Face aux enjeux liés au changement climatique, l'État français affiche d'ambitieux objectifs de neutralité carbone, de développement des énergies renouvelables ou encore de transition agricole. Pour traduire ces trajectoires à l'échelle locale, le chemin passe par la "planification" à différentes strates. Dans les faits, l'articulation entre ces différents plans n'est pas toujours évidente.
SCoT, PCAET, SRADDET, PNACC, OAP, FNV ... Cette pluie d'acronymes désigne des plans d'action pour la transition écologique et énergétique à différentes strates : nationales, régionales, intercommunales et communales. Si ce "charabia" d'acronymes est impossible à comprendre pour le commun des mortels, il n'est pas toujours plus simple à intégrer au niveau des collectivités et des instances territoriales qui doivent jongler avec, et se retrouve parfois ensevelies sous un millefeuille administratif dont les plans ne coïncident pas toujours les uns avec les autres.
S'adapter à une France de 2100 avec une température de +4° C
Depuis les Grenelle de l'environnement en 2009 et 2010, la France a eu pour ambition d'inscrire dans le temps des objectifs de transition écologique. Pour adapter la France à un réchauffement de 4 °C en 2100, il faut s'organiser. Tout l'intérêt de la planification réside dans cette question de durabilité des projets, souligne Eric Boniface, coprésident de l'association Transitions Limousines qui travaille sur un plan de transformation de l'économie limousine face aux changements climatiques.
"Compte tenu des enjeux systémiques et de l'enchevêtrement des sujets, il faut une coordination des différentes strates et secteurs, mais aussi une visibilité sur au moins une dizaine d'années. Ce sont des orientations et des actions qu'il me paraît difficile de décider sur un seul mandat."
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Aller au-delà du temps électoral et impulser une orientation sur plusieurs années, le point crucial reste la question de l'implémentation de ces plans sur le territoire. Attention, place aux grands mots, la "territorialisation de la planification" est en route ! Autrement dit, comment peut-on transformer les grandes annonces gouvernementales d'objectifs de réduction des gaz à effets de serre ou de développement des énergies renouvelables en actions concrètes aux plus petits échelons territoriaux.
Chaque échelon territorial a le droit à son document de planification. Depuis 2016, cela passe par des Plan Climat Air Énergie Territorial (PCAET) que doivent adopter les intercommunalités de plus de 20 000 habitants.
Si le démarrage a été lent, aujourd'hui 97% des territoires visés par cette obligation ont présenté leur plan, selon Intercommunalités, une association d'élus. En Nouvelle-Aquitaine, c'est carton plein : aucun PCAET obligatoire ne manque à l'appel. En Limousin, on compte douze groupements de communes dotés de cette stratégie.
La métropole de Limoges a adopté le sien en mars 2021. Valable six ans, le document est divisé en une partie diagnostic et une partie actions. À mi-parcours, la communauté de communes doit maintenant rendre sa copie. Émilie Rabeteau, vice-présidente de Limoges métropole, estime que 80% des actions prévues ont été réalisées ou lancées. Dans ce PCAET, c'est une centaine de "fiches actions" qui vont de "petites" mesures assez spécifiques comme la formation des professionnels à la rénovation énergétique à des directions plus larges comme le fait de limiter les créations de voiries et de places de stationnement dans les nouvelles opérations.
"Certaines actions sont rapides, mais la plupart s'inscrivent dans le temps long et ne dépendent pas forcément de nous, explique Émilie Rabeteau de Limoges métropole. Ce PCAET c'est une image, un instant T du territoire qui nous aide à prendre de grandes orientations et des actions politiques fortes sur le long terme. Mais ça évolue, certains des partenaires avec qui on a élaboré des actions n'existent plus aujourd'hui par exemple. Il faut s'adapter."
Si à l'échelle des intercommunalités, implémenter ce genre de plans est déjà un travail d'orfèvre tant il faut jongler avec les différents acteurs du territoire, c'est lorsqu'il faut se coordonner avec les autres strates que la tâche devient encore plus compliquée. Au niveau de la région, il existe un document de planification, le Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) qui, contrairement aux PCAET, est prescriptif.
C'est-à-dire qu'il doit se produire une sorte de ruissellement : le SRADDET de la Région doit être en adéquation avec la loi, et les différents plans d'urbanismes et schémas territoriaux aux niveaux locaux doivent être en cohérence avec celui de la Région. "C'est un millefeuille administratif, certes, mais l'idée, c'est qu'il n'y a pas un document qui aille à l'encontre d'un autre, explique Émilie Rabeteau. Après ce n'est pas facile à faire."
Côté région, même discours. "La planification prend du temps, concède Laurence Rouède, vice-présidente de la région Nouvelle-Aquitaine, en charge de l'aménagement du territoire. À l'échelle de la Nouvelle-Aquitaine, nous avons douze départements, et il y a de fortes disparités dans l'avancement des territoires dans la planification. Il faut faire coïncider les initiatives volontaristes et obligatoires. Certains ont des PLUI, des SCOT, d'autres n'ont aucun document."
"C'est l'éternel sujet de la répartition de l'effort"
La cohérence entre les parties n'est pas toujours au rendez-vous. Pour la Cour des comptes, l'articulation entre les plans nationaux et locaux est même "déficiente". L'association Intercommunalités a tenté d'agréger les objectifs territoriaux pour vérifier leur bonne cohérence avec les objectifs nationaux. Résultat : en mettant bout à bout les objectifs promis par les Régions, nous n'arrivons pas aux objectifs portés par l'État. "En général, les objectifs nationaux sont plus ambitieux que ceux des intercommunalités, explique Oriane Cebile, conseillère environnement à Intercommunalités. Au niveau national, on n'a pas forcément en tête les contraintes des territoires. C'est l'éternel sujet de la répartition de l'effort."
Au-delà d'un ruissellement "up and down", Laurence Rouède assure que le SRADDET n'a pas été élaboré de façon "hors sol". "Il ne faut rien de trop rigide pour pouvoir s'adapter aux spécificités des territoires, défend-elle. En Limousin, à la base, il y avait peu de SCoT (schéma de cohérence territorial), et peu de PLUI, et il nous fallait respecter ça, car ce n'était pas la volonté locale."
Aujourd'hui, de plus en plus de projets de SCoT voient le jour en Limousin. Cela permet d'avoir un regroupement de communalités dans une orientation globale. Il existe également des syndicats de SCoT : une manière de peser dans la balance lors des discussions avec la Région ou d'autres financeurs.
En outre, dans l'articulation entre les différentes strates, il faut aussi "se mettre à jour". Pour avoir les réponses les plus pertinentes possibles, il faut aussi que le diagnostic de départ soit bon. Or, dans la plupart des PCAET, les diagnostics sont réalisés sur les données et les projections non actualisées.
L'association Transitions Limousines plaide pour des diagnostics qui évoluent. "Parfois, il y a un côté très figé dans le temps dans les plans, décrit Nicolas Picard, coprésident de l'association. Et on se rend compte qu'après la présentation du plan, le soufflet peut retomber et il finit par devenir désuet si on ne le fait pas vivre." C'est aussi ce que préconise la Cour des comptes dans son dernier rapport en incitant les documents de planification territoriaux à "mieux prendre en compte les connaissances actualisées sur le changement climatique et ses conséquences".
Pour les administrations, cette actualisation permanente est compliquée à mettre en œuvre. À Limoges métropole par exemple, le diagnostic utilise des données de 2012 à 2015, et il n'est pas prévu de le modifier avant la fin de son existence (six ans).
Une planification qui n'en finit pas ?
Pourtant, la loi Climat et résilience de 2021 oblige les différents documents à se mettre en cohérence avec les nouveaux objectifs nationaux : maximum fin 2024 pour le SRADDET et 2027 et 2028 pour les échelons territoriaux et locaux. "Sur le principe, c'est bien, reconnaît Laurence Rouède de la Région Nouvelle-Aquitaine. Mais, on ne peut pas le faire tous les ans. Si on est en modification perpétuelle, on n'a pas le temps d'évaluer l'impact de nos plans."
Même son de cloche à l'échelle territoriale. "Ça n'en finit jamais de cette planification, juge Emilie Rabeteau qui estime que cela affecte le lien des citoyens avec les décisions politiques. Déjà que c'est compliqué pour les administrations, je comprends que cette lourdeur administrative éloigne les gens. Il faut simplifier la planification sur un temps qui permette l'action."
Cette simplification réclamée par les territoires a été, en partie, entendue. Une ordonnance de 2020 avait ouvert la possibilité de fusionner certains schémas entre eux, comme ça a été le cas à Tulle. Ceci dit, le fameux millefeuille administratif semble s'agrandir plutôt que de rétrécir.