Les tensions ne cessent de monter autour de la question de la gestion de l'eau à usage agricole. Nouvel exemple en Charente-Maritime, où le domicile du vice-président de l'antenne locale de France Nature Environnement a été saccagée par des agriculteurs revenant d'une manifestation à La Rochelle. Il porte plainte.
Cela fait plusieurs semaines que Nature Environnement 17, l'antenne départementale de France Nature Environnement, alerte la préfecture sur les violences subies par ses adhérents. Ce mercredi 22 mars, son vice-président a vu son domicile saccagé - pour la seconde fois - par des agriculteurs de la FNSEA. Avec l'association, il dénonce "des violences qui n'ont plus rien à voir avec une vie démocratique". Il appelle l'État à intervenir "urgemment" avant que la situation ne dégénère.
Des dérives en marge de la manifestation de la FNSEA à La Rochelle
Le 22 mars, à l'appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, 140 tracteurs se sont retrouvés dans les rues de La Rochelle. En colère, les centaines d'agriculteurs présents étaient venus demander de continuer à pouvoir utiliser des pesticides en l'absence de solution de remplacement et de continuer à pouvoir irriguer. Devant la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM), ils déversent des pneus, du plastique, des cagettes... Ils assuraient, auprès de nos confrères de France Bleu, avoir gardé des "'munitions' [...] qu'ils devraient laisser derrière eux en quittant l'agglomération de La Rochelle".
Ils ont tenu promesse. Sur le chemin de leur retour, une cinquantaine d'agriculteurs ont laissé des pneus, des tuyaux d'irrigation et du fumier. Mais pas n'importe où.
La maison du vice-président de Nature Environnement 17, Patrick Picaud a été ciblée, à La Laigne. Vers 17 heures, plusieurs tracteurs ont débarqué pour déverser le reste des déchets, taguer le muret d'insultes homophobes et jeter des pierres sur la résidence.
Mais pas seulement, comme en témoigne Patrick Picaud : "Le pire, ce sont des gens qui arrivent à ce stade de lâcheté. Venir menacer, insulter, agresser physiquement une femme, c'est monstrueux." Choquée, la femme du vice-président de l'association environnementale aurait subi des jets de pneus. "Je suis habitué à l'intimidation, il y a eu des menaces et même des menaces de mort, mais là ça commence à devenir grave", continue-t-il.
"La monnaie de sa pièce"
Joint par téléphone, le président de la FNSEA 17 "ne cautionne pas" ces agissements, mais dit "comprendre les gars". "Ils sont au bout du rouleau, ils ont l'impression d'être les vilains" ajoute Cédric Tranquard, "au bout d'un moment la soupape saute, et voilà ce qui arrive." Et de rappeler que des agriculteurs ont eux aussi été victimes d'intrusion et que des dégradations ont été commises sur des réserves de substitution. "Peut-être aussi que cette personne a bien cherché ce qui lui arrive" conclue-t-il, "la monnaie de sa pièce, c'est exactement le bon terme."
Dans un communiqué, Nature Environnement 17 dénonce ces agissements sur son vice-président dont "la seule tare est d’avoir mis en place une cellule juridique pour faire respecter le droit de l’environnement par des actions en justice".
C'est loin d'être un cas isolé.
Patrick PicaudVice-président de Nature Environnement 17
L'association fait notamment référence à sa plainte envers sept irrigants qui avaient arrosé leurs champs en pleine sécheresse alors que des arrêtés préfectoraux l'interdisaient totalement.
Ces agriculteurs étaient convoqués devant le tribunal de police... le même jour. "Les associations de protection de l'environnement ont toujours agi avec la loi, en essayant de la faire respecter, souligne Patrick Picaud. Malheureusement, en contrepartie, on reçoit des violences qui n'ont plus rien à voir avec une vie démocratique."
La tension entre agriculteurs et associations environnementales ne cesse de monter
Au cœur des tensions, la question de la gestion de l'eau n'en finit plus de diviser. Alors que des manifestations anti-bassines devraient rassembler 7 000 à 10 000 personnes dans les Deux-Sèvres ce week-end, les tensions n'ont jamais été si fortes. Nature environnement 17 ne pointe pas les agriculteurs en tant que tels qui subissent une situation. "La détresse incontestable de la profession est instrumentalisée dans un discours qui ne sert que les lobbies", écrit l'association dans son communiqué.
"C'est très dangereux de s'opposer à une partie de la profession agricole qui pratique la céréaliculture intensive et qui n'a pas vu venir tout ce qui arrive en ce moment, avec l'augmentation des prix de l'énergie, les lois qui commencent à bouger, les demandes de la société et on en arrive à ce genre de résultat", enchaîne Patrick Picaud, le vice-président. Il se dit inquiet de la situation et a porté plainte.
Malgré cela, il appelle l'État à prendre "urgemment" ses responsabilités. "Je vais faire toutes les procédures judiciaires et administratives possibles, mais ça ne suffira pas, assure-t-il. Il faut que quelqu'un intervienne au plus haut niveau de l'État."
En octobre dernier, à l'occasion des manifestations anti-bassines de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait qualifié les militants d'"écoterroristes". Un qualificatif qui ne passe pas auprès des militants écologistes qui pointent une différence de traitement. Nature Environnement 17 ironise : "Va-t-on parler d’agri-terrorisme ?"
Reportage de Sébastien Poirier et Marc Millet