C'est suite à la diffusion de notre reportage du 5 juillet dernier que le docteur Coulibeuf a débarqué sur la petite île de Charente-Maritime. A notre micro, le maire Patrick Denaud lançait un appel désespéré pour trouver un remplaçant au docteur Laprade, lui-même en arrêt maladie. Malheureusement, le Conseil de l'ordre refuse à ce spécialiste d'exercer la médecine générale.
"J’ai prêté le serment d’Hippocrate il y a maintenant quarante ans et c’est la première fois de ma vie que je suis obligé de rompre ce serment pour des raisons administratives". C'est peu de dire que le docteur Bruno Coulibeuf se retrouve bien dépité sur cette jolie île d'Aix, bien loin du Var où il exerçait, jusqu'à sa retraite.
Anesthésiste-réanimateur, il avait été touché par la situation d'urgence sanitaire que dépeignait notre reportage il y a deux semaines. Le docteur Laprade, tout le monde le connait à Aix et aussi dans toutes les rédactions des médias locaux.
"C'est un peu déprimant"
Cela fait déjà quatre ans qu'il aurait pu faire valoir ses droits à la retraite. Quatre ans que les Aixois savent que leur cabinet médical est en sursis. Et, en juin dernier, malheureusement, le docteur Laprade a dû jeter l'éponge, pour raisons médicales. Juste avant la saison estivale, il y avait urgence.
C'est donc vendredi dernier que le docteur Coulibeuf a quitté Hyères pour prendre le bac de Fouras et s'installer dans le logement de fonction mis à sa disposition. Avec les 2000 résidences secondaires et les quelques 5000 estivants qui viennent visiter l'île quotidiennement, il savait qu'il ne venait pas en vacances en Charente-Maritime. Mais il y a eu comme qui dirait un petit malentendu administratif.
"J’ai eu l’ARS qui m’a accueilli à bras ouvert, j’ai eu la CPAM qui m’a accueilli les bras ouverts, par contre il y a un blocage avec les conseils de l’ordre", se désole le praticien retraité, "je suis en stand-by parce qu’un médecin ne peut remplacer qu'un médecin de même spécialité. Dans mon esprit un peu étriqué, je pensais que qui peut le plus peut le moins, mais apparemment non. Le docteur Laprade ne peut être remplacé que par un généraliste. C’est un peu déprimant parce qu’on entend toujours parler des déserts médicaux et quand quelqu’un vient proposer ses services, on lui met des bâtons dans les roues".
"Ce principe n’a jamais été remis en cause"
Joint par téléphone entre deux consultations, le Président du Conseil de l'ordre des médecins de Charente-Maritime ne comprend pas cette incompréhension et la colère, toute légitime qu'elle soit, du maire de l'île d'Aix. Il précise d'abord que cette décision a été prise par son homologue du Var.
"C’est une décision qui protège à la fois ce médecin, qui ne mesure peut-être pas bien l’étendue des choses. J’en parle en connaissance de causes - cela fait trente que j’exerce de la médecine générale en milieu rural – c’est une spécialité qui est extrêmement difficile et, la deuxième chose, c’est que ça protège la population", explique le docteur Philippe Henry, "mais, de toute façon, d’un point de vue réglementaire, le problème est réglé. S’il y avait une dérogation possible, elle ne se ferait qu’au niveau de l’ordre national et après accord gouvernemental. Vous imaginez la lenteur et la lourdeur du processus et, jusque-là, ce principe n’a jamais été remis en cause".
"Tenir compte de l'insularité"
Reste que Patrick Denaud, le maire de l'île d'Aix, ne décolère pas face à cette situation ubuesque. "J’en appelle au Ministre ou au conseil de l’ordre national pour que cette situation rentre dans l’ordre rapidement. Ce n’est pas acceptable d’avoir un médecin sur une île où il y a des milliers de personnes qui passent tous les jours et que ce médecin ne puisse pas exercer", s'insurge l'édile, "c’est un médecin qui a toutes les qualités pour faire ce remplacement et on ne comprend pas. D’autant qu’il y a un article de loi qui a été voté en décembre dernier qui dit qu’il faut tenir compte de l’insularité et faire de souplesse et d’adaptation dans des cas particuliers et je crois que l’on est dans ce cas particulier".
Malheureusement, cette loi s'inscrit uniquement dans le cadre de problématiques de développement durable et non sur des questions sanitaires. En cas de problème, la seule solution pour les Aixois et les estivants reste donc de faire appel aux pompiers et, si besoin, d'espérer un transfert sur le continent par hélicoptère. Le docteur Coulibeuf, lui, a tenté de faire appel au Conseil national de l'ordre des médecins. Pour l'heure, l'île d'Aix va passer tout l'été sans médecin généraliste.