On lui a attribué deux cartes vitales, avec deux numéros différents d'assuré : ce retraité se bat contre l'administration française

Cet ancien artisan dans le béton décoratif, aujourd'hui retraité, est confronté à un imbroglio administratif rare : on lui a attribué deux cartes vitales, avec deux numéros différents d'assuré. Ce qui a des conséquences financières, mais aussi détériore sa santé mentale.

Alves Coutinho Domingos n'a pas eu une enfance comme les autres. Né en 1957 au Portugal, il est, dans un premier temps, abandonné par son père à l’âge de cinq ans, puis par sa mère à l’âge de huit ans. Puis, elle l’a fait revenir en France. "En arrivant en France, on m’a placé dans un foyer pour jeunes", raconte l'homme, d'une voix rauque.

"Aujourd’hui, j’ai deux cartes vitales"

Dès l'âge de seize ans, il commence à travailler "en 1973. J’ai pris ma retraite en mars dernier. Je travaillais dans le béton décoratif", précise l'artisan charentais. "Je suis l’un des premiers à avoir lancé le béton décoratif en France. J’ai notamment travaillé sur le parc Aqualand au Cap d’Agde ou dans plusieurs campings sur l’île d’Oléron." Après ses nombreux faits d'armes, dont il est particulièrement fier, arrive la douche froide à l'approche de la retraite.

Je vais à l’hôpital et on me dit que j’ai deux dossiers. Je n’ai jamais triché de ma vie.

Alves Coutinho Domingos

Ancien artisan

Aujourd'hui installé à Foussignac, près de Jarnac en Charente, les problèmes arrivent pour cet ancien maçon portugais au début de l'année 2014. "J’ai reçu ma deuxième carte vitale cette année-là. Au départ, ça m’a bloqué l’esprit. Je me suis demandé : 'de quel droit peuvent-ils faire ça ?' Finalement, je suis allé au tribunal : je leur ai expliqué, donné les preuves et on m’envoie un courrier marquant que c’est une affaire classée. Mais lorsque j’ai voulu prendre ma retraite, il était marqué que je n’avais pas cotisé sur les années 2014, 2015 et 2016. Alors que mon entreprise était en excédent de paiement", fustige Alves Coutinho Domingos.

"Aujourd’hui, j’ai deux cartes vitales. Je tombe malade, je vais à l’hôpital et on me dit que j’ai deux dossiers. Je n’ai jamais triché de ma vie, j’ai travaillé toute ma vie", s'exclame-t-il, démoralisé. "J’ai élevé mes enfants comme les autres, je n’ai jamais demandé un centime à qui que ce soit."

Un changement à l'origine de nombreux dysfonctionnements

Cet ancien artisan a essayé de trouver des explications sur l’arrivée de cette deuxième carte vitale, en vain. "Je suis allé voir la gendarmerie pour porter plainte et l’on me dit : ‘Monsieur, vous avez un nouveau numéro de Sécurité sociale parce que le foyer qui vous a recueilli enfant ne vous l’a pas enregistré". Il avait même l'impression, en discutant avec la députée à Jarnac, que le ciel lui était tombé sur la tête. "Elle me dit ‘C’est peut-être parce que vous n’êtes pas né au Portugal’. Je n’arrive pas à comprendre comment on peut dire ce genre de choses."

Ils ont également changé mon numéro de SIRET. Que ce soit l’URSSAF ou la Chambre des métiers, tout le monde se renvoie la balle. Personne ne veut répondre à mes questions.

Alves Coutinho Domingos

Ancien artisan

L'arrivée de cette nouvelle carte vitale lui a causé de nombreux problèmes financiers et administratifs. "Quand je calcule ma retraite, par rapport à ma fiche de paye, je devrais toucher normalement entre 2 400 et 2 600 euros. Aujourd’hui, à quelque chose près, je touche 1 500 euros, s'indigne Alves Coutinho Domingos. J’ai perdu trois années de retraite parce que je n’ai pas pu la prendre en 2021. J’avais 184 trimestres de réalisés, mais seulement 151 ont été retenus."

Des coups de téléphones à répétition, des visites des huissiers de justice, des courriers de relances amiables pour défauts de paiements. Cet ancien artisan est hanté par cet imbroglio administratif. "Je passe encore des nuits blanches en tentant de savoir comment me sortir de cette affaire. Je n’arrive pas à m’y faire."

"Ils ont également changé mon numéro de SIRET. Que ce soit l’URSSAF ou la Chambre des métiers, tout le monde se renvoie la balle. Personne ne veut répondre à mes questions et ne veut prendre ses responsabilités", fulmine-t-il.

Un cas extrêmement rare

Avoir deux cartes vitales, c'est avoir deux "numéros d'inscription au répertoire" (NIR) en son nom. Or, selon l'Assurance maladie, il est unique, personnel et ne change pas. L'organisme en charge de délivrer les numéros de Sécurité sociale est le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), géré par l'INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques).

Dans la réalité, cela peut arriver qu’une personne possède deux numéros de Sécurité sociale. Lionel Espinasse, responsable du RNIPP et en charge de la division des évolutions et de la communication du recensement au sein de l’INSEE, donne plus de précisions. "Pour les personnes qui ont deux NIR, cela peut arriver. Lorsqu’on s’en rend compte, on réalise une fusion où l’on ne garde qu’un seul enregistrement sur les deux. Cela concerne en grande majorité des personnes nées à l’étranger".

En moyenne, sur les trois dernières années, nous avons recensé 6 000 personnes qui avaient 2 NIR.

Lionel Espinasse

Responsable du RNIPP et en charge de la division des évolutions et de la communication du recensement au sein de l’INSEE

Selon lui, plusieurs possibilités existent :

  • Premier cas : celui des personnes qui arrivent une deuxième fois sur le territoire. En faisant à nouveau les démarches, le système n’a pas repéré qu’elles avaient déjà été immatriculées.
  • Deuxième cas : les personnes font des démarches auprès de plusieurs organismes (Sécurité sociale, URSSAF) et ne donnent pas exactement la même identité. Cela peut être le jour de naissance, un troisième prénom, etc.
  • Autre cas : cela peut venir des organismes eux-mêmes, comme la caisse de Sécurité sociale : les personnes viennent avec leurs actes d’états-civils de leur pays d’origine et ces documents ne sont pas toujours très clairs.

"En moyenne, sur les trois dernières années, nous avons recensé 6 000 personnes qui avaient 2 NIR", explique Lionel Espinasse, en charge de ce répertoire INSEE. "Nous avons l’obligation de faire en sorte que le fichier soit identique par rapport aux actes de naissances des personnes. Et s'il y a erreur, on est obligé de corriger automatiquement et d’en conserver un seul".

Une différence au niveau de l'état civil

Il faut se rendre auprès de sa caisse de Sécurité sociale pour régler le problème pour toutes les personnes nées à l'étranger comme Alves Coutinho Domingos. Car c'est cet organisme qui immatricule les personnes lorsqu’elles arrivent en France.

D'après Gaëlle Guilbert, responsable de la Gestion des droits de la CPAM de la Charente, la procédure liée au changement de NIR a eu lieu il y a une douzaine d'années. "Il se peut qu'en fonction du pays de naissance, il y ait une différence d'état civil entre ce qui est connu de l'INSEE et du pays étranger. C'est même relativement courant." Et c'est pour cette raison, selon elle, que monsieur Domingos possède deux cartes vitales.

L'arrivée de sa nouvelle carte vitale [...] n'a d'impact sur ses trimestres cotisées.

Gaëlle Guilbert

Responsable de la gestions des droits de la CPAM de la Charente

D'après l'Assurance Maladie de Charente, cela n'a aucune conséquence sur ses trimestres. "Les 2 NIR appartenant à monsieur Domingos sont liés, et on ne retient que le numéro correct. L'arrivée de sa nouvelle carte vitale a tout repris de son ancien NIR. En aucun cas, ça n'a d'impact sur ses trimestres cotisées". Un discours que conteste Alves Coutinho Domingos. Un temps pris en charge par une médiatrice de la CPAM de la Charente, il n'a désormais plus de nouvelles et n'a toujours aucune solution à son problème.

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