Membre du jury du 16e festival du Film francophone d'Angoulême (FFA), Raphaël Quenard est l'un des nouveaux visages du cinéma français. Avec "Yannick" ou encore "Chien de la casse", il est l'une des grandes révélations de l'année. Portrait.
À la terrasse du très chic hôtel Saint-Gelais d'Angoulême, Raphaël Quenard descend un grand verre d'eau fraîche. En ce début de festival du Film francophone (FFA), la chaleur accablante contraint l'organisation à rapatrier les interviews dans les salons climatisés, mais déjà saturés, de l'établissement. Dehors, les parasols offrent une ombre indispensable. "Si la chaleur ne vous dérange pas, ça ne me dérange pas", lance l'acteur de 32 ans, membre du jury de la 16ᵉ édition du festival, de sa voix singulière et déjà si familière. Un peu trainante, glissant quelques consonnes ici ou là, insistant sur d'autres lorsqu'il s'agit de marquer l'emphase. En quelques films sortis en l'espace de deux ans, Raphaël Quenard a imposé sa présence et cette voix incomparable. Il est l'une des valeurs montantes du cinéma français.
Cette voix, justement. Dans Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (2023), un personnage dit de lui qu'il a "un accent bizarre". Raphaël Quenard en rit volontiers. "Le réalisateur voulait que j'aille chez l'orthophoniste pour que je gomme ça. Il l'a ajouté au scénario pour justifier l'accent du personnage, sa manière de parler."
Cette élocution inédite, Raphaël Quenard en fait une force de séduction dont il nourrit la singularité de film en film.
"Il y a une phrase de Colette qui dit : 'Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne'. Je la trouve vraiment vraie. Elle est valable aussi pour la parole cette phrase-là parce que ce qui fait aussi le charme de quelqu'un, c'est sa façon de s'exprimer, ce qui va faire sa spécificité, son style, quoi. Comme pour un musicien. Ils ont un 'flow' (débit, ndlr) un peu particulier. J'ai un peu l'impression que comédien, c'est un peu comme être musicien. Ça se décline sur toute une palette de rôles qui peut être gigantesque, mais y a un flow."
Ce qui m'attire follement dans un rôle, c'est la grandeur du personnage. Pas dans le sens de sa grandeur morale, mais s'il est un peu 'bigger than life', un peu flamboyant .
Raphaël QuenardComédien, membre du jury du 16e FFA
Son flow à lui le démarque de toutes et tous à tel point que si l'on doit nommer aujourd'hui un nouveau visage marquant sur grand écran, c'est à lui que l'on pense. Son rôle de grand échalas dans Chien de la casse, belle gueule peinant à grandir et à accéder à l'âge adulte tandis que son meilleur ami, plus réservé, vit sa première histoire d'amour, semble tailler sur mesure. Quenard y campe un personnage complexe, agaçant, parfois épuisant même, mais toujours foncièrement attachant, dévoilant ses failles par petites touches.
Se retrouver à cette place-là au cinéma, il le reconnait volontiers, "c'est tout neuf". Il confie que ce qui l'attire "follement" dans un rôle, "c'est la grandeur du personnage". "Pas dans le sens de sa grandeur morale, mais s'il est un peu bigger than life, un peu flamboyant, je vous avoue que ça m'attire. S'il y a du cinéma dans la trajectoire, qu'on explore en profondeur sa psychologie comme y'a dans Chien de la casse, ça m'attire."
"Pile comme une goutte d'eau sur un front dans une scène de torture"
Dans son dernier film, Yannick, de Quentin Dupieux (2023), Raphaël Quenard interprète un spectateur de théâtre qui, mécontent du spectacle qui se joue sur scène, interrompt la représentation pour la reprendre en main. À sa façon. Légèrement sur-réelle, mais bouleversante dans la révélation finale de la blessure intime du personnage. Si "le concept d'interrompre (lui) a tout de suite accroché le cerveau", il note que le plaisir de travailler avec Quentin Dupieux vient de son talent de "dialoguiste hors du commun". L'acteur identifie comme moteur de travail l'enthousiasme de se retrouver au cœur d'une équipe soudée autour d'un film.
"Ce que j'aime, c'est vraiment le truc d'aller ensemble, avec un réal, à la recherche d'une forme de grâce, d'une situation, et que les timings soient 'bam, bam' (rires), que tout soit vraiment percutant, pile comme tombe une goutte sur un front dans une scène de torture, de 'waterboarding', que tout soit 'tac, tac, tac' aux bons endroits, au bon timing, pour créer une bulle de poésie, une bulle de grâce, dans une scène. C'est le plus grand plaisir !"
En attendant, son plaisir cette semaine, sera de voir les 11 films en compétition avec les huit autres membres du jury et d'attribuer des prix. "Je suis curieux de voir à quoi ressemblent des discussions, des débats autour de films pour attribuer des récompenses", confie l'œil malicieux, celui qui a découvert un peu tardivement le cinéma, "vers l'âge de 22-23 ans". Si son rêve est "de faire des classiques", "des films qui s'inscrivent dans la durée", comme ceux qu'il continue de découvrir sur grand écran, le talent qu'il dévoile à chaque long métrage place son ambition à portée de main.