En compétition officielle au festival de Film francophone d'Angoulême, le dernier long-métrage de Nadir Moknèche, "L'air de la mer rend libre" (en salles le 4 octobre), suit le parcours d'un jeune couple maghrébin contraint à une union arrangée pour préserver les apparences. En se confrontant aux interdits, le réalisateur livre un film posé et intelligent, d'une douceur salvatrice.
Un mariage arrangé peut-il enterrer le passé ? Cette question, posée comme l'éléphant au milieu du salon d'un jeune couple fraîchement marié, est au cœur du nouveau long-métrage de Nadir Moknèche (Le Harem de Madame Osmane (2000), Lola Pater (2017)) dans lequel deux jeunes gens acceptent une union qu'ils n'ont pas choisie.
Leurs deux familles veulent les unir pour laver une honte. Elle a eu une histoire d'amour avec un délinquant, lui aime les garçons.
"Je n'ai pas de baromètre, je ne peux pas vous dire le nombre de couples qui sont confrontés à un mariage arrangé, mais je sais que ces histoires existent, explique Nadir Moknèche. Je sais que pour certains, il est important de ne pas rompre avec sa famille. Car rompre avec sa famille, ça veut dire solitude, un moment de détresse. Et Saïd le sait."
Ni lui, ni Hadjira n'a connaissance de la honte qui mène l'autre à se plier à ce mariage. Nadir Moknèche décrit avec sobriété l'implacable pression, tout en sourires et en "c'est-pour-ton-bien" qui s'impose au jeune couple.
Le film dit la pression sur les filles pour qu'elles soient des filles bien, des filles vertueuses
Nadir MoknècheRéalisateur de "L'air de la mer rend libre"
"Je suis parti de l'idée qu'il n'y aurait pas de violences physiques. Des violences psychologiques, oui, mais pas de violences physiques", poursuit Nadir Moknèche. Tout juste verra-t-on le père, interprété par Zinedine Soualem, se lever brutalement de colère, et, la mère, interprétée par Saadia Bentaïeb, lancer un "va-t'en" implacable.
Le film dit "la pression sur les filles pour qu'elles soient des filles bien, des filles vertueuses, je parle des filles arabes. Elle fait une petite erreur, pas très grave, et on la punit", constate le réalisateur.
À l'écran, son actrice, Kenza Fortas, fait vivre une jeune femme forte, prête à aller au bout de ce qu'on attend d'elle. "J'ai abordé le sujet avec une certaine bienveillance, une certaine douceur. Je voulais montrer ce qui se passe, mais sans en faire une généralité", explique-t-elle. Mais face aux inconséquences de sa mère, son personnage va être amené à évoluer.
Saïd, un corps hypersexualisé
Saïd, lui, continue à vivre en secret sa sexualité. Le soir, pour vivre son propre désir pour les hommes, il part courir. À l'image, on assiste à sa transformation. Le jeune marié troque ses habits de boucher modèle, employé dans la boutique familiale, pour un jogging moulant, banane en bandoulière et casquette vissée sur la tête. Saïd devient un corps hypersexualisé. Nadir Moknèche s'applique alors à déconstruire cette image caricaturale d'un jeune homme arabe de banlieue.
"Nadir disait qu'il a eu l'idée du film en constatant que, si un jour, un jeune homme tape sur Internet 'jeune, arabe et homosexuel', il ne tomberait que sur du porno et il s'est dit que ce n'était pas possible, se souvient Youssouf Abi-Ayad qui interprète Saïd. Alors que, si tu tapes la même chose avec le mot français, il y aura d'autres représentations, amoureuses. Il a voulu montrer d'autres formes de récit."
Divisé en plusieurs parties, chacune dédiée à la perspective et au cheminement d'un personnage du film, L'air de la mer rend libre construit posément une histoire moderne dans laquelle un jeune couple contraint va apprendre au contact l'un de l'autre à retrouver sa liberté. Il se pourrait qu'elle se trouve dans le désir de l'un des personnages de revoir la mer, celle qui donne son titre au film.