Fermée au public depuis 2012, la maison de l'écrivain-voyageur poursuit sa cure de jouvence. C'est au tour de la salle Renaissance où Loti donnait ses soirées extravagantes de retrouver son lustre d'antan. Mais pour ça, plus de 300.000 euros seront nécessaires.
"Mon mal j'enchante" : telle était la devise de Julien Viaud alias Pierre Loti. De ses innombrables voyages, l'officier de marine, on le sait, avait rapporté des tonnes de souvenirs qu'il accumulait dans sa maison de Rochefort. La pagode japonaise, la mosquée, la chambre des momies, le salon turc ; de sa demeure, il fera un temple baroque où la bonne société rochefortaise se retrouvait parfois pour des soirées costumées et des agapes gargantuesques.
Ainsi, pour le fameux "Dîner Louis XI" donné le 12 avril 1888 pour inaugurer la salle gothique, les invités, accueillis par des olifants, sont sommés de se vêtir à la mode médiévale du XVème siècle et de ne parler que "le vieux langage" rabelaisien. Le menu en parchemin propose pas moins de 13 services, rôti de chevreuil, de paon, d’écureuil, de hérisson, pâtés de perdrix, hydromel, vin de Grèce et noix pelées. En mai 1903, c'est une fête chinoise qui est organisée dans la salle Renaissance avec plus de 200 convives. On sait recevoir chez les Loti.
Une revanche sociale
"Il a organisé quelques grandes fêtes dont Rochefort se souvient encore, mais aussi des choses plus confidentielles", confirme Séverine Bompays, adjointe au conservateur, "mais c’est vrai que la salle Renaissance avec son décor de château, c’était l’endroit où il prenait sa revanche sociale en quelque sorte. Lui dont le père avait été accusé de malversations financières, sa famille a vécu la misère et la déchéance, là il se fait une salle de châtelain et il en met plein la vue à tout le monde".
Malheureusement vrillettes et autres termites vont gâcher la fête un siècle après la disparition de l'auteur de "Pêcheur d'Islande". La maison, propriété de la ville de Rochefort depuis 1969, doit fermer ses portes en 2012. Grâce à la Fondation du Patrimoine, une première collecte de dons permet de réunir 27 000 euros pour les collections d'armes et d'objets en métal. En 2018, la maison est choisie comme projet emblématique pour l'opération du Loto du patrimoine. 390 000 € sont récoltés pour la
restauration du plafond de la mosquée. En parallèle, la Fondation lance une autre collecte qui permet de récolter 163 000 € grâce à 400 donateurs dont beaucoup de particuliers qui voulaient apporter, modestement, leur pierre à l'édifice.
Du gros oeuvre et pas seulement du décor
"On est toujours surpris d’un tel engouement", explique Caroline Campodarve-Puente, adjointe en charge de la culture, "on ne savait pas au début si on aurait vraiment les moyens de cette restauration, mais c’est vrai que l’aide de la mission Stéphane Bern a développé de nouveaux partenariats. Ce qui n’était pas du tout à l’ordre du jour est devenu possible. Cette opération du Loto du patrimoine et la visite du président Macron ont déclenché de nouveaux contacts avec les autres collectivités, l’Etat et l’arrivée de donateurs privés. Finalement le reste à charge pour la ville est devenu tout à fait supportable".
Les travaux de la salle Renaissance devraient parachever une décennie d'attentes pour les amoureux des lieux et de son illustre créateur. "La maison a un problème de structure lié d’abord aux fondations qui sont sur un sous-sol de marais", poursuit Séverine Bompays, "mais c’est aussi lié au fait que notre ami Pierre Loti se soit amusé à abattre des murs porteurs pour créer ses grandes salles, notamment la salle Renaissance ou la mosquée. Ca a fragilisé l’ensemble de l’architecture et c’est la raison pour laquelle on est sur du gros œuvre, pas seulement sur du décor. Il s’était dit que ça allait le faire ! Mais ce qu’il n’avait pas prévu, c’est surtout, qu’après sa mort, ça devienne un musée et qu’il y ait des dizaines de milliers de personnes qui passeraient dans sa maison".
Reste encore à réunir les fonds nécessaires, soit 335 000 euros. Par ce nouvel appel à dons, l'objectif de la collecte est fixé à 150 000 euros. Ce vendredi, ce sont les donateurs les plus généreux qui auront le privilège de visiter la maison. Probablement la dernière visite avant la réouverture officielle qui est programmée courant 2023. A l'occasion du centenaire de la mort de Loti, la municipalité espère que l'événement s'inscrive dans le cadre d'une commémoration nationale. Elle réfléchit d'ores et déjà à un programme de festivités et d'actions culturelles. Et pourquoi pas une grande fête costumée chinoise, orientale ou médiévale avec moultes pâtés de perdrix, hydromel, vin de Grèce et noix pelées.
Reportage de Yann Salaün, Pierre Lahaye et Bénédicte Biraud