Alors qu'à Nantes un père vient de passer sa troisième nuit en haut d'une grue pour réclamer le rétablissement de son droit de garde, une avocate de Poitiers, Simone Brunet, tient ce faits-divers pour une caricature. "Sur cette question, dit-elle, nous avons besoin de douceur dans la réflexion".
Serge Charnay vient de passer sa troisième nuit en haut de la grue pour réclamer le rétablissement de son droit de garde. Il a décidé de redescendre et de mettre fin à son action ce lundi après-midi à la fin d'une réunion qui se tenait au ministère de la Justice. La ministre de Justice, Christine Taubira et celle de la Famille, Dominique Bertinotti, recevaient l'association "SOS Papa" qui revendique 16.000 adhérents ainsi que d'autres associations de défense des droits des pères.A Saintes, en Charente-Maritime, Il était autour de minuit et demi, dans la nuit de samedi à dimanche, lorsque deux jeunes ont repéré un homme sur le toit d’un immeuble de deux étages. Âgé de 42 ans, il semble que cet homme était décidé à se jeter dans le vide pour demander la révision d’un jugement relatif à la garde de son enfant.
C’est ce qu’il a indiqué aux policiers et aux pompiers venus le secourir avec une échelle. En parlementant avec le désespéré, vraisemblablement dépressif, ils ont réussi à le persuader de redescendre.
Ces affaires reflètent le malaise de certains pères qui ne supportent plus de ne voir leurs enfants qu'au compte-goutte à l'issue d'un divorce. Mais pour Simone Brunet, avocate au barreau de Poitiers et spécialiste du droit de la famille, ces pères en souffrance se trompent de combat. Entretien.
Que vous inspirent ces faits divers à répétition ?
Ce sont des épiphénomènes. Désolée de vous dire qu'ils ne mettent pas le doigt là où ça fait mal. Des parents mécontents de la pauvreté du lien qui les unit à leurs enfants après un divorce, il y en a toujours eu. Mais vous remarquerez qu'il s'agit d'une minorité. Sur cent divorces, nous en avons 10% qui donnent lieu à des contentieux lourds avec des parents qui se déchirent parfois violemment. Dans tous les autres cas la rupture est organisée par la Justice dans l'intérêt des enfants qu'on ne peut pas couper en deux.Tout de même, dans 78% des divorces, la garde des enfants est confiée à la mère...
Mais parce la Justice entérine la volonté des parents ! Et dans la majorité des cas, c'est la mère qui demande la résidence de l'enfant avec l'accord du père. Nous avons des chiffres impressionnants : 3 millions d'enfants ne voient plus du tout leur père au bout de deux ou trois ans après un divorce. Depuis 40 ans on assiste à une explosion des ruptures conjugales. Les femmes ont commencé à travailler, à se prendre en charge financièrement et cette nouveauté a été très déstabilisante pour beaucoup d'hommes en créant des tensions au moment du divorce.
Est-ce que les juges n'attribuent pas la garde des enfants aux femmes par tradition culturelle ?
Non, je crois vraiment que la compétence en matière d'éducation est du côté des femmes. C'est elles qui ont l'expérience maternelle. La travail a temps partiel est majoritairement féminin parce qu'il permet aux femmes de se consacrer davantage à leurs enfants. Même chose pour le congé parental, qui est demandé essentiellement par les femmes. Elles ont donc une sorte de légitimité qui est pris en compte par l'autorité judiciaire.
La résidence alternée, c'est la bonne solution pour les enfants ?
Pas nécessairement. Chaque cas est particulier. C'est vrai que c'est dans l'air du temps mais il ne faut pas que ça devienne une difficulté supplémentaire pour un enfant qui subit déjà les dommages collatéraux d'un divorce. L'éloignement géographique est un handicap : deux chambres, deux parents séparés, deux bandes de copains différentes, c'est très difficile à vivre pour un enfant et ça ne fonctionne que s'il n'y a pas de tension entre ses parents. Il faut que tout le monde soit de bonne volonté. Voilà pourquoi ces manifestations médiatiques (le père en haut de la grue de Nantes-ndr) ne servent à rien. Nous sommes dans un dossier fait de pâte humaine et la réflexion nécessaire sur cette question doit être pensée de manière complexe.Propos recueillis par Bernard Dussol