Dans son atelier de La Rochelle, Marine Le Breton, artiste cartographe, redessine les côtes françaises. Un travail qui marie finesse, élégance et rigueur scientifique.
La carte et le territoire, ça sonnerait presque comme le titre d'un roman de Houellebecq. Mais dans l'atelier de Marine Le Breton à La Rochelle, ce qui se dévoile sur les murs n'a rien à envier à la profondeur et à l'intelligence de l'écrivain à succès.
La profondeur, c'est justement un concept qui est au cœur du travail de la graphiste. Les marins appellent ça des bathymétries, l'exact calcul des fonds marins qu'ils rencontrent en s'approchant des côtes. L'intelligence, c'est celle de l'artiste qui, à partir des très officielles cartes du SHOM, le Service Hydrographique et Océanographique de la Marine, donne une nouvelle âme à ces documents indéchiffrables pour le commun des terriens.
De la broderie en série limitée
"C’est des souvenirs d’enfance", confesse Marine, plume en main. "C’était dans les affaires de papa qui naviguait. Il y avait toujours des cartes qui traînaient pas loin dans la maison. Et, un jour, en me promenant sur un sentier côtier en Bretagne, je me suis demandée comment parler de notre territoire en le dessinant à la main sans tomber dans le vintage ou le dessin imaginaire. Je voulais juste un témoignage fidèle."
De fait, les précieuses cartes du SHOM qui indiquent cardinales, bouées d'eaux saines et autres Disposition de Séparation du Trafic (DST) sont illisibles pour le profane. Marine Le Breton, elle, voulait y mettre un peu de poésie.
"La base est scientifique et territoriale", explique-t-elle. "Mon espace de liberté est dans cette broderie graphique que j’ai mise en place. Donc mon but, c’est de rester dans une idée du réel et du scientifique mais avec une touche esthétique faite à la pointe fine. C’est un code que j’ai inventé selon la profondeur des océans. On est vraiment dans l’idée de la brodeuse qui va tisser sa toile avec cette finesse et cette lenteur, le nez collé sur la feuille, cette proximité avec le matériau."
On pourrait appeler cela de la géographie onirique. Une obsession en tout cas pour celle qui ne se lasse pas de réinventer cet espace si particulier que l'on nomme estran. Les marins le redoutent plus que tout. Un espace de tous les dangers où affleurent rochers et bancs de sable. Les terriens, eux, hésitent parfois à s'y aventurer de peur des marées et des caprices de l'océan.
L’aspect technique et scientifique m’intéresse plus que l’aspect esthétique.
Marine Le Breton, artiste cartographe
"Tout ce qui est côtes bretonnes ou même le Cotentin, il y a vraiment une idée de méandres avec des côtes escarpées, beaucoup de rochers et des fonds très différents", détaille la graphiste. "La terre se dessine toute seule. Alors que par chez nous, le littoral est un petit peu plus rectiligne, plus doux. Par contre il y a des estuaires, la Gironde, la Seudre, la Charente qui sont des lieux à part entière plutôt intéressants."
Penchée sur sa table à dessin, donc, Marine brode. Plus récemment, elle a aussi délaissé la pointe fine pour le feutre. L'idée reste la même, mêler géographie et poésie.
Je voudrais aussi explorer les lacs de montagne ou les canaux fabriqués par l’homme, toutes ces techniques, ces ponts, ces écluses et les décrire graphiquement.
Marine Le Breton, artiste cartographe
Je voudrais aussi explorer les lacs de montagne ou les canaux fabriqués par l’homme, toute ces techniques, ces ponts, ces écluses, les décrire graphiquement, je pense qu’il y a un intérêt dans tout ça. En fait, l’aspect technique et scientifique m’intéresse plus que l’aspect esthétique. Les scientifiques se soucient généralement un peu moins de la manière de le représenter et, inversement, les artistes vont moins se soucier de la technique, mais la réunion des deux est intéressante."
Exposition à La Pallice
Dans le hall d'accueil de la Maison du Port à La Pallice, Marine Le Breton a profité de l'espace pour exposer de grands formats. On y découvre des originaux mais aussi des tirages limités, numérotés et signés. Une exposition qui s'adresse aux professionnels du port de commerce comme aux non avertis.
"Ces cartes-là ont intérêt à être vu par le plus grand nombre et dans les endroits les plus diversifiés. Quand la Maison du Port m’a invité à exposer ici, ça m’a forcément plu puisqu’on est sur le domaine maritime avec des professionnels de la mer qui côtoient ces cartes de navigation au quotidien et ça touche aussi des gens qui ne sont pas dans ce milieu-là et qui vont découvrir mon travail."
Alors si vous vous promenez jusqu'au bout du boulevard de la Soif à La Pallice, n'hésitez pas. La Maison du Port vous invite à un délicat voyage immobile au pays de Marine Le Breton.
Reportage de Sophie Wahl, Valentin Gouriou et Sandy Renault