C'était le 7 janvier 2015. Les attentats contre Charlie Hebdo faisaient douze victimes dont les principaux caricaturistes et journalistes du journal satirique. Une vague de rassemblements avait succédé au drame et à la sidération. En ce triste jour d'anniversaire qui marque les dix ans des attentats de Paris, que reste-t-il de l'esprit "Charlie" en Aquitaine ?
Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi pénètrent dans la rédaction de Charlie Hebdo pour commettre un attentat qui marquera les esprits. Douze personnes meurent sous leurs balles, dont huit membres de la rédaction.
Ce même jour, dans toute la France et en Aquitaine, des rassemblements dans le silence répondent aux balles et à la barbarie. La Place des Quinconces est envahie, noire de monde et pleine d’idéaux. Et un slogan fédérateur et partagé : "Je suis Charlie".
"Ça peut encore arriver"
Ce 7 janvier 2025 au matin, sur la Place des Quinconces, les Bordelais se souviennent de ce moment qui les a marqués à jamais, mais n'en tirent pas les mêmes conclusions.
Pour cette jeune femme, qui indique avoir regardé un documentaire rétrospectif sur les évènements la veille, le souvenir est vif et émouvant, mais les mots sont tranchants.
On a l’impression de vivre comme si de rien n’était aujourd’hui, mais ça peut encore arriver.
Une Bordelaise,interrogée sur les attentats contre Charlie Hebdo
Selon elle, à l'aune des actualités, et des conflits géopolitiques, "on n’est plus très libres, je vois ce qui se passe en Israël et en Palestine ; c’est très compliqué d’exprimer ce que l’on souhaite ici".
Pour ce jeune homme, de l'esprit Charlie, il reste "des mauvais souvenirs". "On n’oublie pas les morts, mais voilà" dit-il avec un certain fatalisme. "On a fait le deuil, on a fait les minutes de silence et on essaye de passer à autre chose, moi, je suis passé à autre chose".
"C’est comme c’était hier."
À Pau ce midi, une petite centaine de personnes se sont rassemblées pour célébrer cet anniversaire, à l'initiative de la Mairie. Le ton est solennel pour le premier adjoint, Jean-Louis Pérès, qui lance une minute de silence, pour "rendre hommage à Charlie Hebdo et ceux qui sont partis atrocement", avant de lancer la Marseillaise.
Présente dans la foule au nom de la "liberté d’expression", car "même si dix ans sont passés, c’est comme c’était hier", dit une Paloise qui se présente comme n'étant "pas lectrice de Charlie", mais insiste "ce n’est pas parce que je n’aime pas qu’ils ne doivent pas exister."
Cette autre manifestante Paloise ne lit pas non plus l'hebdomadaire, mais elle l'a tout de même acheté l'exemplaire anniversaire du jour pour venir au rassemblement. "Je trouvais que c’était indispensable. C’est un combat pour la liberté de presse et toute autre liberté" car dit-elle "On ne peut pas oublier ce qui s’est passé. Ce n’est pas possible".
Charlie, un combat pour la liberté d’expression
À l'IJBA, école de journalisme de Bordeaux, les jeunes étudiants ont en tête ces évènements tragiques. Ils avaient 14 ans pour la plupart, à l'époque des faits, comment ont-ils pensé leur profession à venir à l'aune de ces évènements fondateurs ?
Pour Linda Rousso, en deuxième année de master, "le fait que les journalistes de Charlie Hebdo soient toujours là et se battent toujours aujourd'hui, c’est un espoir pour notre métier et ça donne envie de partager leur combat".
Dans la même promotion, Adrien Voyer, a été marqué à jamais.
On avait 14 ans et on s’est rendu compte de l’importance de la liberté d’expression et de la défendre.
Adrien Voyer,étudiant en journalisme à l'IJBA
Et au-delà de ça, le jeune homme garde cette idée en tête comme une valeur à défendre par-dessus tout, "je pense que cet épisode de Charlie fait qu’on a à cœur de nourrir ce combat pour la liberté d’expression. "
Mais, un exemplaire de Charlie Hebdo en main, il déplore un chiffre qui apparaît en une de l'hebdomadaire "76% des Français sont pour la liberté de caricaturer", avant de le commenter. "Je trouve que ce chiffre est encore trop faible et il montre que la liberté d’expression est encore fragile en France. D’où l’importance de la défendre."
Les dessins de presse toujours critiqués
Le 7 janvier 2015 sont abattus par les frères Kouachis, entre autres, les caricaturistes de l'hebdomadaire satirique, Charb, Tignous, Cabu et Wolinski. Meurt, ce jour-là, leur talent, mais pas leur art.
Dix ans après, Mika, dessinateur de presse, revient sur cet évènement tragique et ce qui s'en est ensuivi. "Heureusement, il ne s’est pas reproduit des actes meurtriers comme ceux-là, mais il y a beaucoup de censure malgré tout".
Une censure que dénonce aussi Kak, président de l'association Cartooning for Peace, réseau international dessinateur qui défend la liberté d’expression. Car dit-il, "Le vrai changement pour les dessinateurs de presse, en tout cas en France, c'est avant tout la notoriété subite et complètement inattendue qui s’est projetée sur ce métier avec un des aspects négatifs". Et sous le feu des projecteurs des réseaux sociaux, "On a une partie du public qui est très vigilante sur ce qu’on va sortir comme dessin et aussi cette relation très étrange qui se fait quasi automatiquement entre le dessin de presse et les religions, notamment l’islam."
Une mise en lumière de ce métier qui le place automatiquement sous les assauts de la critique. De fait, une partie de la "majorité silencieuse qui ne s’exprimait pas", s’exprime aujourd’hui sur les réseaux sociaux "souvent avec des menaces", insiste le défenseur du dessin de presse et d'opinion.
Parfois, vous avez de véritables tempêtes qui se déchaînent sur les réseaux sociaux pour un simple dessin qui n’est jamais qu’une opinion soumise au débat.
Kak,président de Cartooning For Peace
Pour Mika, "C’est contre ça qu’il faut lutter pour tenter de garder une liberté d’expression quelle qu’elle soit, qu’elle soit avec des paroles ou avec des dessins."