Ce legs exceptionnel a été fait par la sœur d'un collectionneur de l'Allier décédé l'été dernier. Une collection impressionnante tant par la quantité que la qualité des œuvres.
"Sa collection, c'était sa vie", lance Joëlle Noir, en évoquant la passion débordante de son frère décédé l'été dernier.
Humblement, elle avoue que, personnellement, elle n'y connait rien en bande dessinée. Elle a tout à fait conscience de la valeur inestimable de ces dix tonnes de livres, mais l'argent n'a visiblement rien à faire dans cette histoire. "Les livres, c’est une passion familiale, mais la BD, c’était son truc", explique-t-elle. "Tout petit, il était abonné à des revues et, à la fin de sa vie, sa maison n’était faite que d’étagères !"
"Je n'avais pas envie de faire de l'argent"
En tout donc, ce sont quelques 400 cartons avec 30 000 livres dedans qui viennent d'être acheminés à la Cité de la bande dessinée d'Angoulême. Quelques mois avant de mourir, Patrick Bruchon, ancien officier de marine marchande, allait encore chez son bouquiniste préféré de Clermont-Ferrand pour dénicher de nouvelles trouvailles. Il est parti trop vite, trop tôt et sa soeur ne pouvait se résoudre à monnayer la passion de son frère.
"Je ne voulais pas voir cette collection dispersée", confie-t-elle. "Mon frère était un vieux célibataire qui avait constitué cette collection tout au long de sa vie et je ne me voyais pas la vendre. Je voulais que ça puisse servir à un établissement public. Je sais que ça vaut une fortune mais je n’avais pas envie de faire de l’argent. Je suis contente comme ça".
"Une curiosité vraiment étonnante"
Pour toute l'équipe de la bibliothèque patrimoniale de la Cité, il s'agit tout simplement d'un "événement majeur dans l'histoire de l'institution".
L'obsession de Patrick Bruchon pour le Neuvième Art se combinait avec une méticulosité extrême. L'ensemble du fonds est minutieusement classé et détaillé dans des fiches manuscrites."C’est vraiment quelqu’un qui avait l’âme d’un bibliothécaire", s'émerveille Maël Rannou, directeur du pôle lecture publique et transmission, "parce qu’il avait envie de constituer une collection la plus exhaustive possible et de la conserver. Il manquait juste la communication au public et c’est ce qui se passe maintenant avec ce très beau geste, cette très belle histoire."
Des originaux de Zig et Puce ou de Gaston Lagaffe, mais aussi de la BD érotique et des éditions limitées d'ouvrages underground contemporains ; ce qui surprend le plus, c'est la richesse et la diversité de cette collection. Patrick Bruchon n'était pas un spécialiste de la ligne claire, des "gros nez" ou de l'héroic fantasy. C'était juste un amoureux de bande dessinée dans son acception la plus large. "On est sur un homme qui avait une curiosité vraiment étonnante", confirme Maël Rannou. "Souvent chez les collectionneurs, vous avez une ligne qui se dessine et qui est évidente, là il y a une foultitude de choses tellement différentes que c’est impressionnant."
"Un phénomène qui s'accélère"
Avec ce don tombé du ciel, la Cité de la bande dessinée conforte sa place de première collection patrimoniale européenne, la deuxième mondiale avec quelques 270 000 imprimés. Mais au-delà des chiffres, c'est surtout un moment charnière qui se dessine dans l'univers du Neuvième Art.
"C’est aussi un signal sur la patrimonialisation de la bande dessinée", analyse Pierre Lungheretti, directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image. "On a de plus en plus de sollicitation de collectionneurs, d’ayants droit ou de descendants, de collectionneurs qui veulent nous faire des dons et ça, c’est un phénomène qui s’accélère. Ça ouvre des perspectives de valorisation extrêmement intéressantes pour des expositions, pour des chercheurs, pour retracer une histoire de l’édition de la bande dessinée et pour permettre une plus grande transmission de cette culture."
Ne reste plus donc qu'à tenter de comprendre la philosophie et la logique qui a pu pousser Patrick Bruchon à accumuler autant de livres tout au long de sa vie. Un mystère qui risque bien de n'être jamais élucidé. Comme s'il nous avait laissé le soin d'écrire la fin de l'histoire.
Reportage de Julie Chapman, Cyril Paquier et Philippe Ritaine