L'adaptation TV du roman de Walter Tevis, "The Queen's Gambit", remporte un succès planétaire sur Netflix. C'est dans sa maison d'Aytré, près de La Rochelle que Jacques Mailhos a traduit le livre aux éditions Gallmeister. Rencontre avec un célèbre anonyme de la littérature française.

"C'est peut-être un peu par flemme." Sur la toile cirée de la table du salon, un des six chats de Jacques Mailhos est venu voir si le visiteur du jour est du genre caressant. Ronronnement. Dans un concours de nonchalance perdu d'avance face à l'apathique meute de félins endormis aux quatre coins de la pièce, le maître des lieux (et accessoirement des dits animaux) vient donc tout tranquillement de confesser à son interlocuteur une des raisons pour lesquelles il a choisi le métier de traducteur. "Inventer des intrigues, des histoires, attribuer des sentiments à des personnages, ça me fatigue un peu à l’avance. Or je suis super content que d’autres l’aient fait pour moi. Je délègue !"

Pourtant, le Breton de Pabu avait très vite trouvé le chemin des bancs de Khâgne, d'Hypokhâgne et, finalement, de la prestigieuse Ecole Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud. La voie était toute tracée et, après avoir consacré son mémoire de maîtrise à l'"illisible et intraduisible" Finnegans Wake de James Joyce (sic Wikipedia), Docteur Mailhos s'attaquait tout naturellement à un doctorat... qu'il n'achèvera jamais. "J’étais parti sur une trajectoire d’études brillantes, agrégation, doctorat, mais j’ai croisé la traduction. C’était plus concret", s'excuse-t-il presque, encore aujourd'hui. 

J’étais tout jeune thésard, étudiant, chapoté par les grands joyciens français, c’était super. Finnegans Wake offrait un genre de monstruosité fascinante, un livre dans lequel Joyce mélange une centaine de langues différentes pour créer des mots nouveaux et c’est ce mélange des langues qui m’avait attiré. Il devait déjà y avoir un attrait pour la traduction. Mais même avant, je me suis souvenu récemment que quand j’étais au lycée, je m’étais mis à traduire pour mon plaisir et celui de mes copains les textes des chansons de Pink Floyd. Mais je ne me suis pas dit à 18 ans que je voulais être traducteur.

Jacques Mailhos, traducteur

 

"C'est vraiment de la bonne littérature."

Bref, Jacques était, sans le savoir, depuis toujours irrésistiblement attiré par le "dark side of the moon" de la littérature. Un côté obscur qui a dû sidérer ses anciens maîtres joyciens quand ils ont découvert qu'après avoir débuté sa nouvelle carrière en traduisant des grands noms de la sociologie anglo-saxonne, leur élève prenait plaisir à travailler pour les guides Gallimard ou, blasphème universitaire, les bluettes kitsch de la collection Harlequin. "C’était le fond de caisse qui permettait de vivre modestement", plaide-t-il.

Puis, en 2004, il rencontre Oliver Gallmeister qui s'apprête à créer sa maison qui deviendra très vite une référence en littérature américaine. L'éditeur va lui confier des oeuvres aussi exigeantes que celles d'Edward Abbey et son "gang de la clé à molette" ("The Monkey Wrench Gang"), les enquêtes de Lew Archer de Ross Macdonald, mais aussi des classiques comme Twain ou Thoreau. Suivant le conseils d'un agent, Oliver Gallmeister achète, il y a deux ans, les droits pour la France des romans d'un certain Walter Tevis, un américain décédé en 1984. Parmi eux, bien sûr, il y a "The Queen's Gambit". 

De toute évidence, les responsables de la plateforme Netflix ont tout autant adoré l'histoire de Beth Harmon. On ne vous divulgachera pas le parcours chaotique de cette jeune prodige des échecs qui apprend à jouer dans un orphelinat puritain de l'Amérique des années 50 pour, finalement, affronter les grands maîtres soviétiques à Moscou en pleine guerre froide. La série réalisée par Scott Franck (scénariste de Minority Report de Spielberg) et Allan Scott va rencontrer un succès (62 millions de visionnages en moins d'un mois) qui va prendre de cours Oliver Gallmeister. Ce dernier appelle donc Jacques Mailhos en urgence.

L’idée, c’était de le sortir assez vite, donc je m’y suis mis assidument. J’avais vu la série et j’avais adoré. Je ne savais même pas que c’était adapté d’un roman. Du coup, ça me rendait un peu appréhensif. Si j’avais su, je me serai abstenu de la regarder. Par exemple, j’ai traduit "Délivrance" de James Dickey et je n’avais pas voulu voir le film par crainte que cela influence de la traduction. Mais, en fait, avec "Le jeu de la dame", je me suis rendu compte que ce n’est pas parce qu’on a vu le personnage de Beth Harmon tel qu’il est incarné dans la série qu’on va changer le texte de Tevis en conséquence. C’est vraiment de la bonne littérature, de bon niveau. Une écriture très fluide, pas du tout un style qui se regarde ou qui s’écoute écrire. C’est perspicace, profond, attachant. Il arrive à générer un suspens qui fait tourner les pages. C’est quelqu’un qui a envie de raconter une histoire, qui sait camper ses personnages, efficacement et rapidement, sans chichis et qui nous embarque de façon tout à fait prenante.

Jacques Mailhos, traducteur

"La traduction propose une sorte de pacte avec le lecteur."

"Le jeu de la dame" vient donc d'être publié le 11 mars dernier avec un premier tirage à 70 000 exemplaires. Comme toujours, la majorité des lecteurs ne prendra sûrement pas la peine de vérifier le nom du traducteur. Jacques Mailhos a pourtant déjà été salué par ses pairs et reçu les deux plus prestigieux prix de traduction en France, le prix Amédée Pichot de la ville d'Arles et le prix Maurice-Edgar-Coindreau. Cela semble suffire à combler l'égo peu développé de l'homme de lettres de l'ombre. Son bonheur, c'est, après l'imprimatur de son ami éditeur, le sentiment du travail bien fait. 

C’est un vrai choix. C’est comme ça que j’aime écrire. Il faut aimer écrire pour aimer traduire. C’est un exercice de style, une forme d’écriture sous contrainte que j’apprécie. Une bonne traduction, c’est une traduction qui restitue l’œuvre telle qu’elle existait, comme si elle avait toujours été écrite en français. Dans l’idéal, le lecteur ou la lectrice doit lire le roman sans jamais se dire que c’est une traduction. La traduction propose une sorte de pacte avec le lecteur : j’ai traduit ce texte pour que tu puisses le lire, si tu veux bien faire mine que ce texte a toujours été écrit en français, de mon côté, je ferai de mon mieux pour que rien ne vienne troubler cette impression au fil de ta lecture. Quand on se retrouve obligé de mettre une « note du traducteur », on fait s’effondrer ce faux décor. On s’engage donc à ce que tout y soit, le sens, les effets d’humour, d’émotion, de métaphore, de poésie.

Jacques Mailhos, traducteur

Et puis il y a aussi, mais c'est plus rare, des amitiés qui se forgent. "J’ai vraiment beaucoup de chance d’être le traducteur de Benjamin Whitmer qui est une voix de la littérature américaine contemporaine qui est puissante et importante. J’ai traduit quatre de ses romans et d’accompagner cette œuvre, la voir se densifier, s’enrichir, ça, c’est quelque chose". Le chat gratte à la porte du jardin. Jacques Mailhos vous fait délicatement comprendre que cette agréable entretien est sur le point de s'achever. Il a visiblement l'air pressé de retrouver son ordinateur.

L'actualité "Culture" vous intéresse ? Continuez votre exploration et découvrez d'autres thématiques dans notre newsletter quotidienne.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
Nouvelle-Aquitaine
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité