En Aquitaine, des prêtres et responsables religieux réagissent aux révélations de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Eglise. Tous reconnaissent la responsabilité de l'église et déplorent que la parole des victimes ait été si longtemps réduite au silence.
Bien qu'attendu, le rapport a fait l'effet d'une bombe. Ce mardi matin, Jean-Marc Sauvé, président de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'église (Ciase) a livré le résultat de plusieurs mois de travail. Avec des chiffres terrifiants : entre 1950 et 2019, 330 000 personnes ont fait l'objet de violences ou d'agressions sexuelles commises par des clercs, des religieux ou des laïcs, travaillant dans les institutions de l'Église catholique.
Un prêtre mis en examen dans les Pyrénées-Atlantiques
La déflagration s'est fait ressentir dans toute l'Aquitaine. "Sans doute que personne ne pouvait soupçonner ça, commente Monseigneur Souchu, évêque d’Aire-et-Dax dans les Landes. Vous vous rendez compte le nombre de cas ? Et même s’il n'y en avait eu qu'un seul, c’était déjà un cas de trop."
"On ne s'attendait pas à un chiffre aussi important, c'est inattendu et effrayant", renchérit Mgr Marc Aillet. L'évêque de Bayonne a, comme tous les responsables diocésains, dû se replonger dans ses archives à la demande de la Ciase "Nous avons dénombré 13 prêtres et religieux, qui, entre 1950 et 2010, ont été auteurs de ce genre de crimes et délits, ainsi que 25 victimes connues" , précise l'évêque. Une procédure est toujours en cours dans les Pyrénées-Atlantiques, avec un prêtre mis en examen et placé sous contrôle judiciaire.
"Je n'avais rien vu"
Depuis Bordeaux, le père Jean Rouet a, lui aussi, suivi attentivement la conférence de Jean-Marc Sauvé. Il se dit "surchargé de tristesse". Le sujet ne lui est pas inconnu : le vicaire général du dioscèse de Bordeaux est lui-même en charge d'une équipe locale d'accueil et d'accompagnement des victimes d'abus sexuel. Des cellules mises en place par l'Eglise en 2016, alors que l'institution est éclaboussée par des scandales de pédophilie. "Ce matin, j'avais en tête des visages : ceux de ces victimes qui m'ont fait part des violences subies", poursuit le vicaire bordelais.
Je pense beaucoup à cette jeune fille de 24 ans. Entre l'âge de 4 ans et de 11 ans, elle a été violée par son oncle, qui était prêtre. J'avais moi-même vécu plusieurs années dans la même maison que ce prêtre. Lorsqu'il est décédé, j'ai présidé ses obsèques. Je n'avais rien vu !
Lui aussi a dû compter les victimes et agresseurs sur son diocèse : 33 victimes ont été dénombrées, agressées ou violées par 19 prêtres diocésains. A ce chiffre, il faut ajouter parmi les agresseurs, cinq religieux et deux prêtres, venus en résidence à Bordeaux depuis d'autres paroisses.
Une parole ignorée
Des mots durs ont été posés par Jean-Marc Sauvé, qui a pointé du doigt "une indifférence profonde, totale et cruelle à l'égard des victimes". "Elles ne sont pas crues, pas entendues, et on considère qu'elles ont peu ou prou contribué à ce qui leur est arrivé", a regretté le président de la commission.
L'absence de prise en compte de la parole de l'enfant est en effet au cœur du problème. "Que ce soit dans l’Eglise ou dans les familles, cette parole n’était jamais entendue, déplore Cathie Mollet, membre de la Cellule d’accueil et d’écoute du diocèse de Dax. J’imagine qu’on n’avait pas compris les dégâts. Qu'on n’avait pas vu que ça provoquait une mort intérieure… "
"On n’imaginait pas qu’un abus sexuel et un abus spirituel, c’était quelque chose de très profond. On pensait que ça allait passer avec le temps. On s’est rendu compte qu’être abusé, c’était quelque chose dont on ne pouvait pas sortir", renchérit Mgr Souchu.
Monseigneur Bernard Dubasque est également membre de la cellule d'écoute et d'accueil du diocèse d'Aire-et-Dax. Ses propos condamnent fermement l'attitude de l'Eglise pendant plusieurs décennies. "On n’écoutait pas. Lorsqu'un évêque ou quelqu'un dans la hiérarchie se retrouvait avec un cas comme ça, de qui s'occupait-il ? Du prédateur."
Il se demandait : que vais-je faire de ce prêtre, où vais-je le mettre ?
On ne peut pas le laisser tout seul, donc qu’est-ce que je vais en faire ? La préoccupation des évêques, ce n'était pas la victime. On avait bien sûr de la compassion pour elle, mais, passez-moi l’expression, on avait un prêtre sur les bras.
Des familles qui "préféraient ne pas savoir"
Au-delà de l'église, les familles, elles-mêmes, ont souvent ignoré, ou tenu les victimes au silence. Claude Garabiol, ancienne pédiatre, aujourd’hui membre de la cellule d’écoute des victimes du diocèse d'Aire-et-Dax en atteste : "un enfant victime, c'était un enfant qui allait mettre une déflagration dans la famille. Si c’était vrai, on préférait ne pas savoir. De nombreuses femmes reçues en consultation me disaient qu’elles n’avaient pas été écoutées, en particulier par leur mère", fait valoir la pédiatre.
A Bordeaux, le père Rouet se souvient avec émotion de cette rencontre avec un homme, victime d'un prédateur sexuel. "Cet agresseur, c'était le curé de la paroisse et un grand ami de la famille. A sa mort, il a été enterré dans le caveau familial. A chaque fois que la victime allait se recueillir sur la tombe de ses parents, il savait que son prédateur était là ".
Ce n'est que quarante ans après le décès de l'agresseur que la victime a pu témoigner des violences subies. Le corps du prêtre a été retiré du caveau familial et transféré dans le caveau des prêtres du diocèse. "Tout cela s'est passé en présence de la famille du prêtre, et celle de la victime. Cet événement et la souffrance indicible de cette personne m'ont marqué à vie", souffle le père Rouet.
Vers une nouvelle ère ?
A la fin des années 90, le diocèse de Bordeaux a été le théâtre de l'affaire Gérard Mercury. Cet ancien prêtre, pédocriminel et multirécidiviste, avait tout d'abord officiédans le Var, où il avait été condamné à de la prison avec sursis pour des faits criminels. Il a ensuite été muté en Gironde, sans que le diocèse de Bordeaux ne soit informé de son passé. Gérard Mercury récidivera et se rendra coupable d'agressions sexuelles sur la commune de Léognan.
"Je le confesse avec honte. A cette époque, les responsables des diocèses invitaient d'autres diocèses à accueillir un prêtre, sans leur dire quoique ce soit sur son passé.
Nous-mêmes, ici à Bordeaux, n'avons pas posé de questions. C'était une naïveté coupable", reconnaît le père Jean Houet.
Depui , les temps ont changé : les dossiers des prêtres ont été épluchés, des formations, à destination des animateurs auprès des jeunes, qu'ils soient prêtres ou laïcs, ont été mises en place. Les fameuses cellules d'accueil des victimes ont été réactivées par l'affaire Barbarin, du nom de ce cardinal de Lyon, condamné en première instance pour n'avoir pas dénoncé les agissements pédocriminels d'un prêtre, puis relaxé en appel.
A Aire-et-Dax, comme à Bordeaux, on s'attend désormais à ce que les langues se délient, et les responsables des cellules d'accueil se tiennent prêts à répondre aux signalements, envoyés par mail. En écho à ce mot d’ordre, partagé au sein de la conférence des Evêques de France : "pour faire de l’Eglise une maison sûre, il faut redonner la confiance et la parole."