Le réalisateur québecois Denys Arcand présente au festival du Film francophone d'Angoulême (FFA) en avant-première mondiale son 15ᵉ long-métrage, "Testament". Un retraité célibataire se retrouve confronté aux revendications identitaires actuelles au Canada. Un peu perdu, attendant juste la mort, il se pourrait que les bouleversements en cours le ramènent à la vie.
Denys Arcand aime dénoncer les travers d'une époque. Dans son dernier film, Testament, présenté en avant-première mondiale au festival du Film francophone d'Angoulême (FFA), le réalisateur québecois confronte un retraité célibataire aux bouleversements identitaires actuels et signe un grand film.
Bande-annonce de Testament de Denys Arcand, dont la sortie en salles en France est prévue le 22 novembre 2023.
Jean-Michel, 70 ans, attend patiemment que la mort vienne le trouver. Ses journées sont ponctuées de balades à pied (dans les cimetières), de quelques recherches aux archives et d'échanges avec ses voisins qui, eux, croquent la vie. L'arrivée, devant la résidence pour personnes âgées dans laquelle il vit, de jeunes activistes venus manifester contre la présence dans l'établissement géré par l'État d'une fresque murale qu'ils jugent humiliante à l'égard des peuples amérindiens vient le sortir de sa torpeur.
La fresque en question représente Jacques Cartier au moment de sa découverte du Canada au 16ᵉ siècle. Inspiré d'une toile vue par le cinéaste dans un musée new-yorkais, elle représente le navigateur entouré de ses hommes en armes, face à un chef de l'un des peuples autochtones, habillé "en sauvage". La fresque semblait jusque-là ne déranger personne jusqu'à l'arrivée des manifestants bien décidés à obtenir que le Canada et ses institutions respectent les Premières nations. "Respect for First Nations", clament-ils en anglais à l'extérieur de l'établissement.
D'un film sur la vieillesse et le lent oubli dans lequel l'œuvre d'un artiste peut rapidement sombrer (Jean-Michel a publié plusieurs livres pour lesquels il reçoit un prix honorifique en début du film, mais l'organisation du prix les confond pitoyablement avec ceux d'un autre...), Testament se transforme en récit hautement politique.
Des citoyens "préoccupés"
Que faire d'une fresque, "image d'un génocide annoncé" ? Un document pour l'histoire ? Un récit à effacer pour laver l'affront ? Comment accueillir les revendications de la jeunesse ? Comment lire le récit national ? Où trouver la vérité ? "L'être humain laisse des traces", note Jean-Michel, fin connaisseur du travail d'archiviste : dans des lettres et des livres du passé et désormais des ordinateurs...
S'engage alors une forme d'enquête pour dire la nature du conflit en cours au sein de la société québecoise. Dépassé par le drame qui se joue, Jean-Michel va solliciter l'avis d'amis et celui d'une représentante d'un clan amérindien qui, dans une démonstration implacable, va livrer une analyse picturale de la fresque, révélant son sens aux yeux de tous. Après un échange avec les manifestants, elle conclura, en anglais, qu'ils "ne sont en rien des Amérindiens", juste "des citoyens préoccupés". Elle finira par un "Good luck" qui en dit long sur la difficulté de dénouer les nœuds du conflit.
Tandis que notre héros se désole de constater que "la vie privée est (devenue) une valeur ancienne" et que dorénavant "ce qui prime, c'est la communauté", d'autres bouleversements affectent la résidence. La bibliothèque se vide de ses livres sur ordre du ministère qui estime désormais que les résidents seront plus stimulés intellectuellement par les jeux vidéo. Et les livres d'être recyclés en papier-cadeau. Des scènes d'une drôlerie exquise s'ensuivent, dévoilant la bêtise et les incongruités de l'époque.
Reste une chose : Jean-Michel est secrètement amoureux. S'il affronte les travers de son époque pour en rétablir les vérités historiques, le voilà sur le chemin d'une autre reconquête, celle de la vie à travers la possibilité de la seule chose essentielle aux yeux du cinéaste : l'amour.
Testament de Denys Arcand, en salles le 22 novembre 2023. Avec Rémy Girard, Sophie Lorain, Marie-Mai.
Portrait de Denise Robert, productrice de Testament : Jérôme Deboeuf et Christophe Guinot.
Trois questions à Denise Robert, productrice de Testament.
France 3 : Quel a été le point de départ de ce film ?
Denise Robert : Je pense que c'est la fresque (représentant Jacques Cartier arrivant au Canada, NDLR) que l'on a vue quand on était en visite à New York. Ça a semé une réflexion chez Denys. Je crois qu'il est parti de ça. Et, en même temps, il est aussi parti de la notion qu'il est très difficile aujourd'hui de se retrouver, on perd ses repères. Denys a 82 ans, il a certains repères, son fils a 27 ans, ce sont des générations très distantes. D'avoir un homme de 82 ans, obligé d'ouvrir les yeux à un nouveau monde, celui de son fils, je pense que c'est ce qui l'a fait questionner la réalité d'aujourd'hui, mais sans la juger. Il préfère l'auto-dérision et, à la fin, le personnage principal embrasse cette nouvelle réalité.
France 3 : Dans le film, la vie privée est présentée en comme une valeur ancienne...
Denise Robert : C'est vrai. Avec les réseaux sociaux, les gens sont isolés. Y a aussi un questionnement, quand on entend 'Je n'ai plus personne à qui parler' et que le personnage répond 'moi aussi, je me sens seul'. Quelle que soit la génération, on sent cette solitude, on sent ce manque de pouvoir échanger, d'écouter l'autre. On n'est pas obligés d'être d'accord, c'est simplement d'écouter et donc de créer ce dialogue entre les générations. Il faut retourner au dialogue qui nous enrichit tous.
France 3 : Denys Arcand a-t-il voulu livrer une œuvre testamentaire comme peut le suggérer le titre ?
Denise Robert : Je ne crois pas que ce soit un testament à la fin de vie. Le film le démontre, il y a une lueur d'espoir. Malgré les changements dans nos sociétés et entre les différentes générations, il y a une chose qui reste, c'est l'amour et l'amitié. Certains repères qu'il a perdus, il doit les redécouvrir pour voir la vie, c'est une espèce de réflexion du passé, du présent, de l'avenir.
Propos recueillis par Clément Massé.