Depuis le début de l'année, les pêcheurs de La Cotinière font face à un arrivage massif de poulpes dans leurs filets. La criée enregistre un apport qui a été multiplié par dix par rapport à 2020. Professionnels et scientifiques s'interrogent sur ce phénomène.
"Il y a des poulpes de partout !" ; sur le chalutier Yann Devi, le mari de Delphine Nau est reparti en pêche pour deux jours. Mais l'armatrice confirme bien que le céphalopode est une manne inatendue pour bon nombre de professionnels sur le port de La Cotinière. "Ils ont été dans une zone où ils n'allaient plus depuis quelques années. En deux jours, ils peuvent en ramener 6 ou 700 kilos. D’habitude, c’était une dizaine de kilos", explique-t-elle, "il n’y avait pas trop de seiches ni d’encornets, ils avaient du mal à trouver du poisson, donc d’une marée de 2 ou 3000 euros, on passe à des marées doublées. On a eu des étés de plus en plus chauds et est-ce que c’est pour ça qu’ils se reproduisent plus ? On ne sait pas".
"Un gros gisement pour les producteurs et pour nous"
Poulpe du grec polupous veut dire "pieds multiples" et, de fait, multiples ils le sont exceptionnellement cette année. "L’année dernière, on avait dû faire cinq tonnes en tout, " nous dit Bruno Discontigny, directeur adjoint de la criée, "là on est déjà à vingt-cinq tonnes avec encore quelques mois à pêcher. On a multiplié le chiffre d’affaire par cinq". De 15 000 euros de chiffres d'affaires en 2020, le poulpe représenterair d'ores et déjà un apport de 200 000 euros pour le port d'Oléron. Car le céphalopode se vend bien et les mareyeurs se frottent les mains.
"On est sur une cinquantaine de tonnes de débarque tous les jours sur l’ensemble des ports", détaille Eric Rivasseau, directeur commercial chez Ocealliance, "on achète essentiellement pour le marché espagnol, italien et portugais. C’est un gros gisement pour les producteurs et pour nous. C’est la première fois sur les trente dernières années. Et dans le même temps, il n’y en a pas sur le Maroc cette année alors que normalement ils en pêchent énormément. Ca nous permet de bien vendre ici".
"Ça fait 20 ans que je suis marin et, personnellement, je n’ai jamais vu ça"
Mais ce poulpe aux oeufs d'or pose bien des questions. Aux scientifiques d'abord qui n'ont pas l'habitude d'étudier en profondeur cette espèce en particulier. "On a assez peu d’explications en fait", avoue Yohan Weiller, chargé de mission pêche et cultures marines au parc naturel marin de l’estuaire de la Gironde et de la mer des pertuis, "ça peut être lié à des évolutions climatiques. C’est une espèce qui ne vit pas très longtemps, un ou trois ans et qui est très sensible aux changements du milieu. On peut imaginer qu’un été avec abondance de nourriture et un hiver pas très froid puissent jouer dans une telle recrudescence. A l’inverse, un hiver très froid fait que les juvéniles issus de la reproduction survivent moins et on voit moins de poulpes ensuite. C’est très variable".
Des questions, d'autres pêcheurs cotinards s'en posent aussi. Joris Bon est le patron de L'Horizon et il a quelques inquiétudes avant le début de la campagne de saint-jacques dans les pertuis. "Etant coquillard, on fait de la Saint-Jacques à partir du mois de novembre et on a peur que les poulpes rentrent dans les pertuis et mangent les coquilles", excplique-t-il, "c’est notre grosse crainte. Ça fait 20 ans que je suis marin et, personnellement, je n’ai jamais vu ça".
De fait, le poulpe est un sérieux prédateur pour les crustacés et autres coquillages. Savourez donc bien ces tentacules tant qu'il y en a, mais ne vous étonnez pas si crabes et homards soient un peu plus chers sur l'étal de votre poissonnier pour les fêtes de fin d'année.