Privée depuis plus d'un an de son public, l'Abbaye aux Dames de Saintes ne l'oublie pas pour autant. Notamment en diffusant du haut de son clocher des extraits de concert tous les samedis. De la musique donc avec, bien sûr, les 50 ans de son festival cette année, mais pas seulement.
Après Vivaldi la semaine dernière, c'est un certain Jean-Sébastien Bach qui s'invite à l'apéro chez vous samedi à 19 heures. Fort d'une discographie que l'on pourrait sans crainte qualifier de conséquente, il viendra avec, à défaut d'un coup à boire, un extrait de sa cantate BWV-47 interprétée par l'ensemble de musique ancienne "Le Banquet Céleste". Pour cela, il vous faudra ouvrir vos fenêtres, si vous avez la chance d'habiter non loin de l'Abbaye. Parce que c'est du haut de "la pomme de pin", le clocher de l'église Sainte-Marie, que le Cantor de Leipzig vous offrira un peu de légèreté dans cette pesante ambiance pandémique.
Car c'est effectivement en avril 2020 que l'association de l'Abbaye aux Dames avait eu l'idée de cette opération "Musique à la fenêtre". "Pendant le premier confinement, il y a eu une phase de sidération où on est tous rentré chez nous", explique Marjorie Jalladot, secrétaire générale, "on a donc eu l’idée que ce clocher, avec sa forme emblématique, pouvait continuer à être une sorte de phare musical qui laisserait entendre que la culture est toujours vivante".
L'été suivant, c'était autour du festival d'être coronavirusé. Là encore, les organisateurs de la grand messe baroque de l'Abbaye avaient dû s'adapter et les quelques concerts maintenus avaient été majestueusement filmés et enregistrés pour être diffusés en direct sur grand écran à l'extérieur.
Ce sont des extraits de ces enregistrements qui résonneront samedi des fenestrons de "la pomme de pin". "L’enjeu, c’est que cela soit diffusé à un moment où les bruits de la ville s’apaisent, d’où l’idée de commencer à l’heure du couvre-feu" poursuit Marjorie Jalladot. Et ça pour le plus grand bonheur des riverains. Chantal et son mari sont arrivés sur Saintes il y a deux ans. Ils ne ratent jamais ce rendez-vous hebdomadaire et elle s’est même inscrite par la suite comme bénévole aux académies musicales. « On est juste derrière l’Abbaye donc on se met sur la terrasse, on prend l’apéritif et on profite de cet agréable moment », nous dit la voisine, « mon époux est plutôt amateur de jazz mais là il se régale. C’est pour vous dire ! »
Du classique dans les Ehpad
De la même façon, confinement oblige, puisque le public ne pouvait plus venir, la Cité Musicale a aussi décidé d'aller vers lui. Ainsi, le mois dernier, une dizaine d'Ehpad a eu la visite d'un membre de l'association. Une projection de concerts était organisée dans les salles communes et des tablettes étaient fournies aux résidents qui ne pouvaient quitter leur chambre.
"Le travail en direction des publics dits « empêchés », à savoir les gens qui ne peuvent pas spontanément se déplacer et venir à nous, c’est quelque chose que l’on fait depuis plusieurs années, comme, par exemple, avec l’association socio-culturelle de la maison d’arrêt ou les établissements médico-sociaux", nous explique Marjorie Jalladot, "habituellement, on proposait des interventions musicales avec des musiciens qui se déplaçaient mais, avec la crise sanitaire, il a fallu imaginer autre chose".
"Notre travail, c’est que les habitants participent à la vie de la cité musicale"
Mais l'Abbaye, ce n'est pas que de la musique. C'est aussi et surtout un quartier à part entière de la ville. Nombreux sont les habitants et même les touristes de passage à faire un détour par ce site unique en Charente-Maritime. Lundi dernier, ils étaient une vingtaine à planter les premières graines d'un projet initié avec le centre social Belle Rive. Comme beaucoup d'autres villes, la municipalité de Saintes a commencé à délivrer des "permis de végétaliser" pour permettre aux habitants de s'approprier l'espace public. Le jardin des moniales n'attendait que cela.
"L’Abbaye est un peu victime de son image un peu élitiste de musique classique, donc notre travail, c’est que les habitants participent à la vie de la cité musicale et puissent investir le lieu; le jardin en fait bien sur partie", nous dit Alexandre Marquet, animateur du centre social, "on a donc mobilisé les habitants en faisant du porte à porte et en revoyant les gens avec qui on avait déjà travaillé sur le projet. On les rend acteurs et quand les gens sont acteurs, ils s’investissent plus. C’est notre façon de travailler et l’abbaye est un super outil pour mobiliser les habitants sur leur espace de vie".
"La question de l’appropriation du lieu par les habitants, c’est un enjeu pour nous", nous confirme la secrétaire générale de l'association, "on est un lieu de culture qui propose des concerts de musique classique, donc évidemment qu’il y a une partie des Saintais qui se disent « c’est pas pour nous ». Mais notre souhait, c’est qu’ils se sentent tous chez eux à l’Abbaye, parce que tout simplement, le jardin des moniales, c’est un espace public".
"Ca sera un très beau festival"
Et puis bien sûr, il y a un dossier qui hante tous les esprits depuis plus d'un an ; la cinquantième édition du festival qui doit se tenir du 17 au 24 juillet prochain. Joint par téléphone, Stephan Maciejewski est, comme tout le monde, en attente de nouvelles directives gouvernementales. "On étudie tous les cas de figures avec une abbaye pleine ou à moitié pleine, des modes de diffusion alternatifs ou des partenariats avec France 3 entre autres, mais la programmation est prête de toute façon", déclare le directeur artistique qui signera-là son avant-dernière partition avant de passer la main en 2022.
C'est bien sûr, d'une façon ou d'une autre, le chef Philippe Herreweghe qui donnera le premier concert de cet anniversaire avec, au programme, Brahms et Dvorak. S'en suivra une semaine complète de célébration musicale, même s'il n'a jamais été question à l'Abbaye d'organiser un quelconque jubilé pompeux et officiel. "L’an dernier, sur les 28 concerts prévus, on n’en a fait que huit et notre engagement vis-à-vis des artistes était de les reprogrammer cette année. De toute façon, on ne souhaitait pas spécialement sortir tambours et trompettes avec des feux d’artifice. Ce n’est pas notre genre. Pour nous, le gâteau, ça serait d’abord que cela se fasse. On n’est pas très festivités et longs discours. Mais ça sera un très beau festival". On croise les doigts, monsieur Maciejewski.
En attendant, vous pouvez également visiter le site internet de l'Abbaye qui propose des expositions virtuelles d'art contemporain ou sa page Facebook pour revivre des extraits de concerts de l'été dernier. Et puis, surtout, n'oubliez pas que vous avez rendez-vous avec Jean-Sébastien Bach samedi à 19 heures pour trinquer à la musique et à la vie.