La Rochelle : les femmes de marins à l'honneur, un "métier" trop souvent oublié

Le festival "Des Elles à La Rochelle" propose une conférence sur les femmes de marins au XVIIIème siècle. Un rendez-vous au Musée Maritime organisé par l'Association Charentaise des Femmes et Familles de Marins (ACFFM).

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"Mon mari, depuis le temps que vous êtes parti, je suis dans le chagrin de n’avoir point de vos nouvelles. Je suis en grand déplaisir et je ne puis croire que vous êtes dans le monde. Quand vous aurez reçu ces nouvelles, je vous prie de m’écrire ou de vous en revenir ici. J’ai besoin de vous et vous prie d’avoir soin de ceux que vous avez laissés au pays, que nos enfants n’aspirent que de vous voir et vous embrasser, et moi pareillement" : rares sont les documents comme cette lettre des archives de Kew en Grande-Bretagne qui témoignent de la dure vie des femmes de marins. 

Longtemps, les historiens "maritimistes", comme on les appelle, n'avaient dans leur longue vue que des images de capitaine de La Royale en guerre ou des gueules de pêcheurs d'Islande et d'ailleurs. Samedi, au Musée Maritime de La Rochelle, la chercheuse Emmanuelle Charpentier est invitée à mettre à mal quelques poncifs et autres images d'Epinal sur mer. Notamment celle de cette femme éplorée sur un quai, le regard perdu dans l'horizon et qui attend désespérément le retour de son marin de mari. Pourtant, hier comme aujourd'hui, femme de marin, c'est plus qu'un métier, un sacerdoce.

"On dit souvent qu’on a peu de documents sur les femmes, mais c’est faux", explique l'historienne, "le tout c’est de les voir les femmes dans ces documents. C’est une question d’acuité du regard. On les voit dans les archives de justice, dans les archives notariées notamment quand leur conjoint part en mer. A chaque fois qu’on a une absence de conjoint, les femmes apparaissent d’avantage dans les sources".

L'absence, une fatalité subit par toutes celles qui restent à quai. D'aucuns ont tendance à imaginer ces femmes démunies et impuissantes. Grossière erreur. "Ces femmes de marins, elles se retrouvent à tout gérer", poursuit Emmanuelle Charpentier, "c’est un préjugé qui a longtemps prévalu chez les historiens mais, maintenant on revient dessus. La plupart de ces femmes n’ont tout simplement pas les moyens de ne pas travailler. Ne pas travailler, c’est réservé à une élite. Soit de façon licite soit de façon illicite, il faut trouver de quoi gagner sa vie. Non seulement il faut assurer la subsistance de la famille, mais, en plus, les salaires maritimes sont versés de façon très irrégulières et en attendant il faut bien vivre".

"La mer d'abord et la femme après"

L'éducation des enfants, la gestion du foyer, et la survie financière du ménage ; c'est elles qui tiennent la famille à bout de bras et les cordons de la bourse. Sur une île comme Ouessant au XVIIIème siècle, elles sont même plus nombreuses à terre que les hommes et ce sont elles qui décident qui elles vont marier. Sur Oléron, Thierry Sauzeau, historien à l'université de Poitiers, a même retrouvé la trace de femmes embarquées. "Elles dirigeaient les embarcations qui servaient à faire le passage là où il y a des ponts aujourd’hui. On est à une époque où le royaume mobilise la ressource humaine pour sa flotte de guerre, la pêche à la morue ou la traite négrière et les hommes qui naviguent choisissent plutôt ces postes-là plus gratifiants financièrement parlant".

"Les marins, c’est la mer d’abord et la femme après ! Ils sont mariés avec les océans". L'expérience de Marie-Claude Braché est évidemment fort différente. Quoique... La présidente de l'Association Charentaise des femmes et Familles de Marins est à l'initiative de cette conférence. Son époux, aujourd'hui à la retraite, avait comme beaucoup commencé la pêche à 14 ans. En mer d'Irlande ou dans le golfe de Gascogne, il quittait La Rochelle parfois pour près d'un mois. 

"Il faut tout gérer, de A jusqu’à Z, le foyer, les enfants… il faut faire attention au budget parce qu’on ne sait jamais combien ils gagnent quand ils partent en mer" se souvient la Rochelaise, "quand ils font des marées importantes, c’est à nous de mettre de côté pour les mois de mauvaises marées. Et puis on est tout le temps fixé sur la météo. Au départ, j’écoutais mon mari sur le poste maritime, la radio, mais on ne pouvait pas répondre. Après il y a eu le téléphone satellite mais ça coûtait très cher l’unité. Quand on n’avait plus de nouvelles et qu’on voyait qu’il y avait une tempête d’annoncée, c’est la femme de l’employeur qui grâce au fax prenait le relais pour nous dire qu’ils s’étaient mis à la cape ou qu’ils étaient rentrés en Irlande". 

Aujourd'hui, de la Cotinière à Concarneau en passant par la Corse et la Vendée, les femmes de marins se sont regroupées dans une fédération nationale. "A l’origine, l’idée de l’association, c’était de rompre la solitude et d’aider et d’informer et soutenir les femmes de marins. Mais maintenant on travaille surtout pour les jeunes à venir, notamment à propos de la sécurité dans les entreprises. Avant, le chalutiers, ce n’était pas trop ça !"

La conférence d'Emmanuelle Charpentier se déroulera samedi 5 juin à partir de 14 heures au Musée Maritime de La Rochelle. L'occasion de célébrer notre patrimoine maritime et l'histoire de ces femmes trop longtemps restées à quai.

 

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