Dans les années 70, ce receveur des douanes de La Rochelle avait une passion cachée : la caricature. Son fils exhume cette œuvre modeste mais touchante de portraits d'anonymes du quartier de La Pallice dans les Trente Glorieuses.
"Le vieux toubib des dockers" en juillet 74, "une péripatéticienne venue en renfort à La Pallice, parle russe" en mars 74 ou encore "Martine, inspectrice de police" ; Jacques Joyaux avait la méticulosité de sa fonction de receveur des douanes et ne manquait jamais d'annoter et de dater ses dessins dans ses carnets secrets.
Qui aurait pu soupçonner cet austère fonctionnaire de cultiver ainsi cet attrait du dessin et de la caricature. Né en 1916, il est revenu de la guerre avec la tuberculose et c'est en convalescence chez ses parents qu'il prend crayon en main, pour chasser l'ennui. Grâce à son dossier médical, ce Rochelais est finalement posté chez lui en 1959 et, à ses heures perdues, il croque.
"Pendant six ans, il était receveur quai Duperré sur le vieux Port et il prenait le bus, la ligne 1, au moins quatre fois par jour puisqu’il rentrait le midi, et il observait les gens et, de mémoire, il les croquait une fois arrivé au bureau", explique son fils Eric. Psychologue à la retraite. C'est lui a décidé d'exposer le travail de son défunt père à la médiathèque de La Pallice.
"Il n’en parlait jamais. Il faisait ça dans son coin, en catimini" se souvient Eric, "je me rappelle juste qu’il donnait des portraits à certains de ses amis, mais, personnellement, je n’ai jamais parlé de ça avec lui. A sa mort, avec mon frère, on a récupéré deux classeurs de dessins, je me suis rendu compte que c’était une mine et, pendant la crise du Covid, je me suis dit que ça pouvait intéresser les gens".
Le trait est plein d'empathie, moqueur parfois. Les feuilles du carnet ont un peu jauni avec le temps, mais ces modestes croquis sont plus que de simples dessins, c'est pour beaucoup de visiteurs de la médiathèque de La Pallice des souvenirs d'un monde d'avant où la vie était plus simple.
Les plus anciens sourient aujourd'hui en reconnaissant certaines figures rochelaises bien connues à l'époque, comme Fouladou, ce marginal qui arpentait inlassablement les rues de la ville. " Fouladou, c’est celui que les gens se rappellent le plus. Il trainait partout à La Rochelle avec un comportement étrange. Les plus anciens se souviennent de lui, il faisait peur aux enfants, mais il n’a jamais fait de mal à personne".
Malheureusement, il ne vous reste que quelques jours pour aller découvrir l'œuvre de Jacques Joyaux à La Pallice. Eric garde chez lui les plus de 400 croquis de son père et pourquoi pas imaginer les publier dans un livre à l'avenir, comme un héritage précieux à partager avec le plus grand nombre.
"Je reconnais bien le père avec qui j’ai pu être en conflit dans ma jeunesse", déclare-t-il, "un père fuyant, blessé, qui avait eu la tuberculose et qui avait toujours la peur de mourir alors qu’il est mort à 87 ans. Extérieurement, c’était quelqu’un de discret et presque timide, mais je m’aperçois aujourd’hui qu’il avait une vie intérieure riche. Il a mis beaucoup d’énergie et de plaisir à faire ça, avec au fond un côté très humoristique".
L'exposition est encore visible à la médiathèque de La Rochelle jusqu'au 12 mars.