La CGT, la plus vieille et la première centrale syndicale française, célèbre ses 120 ans. Une commémoration pour ressouder les militants et rehausser son image écornée par une crise sans précédent qui a abouti à la démission de son numéro un Thierry Lepaon.
"L'anniversaire des 120 ans est moins une commémoration qu'un événement qui conjuguera les luttes et le mouvement social au présent et au futur", a affirmé le nouveausecrétaire général, Philippe Martinez, qui lance mercredi les célébrations devant se poursuivre toute l'année.
Née au congrès de Limoges en septembre 1895, par l'unification de fédérations et de bourses du travail, la CGT a connu bien des tourments au cours de son histoire: scission en 1921 (entre CGT et CGT-U), réunification en 1936, nouvelle scission en 1947, les anti-PCF s'en allant construire FO. Après la chute du mur de Berlin en 1989, la centrale est parvenue à éviter un effondrement dans le sillage du PCF.
Mais c'est sur un autre registre, celui de ses "valeurs", qu'est arrivé en octobre dernier le coup de massue: la presse a révélé des affaires liées au train de vie du numéro un Thierry Lepaon.
Après des affrontements fratricides entre ses partisans et ses opposants, l'intéressé a fini par jeter l'éponge en janvier. Son successeur a rassemblé, non sans peine, une majorité. La centrale en est sortie essoufflée.
Les 120 ans tombent à pic pour panser les plaies.
"Cette série de commémoration a été décidée au moment où Thierry Lepaon était en difficulté, dans le but de resserrer les rangs", souligne auprès de l'AFP l'historien
René Mouriaux. "Il s'agit d'une opportunité pour mettre en valeur le passé de la CGT, de prendre de la hauteur".
"On fait appel au passé pour dire que le monument ancien a été et restera solide", renchérit Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du travail.
Mais pour cet analyste, si "la CGT est sortie d'une crise de gouvernance" elle reste en butte à un affaissement électoral structurel, et "devrait s'interroger
sur son orientation et son adaptation".
La centrale n'est pas au mieux de sa forme: tout en restant premier syndicat dans le privé et le public, elle perd depuis plusieurs années du terrain aux scrutins
professionnels, notamment dans ses bastions (SNCF, EDF, Orange, fonction publique) au profit souvent des réformistes dont la CFDT.
Centrale ouvrière par excellence, la CGT peine à attirer les cadres, de plus en plus nombreux dans les entreprises.
Parallèlement, la syndicalisation piétine, à moins de 700.000 adhérents. L'objectif d'un million de cégétistes, un temps fixé par l'ancien dirigeant Bernard Thibault,
ne semble plus à portée.
Contexte politique compliqué
"Le contexte politique n'est pas facile et met la CGT dans l'embarras", estime auprès de l'AFP Rémi Bourguignon, professeur à l'IAE Paris-Sorbonne. La politique actuelle du gouvernement "est plutôt d'inspiration libérale. La CFDT peut l'accompagner, la CGT est bousculée".Depuis son intronisation début février, Philippe Martinez - qui a dans son équipe dirigeante de nombreux responsables membres ou proches du PCF- a opté pour la radicalité
face au gouvernement: il réclame une réduction du temps de travail à 32 heures, fustige le projet Macron et appelle avec FO à une grève nationale le 9 avril.
Mais dans la perspective du prochain Congrès d'avril 2016 - et surtout s'il espère être reconduit - il doit définir une ligne susceptible de rassembler.
La CGT est "extrêmement décentralisée" et son "hétérogénéité est si grande que poser sur la table le débat sur la ligne politique est difficile pour elle", relève
Rémi Bouguignon.
Philippe Martinez "fait face à des problèmes considérables", rappelle René Mouriaux. "Sur le plan interne, il doit dégager des consensus et une volonté de travailler
ensemble, abandonnée depuis des années" et il doit aussi "répondre aux défis posés par la crise et par l'offensive libérale des réformes", souligne ce chercheur.