Gabriel Attal, accompagné de deux ministres, était à La Rochelle ce vendredi 10 mai pour assister à la cérémonie de commémoration de la traite et de l’abolition de l’esclavage. Cours d'empathie, label historique ou encore exposition nationale, le Premier Ministre a fait plusieurs annonces, saluées par les principaux acteurs.
C’est la première fois que cette cérémonie se déroule ailleurs qu’à Paris. Ce vendredi 10 mai, La Rochelle accueillait la cérémonie nationale de commémoration de l’abolition de l’esclavage. "Ça fait plusieurs années que nous militons pour une cérémonie décentralisée car la question de la traite, c'est d'abord l'histoire des ports négriers en province où, de la province où l'idéologie raciste s’est nourrie", indique Karfa Diallo, membre de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, élu régional et président du réseau Mémoires & partages.
Comme Bordeaux, la ville a été durant deux siècles, du XVIIe au XIVe, un port négrier. Il s’agissait du second en France, après Nantes. C’est d’ailleurs le théâtre de la première expédition négrière, avec le départ en 1594 de l’Espérance.
Une nourrice nommée "Clarisse"
À l’occasion de cette journée de mémoire, une sculpture réalisée par l’artiste haïtien Filipo a été inaugurée vers 11h. Nommée Clarisse, elle représente une nourrice noire, allaitant un enfant blanc tandis qu’à ses pieds un enfant noir manifeste sa faim. En 2019, le sculpteur avait aussi dévoilé sur les quais de Bordeaux, une statue de Modeste Testas, une esclave affranchie, figure locale de l’esclavage bordelais.
Arrivé vers 11h10 par hélicoptère, le Premier Ministre était accompagné de son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, aujourd’hui président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Les ministres Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, et Sarah El Haïry, ministre déléguée chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles étaient aussi sur place, aux côtés des élus locaux. L’ambassadeur d’Haïti ainsi que Violette, la belle-fille d’Aimé Césaire était aussi conviés. Au total, près de 400 personnes ont assisté à cette cérémonie.
Cours d'empathie et de mémoire
Tout près du port de La Rochelle, Gabriel Attal a débuté son discours par une référence à ce bateau rochelais, l’Espérance. Le premier ministre a tenu à rendre hommage aux marrons, ces esclavages qui ont choisi de fuir. “Je veux saluer le courage de liberté au prix de leur vie. Chaque fuite, chaque départ semait la graine de la liberté et était un coup donné à l’esclavage”, a détaillé le Premier Ministre.
À un an des 25 ans de la loi Taubira, promulguée en mai 2001, Gabriel Attal a annoncé une liste de mesures pour renforcer le devoir de mémoire. Au cœur, l’école et l’apprentissage de cette période de l’histoire. “L’école, c’est l’émancipation par le savoir, le berceau de la tolérance”, a-t-il avancé. Les programmes scolaires ainsi que la formation des enseignants sur cette thématique seront ainsi renforcés dans les mois à venir.
Enclenché depuis une vingtaine d'années, le travail de mémoire est au coeur des actions des associations. "L'éducation est centrale et renforce déjà chaque année son travail auprès des jeunes pour leur permettre de comprendre le passé de leur pays et de lutter, aujourd'hui contre le racisme et l'antisémitisme", explique Karfa Diallo.
Face à “la montée des fièvres”, Gabriel Attal a enjoint les Français à “ne pas tomber dans le piège” en “se forgeant un esprit citoyens”. Pour lutter, le Premier Ministre a décidé de généraliser les cours d'empathie dans les écoles primaires dès la rentrée prochaine.
À Bordeaux comme ailleurs, Karfa Diallo milite pour expliquer l'histoire négrière de la capitale girondine. Pour lui, ce travail de mémoire associé aux prises de conscience du monde actuel est primordial. "Cette histoire est au cœur des sociétés multiculturelles dont nous héritons. Si aujourd'hui, certains tentent de créer une concurrence mémorielle, la mémoire est le seul rempart pour nous sauver et éviter de commettre les mêmes erreurs du passé", assure Karfa Diallo.
Dette envers Haïti
En mai 2001, avec la loi Taubira, la France reconnaissait officiellement l’esclavage et la traite négrière comme crime de l’humanité. En 2026, pour les 25 ans de cette loi, le Premier ministre a demandé la mise en place d’une exposition nationale sur cette période de l’histoire. En parallèle, un label spécifique, demandé par les associations depuis de nombreuses années, sera mis en place pour “reconnaître et identifier les lieux de mémoire de l’esclavage”.
Amorcée par l’ambassadeur d’Haïti qui a évoqué une “dette” de la France envers son pays, la démarche de réparation a également été au cœur du discours de Jean-marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. “La France doit faire un grand geste de fraternité. Cette démarche viendrait réparer une des plus grandes injustices de l’histoire”, a précisé Jean-Marc Ayrault en faisant référence à l’indemnité réclamée par la France à Haïti en 1825.
De son côté, si Gabriel Attal a “dit sa solidarité et son soutien” au peuple haïtien, aucune annonce n’a été faite. “Je veux rappeler la mobilisation de la France pour aider les populations face aux besoins humanitaires, et nous resterons mobilisés”, a indiqué le Premier Ministre.
L'évocation de cette "réparation" envers Haïti a également été saluée par les associations qui espèrent désormais que les actes succèdent aux paroles. "L'insistance commune des élus sur la nécessité de réparer le tord causé par cette rançon exigée par la France est primordiale. Et nous espérons que la France continue de s'engager en Haïti", avance Karfa Diallo.
Semaine de commémoration
À Bordeaux, ces 9èmes journées de commémoration débutaient aussi ce 10 mai. Elles se poursuivront jusqu’au 23 mai prochain, jour de cérémonie de commémoration. Performances, expositions et conférences sont donc organisées pendant près de deux semaines.
La Ville, engagée dans la reconnaissance de ce passé négrier propose depuis plusieurs années des salles dédiées à l’esclavage au sein du Musée d’Aquitaine. Des poses de plaque de rue ont également été réalisées, pour rendre hommage aux figures bordelaises de la lutte de la traite négrière.