La célèbre boîte de nuit "Bifröst", à Rouen, subit de plein fouet les conséquences de la crise du coronavirus. Le propriétaire des murs envisage de rompre le bail commercial, au grand dam des gérants.
Depuis l'annonce du confinement, le 14 mars au soir, Sylvie et David Vergnory n'étaient pas revenus sur les lieux. Les deux époux, cogérants du "Bifröst", connu de beaucoup de Rouennais sous le nom de "Velvet", boulevard de l'Yser, rouvrent les portes de leur boîte de nuit avec un pincement au cœur. "Notre discothèque est restée telle quelle", lancent-ils jetant un regard tantôt au sol, tantôt aux fils électriques qui pendent.
"On a du ménage à faire car on l'avait fait rapidement avant de fermer, mi-mars." Comme tous les propriétaires de restaurants, de clubs, de bars et de boîtes de nuit, ils ont appris soudainement qu'ils devaient fermer le soir même, alors que les haut-parleurs crachaient encore les morceaux d'un groupe de trash-métal. "On n'imaginait pas que ça durerait autant, se rappellent-ils. On pensait que ça durerait 15 jours maximum."
Mais au fur et à mesure que l'épidémie s'amplifie, le couple prend conscience que leur boîte de nuit ne rouvrira pas de façon imminente. Pas d'activité, mais des factures qui, elles, continuent de courir. Et de s'accumuler. "Aujourd'hui, on a une perte de chiffre d'affaires de 100 000 euros minimum", jauge David. "Et c'est vraiment une estimation basse", tient-il à préciser.
Un gouffre financier qu'ils sont pour l'heure incapables de combler. "On n'a reçu que 1 500 euros par mois d'aide, ainsi que 1 200 euros de l'URSSAF, et 2 000 euros de la région. Et on a dû batailler pour avoir tout ça", assure-t-il. Loin d'être suffisant pour se remettre à flot.
Notre bailleur nous a dit : "Quand est-ce que vous nous redonnez les clés ?"
Une situation financière d'autant plus délicate que le propriétaire des murs réclame, en plus, la rupture du bail commercial. "On a reçu deux commandements à payer", qui correspondent à quatre mois de loyer, soit 20 000 euros. "Sinon, on devra mettre la clé sous la porte au 25 juillet. Notre bailleur nous a dit, grosso modo, que c'était mort pour nous, et nous a demandé : 'Quand est-ce que vous nous redonnez les clés ?'" fustigent-ils.
Mais comment rembourser une telle somme quand on n'a aucune rentrée d'argent ? Les assureurs, mauvaise pioche. "On pensait qu'ils allaient faire un geste, mais mon courtier m'a dit : 'N'y comptez pas, vous n'aurez rien.'" Le couple aurait besoin d'une aide financière de l'État. "On se sent abandonnés. L'État doit nous protéger concernant les baux commerciaux. Mais aujourd'hui, nous n'avons aucune protection", fulmine David Vergnory.
L'aide financière semble donc être l'unique solution qui pourrait les aider à sortir la tête de l'eau. Car rouvrir les boîtes de nuit, lieux dans lesquels la proximité est le maître mot, alors même que le virus continue de se propager, semble difficile. "Il est hors de question de se sentir responsables de la propagation de la Covid-19, de l'apparition de nouveaux foyers épidémiques", refuse-t-il.
"On travaille toutes les nuits depuis 2007. On n'a jamais pris de vacances"
L'hypothèse d'une réouverture au 10 juillet est cependant avancée, mais les conditions d'accueil pourraient être restreignantes. "Vous avez vu la configuration du lieu ? Je ne vois pas comment on pourrait mettre des tables au milieu de la piste de danse." Et de résumer : "On n'est pas un bar ! C'est comme si l'on demandait à un boucher de ne vendre que de la charcuterie du jour au lendemain !"
"Cela peut être une solution pour les boîtes de nuit du sud de la France, car elles peuvent faire danser les gens dehors, avec un accès sur la mer, reconnaît David. Mais nous, à Rouen, vous nous voyez faire danser les gens sur le boulevard de l'Yser ?" ironise-t-il.
Le couple n'est pas très optimiste quant à la saison estivale à venir. Il s'attend notamment à une perte importante de clients. "Les gens ont pris d'autres habitudes de sortie, constate David, amer. Quand je regarde les réseaux sociaux, on s'aperçoit que nos clients et les DJ font des soirées privées, en extérieur, et en intérieur. On se dit pourquoi eux, pourquoi pas nous, alors qu'on sait que le gouvernement nous surveillerait quant aux gestes barrière. Mais aujourd'hui, notre message est clair : on dit stop à ce genre de soirées."
Le couple se sent impuissant face à cette situation. "On travaille toutes les nuits depuis 2007. On n'a jamais pris de vacances", affirme Sylvie. "Et on doit nourrir nos quatre enfants", lâche-t-elle, l'inquiétude dans la voix.