolement a été observé chez bon nombre d’étudiants pendant les confinements. Mais il ne faut pas restreindre cette détresse aux quarantaines. La précarité économique crée, elle aussi, une solitude. « Les personnes qui vont avoir cette situation, et j’en faisais partie, vont moins vouloir sortir, car elles voudront moins dépenser ou s’endetter auprès de leurs amis, et elles vont avoir tendance à rester chez elles. Elles aimeraient sortir mais elles n’en ont pas les moyens. »
Au niveau moral, se demander tous les jours comment manger, c’est compliqué
Justine Grémont, vice-présidente de l'épicerie solidaire AGORAé
L'AGORAé est divisée en deux parties : épicerie d’un côté, lieu de vie de l’autre. Au pied des rayons des riz et de chocolat en poudre, on retrouve quelques fauteuils et canapé : un espace de détente et de travail, un lieu d’échange, d’ateliers, pour se retrouver. Justine Gremont, responsable de l’AGORAé, ne s’attendait pas à ce qu’autant d’étudiants soient dans cette situation. « Au niveau moral, se demander tous les jours comment manger, c’est compliqué, explique Justine. Ces personnes isolées socialement n’ont plus les ressources pour sortir. C’est aussi pour ça qu’on a cette partie lieu de vie ».
Il y a quelques semaines, des chercheurs de l’Inserm et de l’université de Bordeaux publiaient une enquête sur le « lourd impact de l’épidémie sur la santé mentale des étudiants ». Ses conclusions sont inquiétantes : « les analyses montrent que sur toute la période considérée, les étudiants sont plus touchés que les non étudiants par les problèmes de santé mentale. Ils sont ainsi 36,6 % à déclarer des symptômes dépressifs (contre 20,1 % des non étudiants) et 27,5 % des symptômes d’anxiété (contre 16,9 %). De plus, 12,7 % des étudiants ont rapporté des pensées suicidaires (contre 7,9 % des non étudiants). »