Marie Alanet, 37 ans, a vécu un cancer du sein et un deuil périnatal en l’espace d’un an. Des épreuves douloureuses dont elle souhaite aujourd'hui témoigner pour mettre en lumière et sensibiliser à ces thématiques, notamment pour lever le tabou du deuil d'un nourrisson.
Parler est un besoin viscéral ressenti par Marie Alanet, 37 ans, en rémission de cancer du sein depuis le 2 septembre 2024 qui a vécu cette dernière année sans sa fille, décédée à l’âge de neuf mois. Avec le recul de ceux qui ont bravé les éléments, la charentaise-maritime entend désormais “être une voix parmi les voix” pour faire “résonner son histoire” chez les personnes concernées et que “le drame ne reste pas un drame, mais qu’il participe à lever un tabou et à sensibiliser”.
Un partage d’expérience déjà entamé sur son compte Instagram, devenu un journal de bord et un exutoire salvateur, elle qui n’a pas souhaité prendre de médicament. Pour la Rochelaise, tout commence en 2015 lorsqu'elle apprend qu'elle est porteuse du marqueur génétique BRCA1 de prédisposition au cancer du sein, le plus invasif. C’est le premier signal d’alerte.
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Concrètement, cela signifie que la jeune femme a 70 % de risques en plus de développer un cancer du sein et 55 % à 60 % un cancer des ovaires. “C’est une chance que j’ai pu être au courant. À moins d’avoir un cas dans sa famille, il est difficile de demander ces tests”, explique-t-elle. Débute alors un suivi régulier basé sur un trio d’examens : IRM, échographie et mammographie.
Ablation préventive ?
En 2021, un adénofibrome (nom de la tumeur, ndlr) dans le sein gauche est découvert. Bénin. Puisqu’elle a 30 ans passé, il lui est conseillé de faire une ablation préventive des deux seins pour réduire les risques, mais pas les annuler. Elle cite en exemple Angelina Jolie, porteuse du gène BRCA2 et qui avait passé le cap. Marie Alanet, elle, commence à se renseigner, apprend qu’un seul sein peut être remboursé par la Sécurité sociale, puis n’ira pas plus loin. Pas par manque de volonté, mais parce qu’entre temps, une grossesse inespérée s’est invitée, “magnifique signe de la vie”.
Plusieurs mois auparavant, début 2022, elle avait entamé des démarches au centre de fertilité pour effectuer un bilan. “À 35 ans, célibataire et sans enfant, avec un risque que l’on m’enlève les ovaires et l’utérus, j’ai l’idée de conserver mes ovocytes”, raconte-t-elle. Finalement, c’est la douche froide. Son taux d’hormones est proche de zéro. Même une stimulation ovarienne a peu de chance d’aboutir.
J’ai essayé d’intégrer le fait de ne jamais avoir d’enfant et finalement mon corps a fait l’impossible.
Marie Alanet
Contre toute attente, elle tombe pourtant enceinte au même moment, de manière naturelle. “J’ai essayé d’intégrer le fait de ne jamais avoir d’enfant et finalement mon corps a fait l’impossible”, s’émerveille-t-elle. Malgré les doutes en tant que mère célibataire, elle poursuit sa grossesse, mais le fibrome continue lui aussi sa croissance. Encore bénin, sans quoi elle aurait dû avorter à six mois.
Le bonheur à son comble
Le 23 novembre 2022, sa fille Lyah voit le jour. Après le congé maternité, place au congé parental pour cette éducatrice au foyer de l’enfance qui souhaite “profiter de ces instants précieux”. Jusqu’à ce que quelques mois plus tard, la menace du cancer se rappelle à elle par une douleur au sein de plus en plus importante. Même l’eau de la douche en vient à lui faire mal.
Durant des semaines, des périodes d’attente “longues et difficiles” alternent avec des moments d’annonces “anxiogènes”. Elle voit encore le médecin qui entre dans la pièce et ferme la porte derrière lui. “Là, je me dis que ça ne sent pas bon”, commente-t-elle en se rappelant le moment où elle a appris la présence d’une nouvelle masse.
Quand le couperet tombe
Huit jours plus tard, les mots “tumeur cancéreuse” sont posés, puis il faut encore quelques jours supplémentaires pour apprendre qu’il s’agit d’un cancer du sein triple négatif. Le plus agressif, autonome, avec un fort risque de récidive. “C’est le tourbillon”, assène la maman, dont la fille a alors sept mois. Chirurgien, concertation pluridisciplinaire, protocole et parcours de soins, rendez-vous en tous genres, demande d’affection longue durée, transports VSL, chimiothérapie, immunothérapie... “Pendant une heure, on s’en prend plein la tronche. Je me suis dit que je n’allais jamais y arriver”, confie-t-elle.
Son cancer est de stade 3, soit l’avant-dernier grade. Il doit donc être pris en charge le plus rapidement possible, dès le début du mois d’août 2023. “Un jour après l’autre”, comme conseillé par les professionnels de santé. Au total, lors de cette “course de fond” dont elle a réussi à sortir puisqu'elle est en rémission, elle aura effectué seize cures de chimiothérapie, dix-sept d’immunothérapie et une ablation.
Un traitement qu’elle a bien pensé à arrêter après le 14 septembre, jour où elle a subitement perdu sa fille. Âgée de neuf mois, Lyah est décédée d’une mort inattendue du nourrisson (MIN), ce que Marie n’apprendra que sept mois plus tard, à la suite des résultats d’autopsie. Elle souhaite ainsi alerter sur la première cause de mortalité infantile, dont c’est la semaine nationale de prévention et d’information du 18 au 23 septembre. Marie invite à lire les recommandations de l’OMS pour les enfants jusqu'à deux ans, contre un auparavant.
"Le chaos"
“Ce jour-là, c’est le chaos, le monde qui s’écroule”, relate Marie : “Hier, je lui ai dit au revoir dans les bras de ma maman, le sourire aux lèvres et là, la moitié des cheveux sur la tête, je hurle dans le hall. Pendant une heure, je répète en boucle que ce n’est pas possible”. Puis les violences s’enchaînent : la chambre mortuaire, son corps après l’autopsie, les obsèques et leur coût important de 6 000 euros malgré leur simplicité.
Malgré la définition de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui considère qu’un deuil périnatal concerne la mort en cours de grossesse, à la naissance et jusqu’aux jours qui suivent l’accouchement, Marie Alanet souhaite parler de la mort de sa fille en ces termes au vu de son âge précoce.
De ce vécu qui s’imbrique, Marie Alanet souhaite tirer une forme d’abnégation pour que sa fille continue à vivre à travers elle. Elle a par exemple poursuivi l’offre d’achat d’une maison à Marennes visitée avec Lyah. Une résilience déjà présente avant son décès, lorsqu’elle était confrontée à la maladie : “Plutôt qu’un combat, je voulais la considérer comme quelque chose dans mon corps, qui m’accompagne et que je voulais inciter à évacuer, un colocataire non désiré. Même s’il n’y aura plus jamais d’insouciance”, selon ses mots.
Libérer la parole
Fort heureusement, elle considère que le sujet du cancer du sein, qui touche une femme sur huit, est désormais de plus en plus évoqué dans la société. Preuve en est la notoriété de la campagne de prévention et de communication Octobre rose, qui débutera prochainement avec des marches et des actions solidaires. Marie participe notamment à un concours national de photo, Estée Lauder Companies Pink Ribbon Photo Award 2024. Elle espère également que la parole des proches de malades, qui “ont un rôle clé et souffrent de leur position”, soit davantage recueillie à l’avenir.
Tout comme celle des personnes concernées par la mort d’un nourrisson, qui fait l’objet d’un tabou encore prégnant. Gêne de son entourage, perte de contact avec des proches, absence de toute mention de sa fille, violence administrative… Marie Alanet a été confrontée à ce non-dit.
On a pu me dire "j'imagine que tu es trop mal pour venir". Mais si je m’en sentais l’envie, je culpabilisais parce que dans l’imaginaire quelqu’un qui a un cancer et plus d’enfant ne se sent pas d’aller à un barbecue.
Marie Alanet
Ainsi, quand on lui demande quel conseil elle donnerait à des proches, elle répond : “Essayer de ne pas penser à la place de la personne. On a pu me dire "j'imagine que tu es trop mal pour venir". Mais si je m’en sentais l’envie, je culpabilisais parce que dans l’imaginaire quelqu’un qui a un cancer et plus d’enfant ne se sent pas d’aller à un barbecue.”
Elle invite donc à être force de proposition pour des choses concrètes, à faire part d’une présence réconfortante, d’amour, ou à évoquer des souvenirs. Elle est également en lien avec le sénateur de Charente-Maritime, Mickaël Vallet, pour être force de propositions politiques.
Mais surtout, elle ne souhaite en rien effacer sa fille car "l'amour transcende tout". “On peut parler de mon enfant”, défend-elle avec la volonté de continuer à faire vivre Lyah à travers elle : “On ne tourne pas la page, on ne passe jamais à autre chose. Je serai toujours maman.”