Trois ans après le lancement du Grenelle contre les violences conjugales, le procureur de la République de Saintes a présenté le bilan de l’action judiciaire et des services de police et de gendarmerie.
« Dire les réussites, c’est toujours compliqué en matière de violences conjugales, » annonce Benjamin Alla, le procureur de la République de Saintes, « il faut toujours avoir de l’humilité car on n’est pas à l’abri d’un drame. » Pas de triomphalisme, mais à Saintes, la prise en charge des victimes de violences conjugales est une priorité, et le parquet veut que cela se sache. « 40 à 50% des défèrements au parquet le sont pour des violences conjugales, » ajoute le magistrat, « c’est considérable par rapport aux autres violences et ça montre bien l’accent qu’on met sur ce sujet-là. »
On s'inspire des retours d'expérience à chaque féminicide, dans tous les tribunaux, on décortique les dossiers pour voir comment les auteurs de violences conjugales se glissent dans les interstices de la justice.
Benjamin Alla, procureur de la République de Saintes
Depuis le Grenelle contre les violences conjugales, en septembre 2019, chaque parquet a reçu des consignes pour lutter plus efficacement contre les féminicides et les violences intrafamiliales, et le procureur de la République de Saintes estime avoir désormais davantage de moyens, notamment humains, pour gérer ces situations. Le parquet de Saintes dispose ainsi de trois bracelets anti-rapprochement, renouvelés lorsqu’un bracelet est délivré (dans la juridiction, huit ont été mis en circulation cette année), ainsi que 16 téléphones grave danger, dont onze ont été déployés depuis janvier dernier. Deux outils efficaces pour protéger les victimes, mais le parquet va plus loin.
En 2019 déjà, il a mis en place un accompagnement individuel renforcé des auteurs de telles violences. Une première en France, il permet de lutter contre la récidive tout en permettant à ces derniers d’accéder à des soins et des solutions de réinsertion. La démarche, volontaire, se fait dans le strict respect du contrôle judiciaire et porte ses fruits : « ce suivi est très positif, » se félicite Benjamin Alla, « et nous souhaitons le prolonger et le poursuivre. » En 2022, neuf personnes bénéficient de cet accompagnement dans le cadre d’affaires de violences intrafamiliales.
Former et décloisonner
Point fort de la lutte contre les violences intrafamiliales, la formation et la sensibilisation des interlocuteurs tout au long du processus de plainte sont un enjeu capital. En Charente-Maritime, les agents de police et enquêteurs ont par exemple bénéficié de formations relatives aux violences intrafamiliales, conjugales, mais aussi sexistes et sexuelles. Une manière de s’assurer qu’au cours de leur passage au commissariat, les victimes bénéficient d’une écoute et d’une prise en charge adaptées : « dans la police et la gendarmerie, nous avons travaillé à la professionnalisation des enquêteurs pour qu’ils proposent un meilleur accueil, de meilleures méthodes d’audition afin de bien identifier les violences, qu’elles soient physiques, psychologiques, (…) et de mieux cerner le niveau d’emprise », détaille Benjamin Alla. Dans les commissariats, une signalétique permet aux victimes de signaler discrètement le motif de leur venue, et des « violentomètres » sont visibles, pour leur permettre de mieux identifier les violences qu’elles subissent.
Depuis octobre 2021, une cellule de veille opérationnelle contre les violences intrafamiliales a été mise en place. Elle rassemble un magistrat du parquet, un représentant des juges du tribunal, la police et la gendarmerie, le service pénitentiaire d’insertion et de probation, et des associations. Chaque mois, cette cellule se réunit afin de faire le point sur les dossiers à risque. Pour le procureur de la République de Saintes, cette cellule fonctionne « comme un relais en athlétisme », « il y a quelques années, chacun travaillait en silo, mais personne ne se parlait », raconte-t-il, « désormais, personne ne lâche une situation tant que le service suivant ne s’est pas saisi du relais. » Une manière de décloisonner les différents aspects d’une procédure en cas de violences, et d’éviter qu’un dossier se perde, ou soit traité simultanément par deux services qui ne communiqueraient pas.
Une avancée pour les associations d’aide aux victimes
Pour Emilie Sandoval, directrice adjointe du CIDFF-France Victime en Charente-Maritime, cette cellule est une véritable avancée. Depuis dix ans au sein de l’association, c’est la première fois qu’elle peut siéger à la même table que les forces d’intervention et les magistrats. Ce travail collectif permet au CIDFF-France Victime d’avoir accès à toutes les plaintes déposées en commissariats ou gendarmeries, et de prendre contact avec les victimes : « on a vraiment la volonté de prendre attache avec les victimes, et de ne plus attendre qu’elles viennent vers nous. » Depuis 2019, le nombre de victimes accompagnées par l'association ne cesse de croître, et d'après Emilie Sandoval, les victimes sont davantage informées de leurs options, et mieux encadrées lors de leur passage au commissariat ou en gendarmerie.
Je pense qu’on a évité des passages à l’acte violents, je l’espère, mais on ne peut pas vraiment s’en réjouir car on ne sait pas de quoi l’avenir est fait.
Emilie Sandoval, directrice adjointe du CIDFF-France Victime en Charente-Maritime
Pour elle, le problème réside désormais dans les moyens financiers, et donc humains. Au sein de l’association, deux juristes à temps partiel et une psychologue effectuent des permanences au tribunal de Saintes, « c’est clairement insuffisant », déplore-t-elle.
En 2022, en France, 93 femmes et enfants seraient morts au cours de violences intrafamiliales, d’après le décompte de l’association #NousToutes.