C'est une part méconnue du passé de la ville qui ne dort jamais : avant de s'appeler New York, la mégalopole s'appelait la Nouvelle-Angoulême. Florent Gaillard, directeur des archives municipales d'Angoulême, nous replonge dans cette folle épopée, à l'occasion du 500ᵉ anniversaire de cette "découverte".
Se contenter de la seconde place ? Impensable. Au début du XVIe siècle, François Iᵉʳ est devancé par les royaumes portugais et espagnols dans la conquête de nouvelles terres. L'enjeu est de taille : le premier qui trouvera une route vers les Indes s'assurera une puissance économique et maritime totale. Le roi de France décide de confier cette lourde tâche au navigateur italien Giovanni da Verrazzano.
À bord de La Dauphine, l'aventurier et cinquante hommes larguent les amarres en direction du Nouveau monde. Quelques mois plus tard, ils débarquent dans une baie calme et abritée : en hommage au souverain, le chef d'expédition baptiste cette île la Nouvelle-Angoulême (François est aussi comte d'Angoulême). C'est la future ville de New York.
Manuscrit porté disparu
Ce mercredi 17 avril 2024, la ville d'Angoulême, en Charente, célèbrera le 500ᵉ anniversaire de cette "découverte". Une histoire restée bien longtemps dans les cartons d'un fond privé, et ressuscitée par un homme : Jacques Habert. "Jacques Habert était enseignant au lycée français de New York, dans les années 1940, relate Florent Gaillard, directeur des archives municipales d’Angoulême. Il y a entendu parler de cette parenté entre les deux villes et s'est plongé dans l'histoire."
L'homme de lettres consacre d'abord une thèse, réalisée à la Columbia University, à la Nouvelle-Angoulême. "Lorsque Verrazzano est rentré bredouille des Amériques, il a rédigé un rapport d'expédition, dans lequel il relate son voyage, poursuit le conservateur. L'original n'a jamais été retrouvé et les quelques copies qui nous sont parvenues étaient en très mauvais état."
Toutes sauf une : celle, du financier américain Jack Pierpont Morgan Junior, dit J. P. Morgan Jr., et exposée au sein de sa collection très privée, dans la Morgan Library and Museum. "Jacques Habert a pu consulter ce précieux document et prouver que New York s'était appelée Nouvelle-Angoulême, avant de devenir hollandaise au XVIIe, anglaise jusqu'au XVIIIe, puis américaine."
Deux maires pour Angoulême
Le chercheur français, passionné par les explorations maritimes de l'époque moderne, est d'abord peu considéré. "Verrazzano a longtemps été pris pour un corsaire. C'était surprenant de nommer une ville d’après le titre d'un roi, et non pas d'après un saint, comme il était de coutume."
Il finit par recevoir l'appui de sociétés savantes new-yorkaises, et plus encore. "Le maire de New York de l'époque, Vincent Richard Impellitteri, s'en est mêlé. Pour inaugurer une statue de Verrazzano à Battery Park, en 1952, il a invité l'édile d'Angoulême d'alors, Roger Baudrin, en lui écrivant : "Vous êtes le maire de la vieille Angoulême, je suis le maire de la nouvelle"."
Lors de la cérémonie, Roger Baudrin, reçu en grande pompe, a pu glisser une pelletée de terre d’Angoulême sous la sculpture. "C'était un voyage merveilleux, qu'il a raconté à son retour lors d'une conférence qui a duré toute une soirée", indique Florent Gaillard. De son côté, Jacques Habert partage également ses recherches, lors de rencontres avec le public, aux États-Unis et en France.
Carte de la statue de Giovanni da Verrazzano à Battery Park, à New York (États-Unis)
"Le grand combat de sa vie"
C'est lors de l'une d'entre elles que le directeur des archives de la cité charentaise a rencontré le professeur. "C’était un homme passionné et passionnant. Faire connaitre et reconnaitre cette parenté entre Angoulême et New York était le grand combat de sa vie. Il en parlait tout le temps et à tout le monde !”
Ultime cadeau offert par le spécialiste à la mémoire de cet évènement : l'érection du pont Verrazzano-Narrows, soutenue par le sénateur Rockerfeller. En 2019, la réalisatrice française Marie-France Brière a consacré un documentaire à cette histoire tirée des oubliettes, intitulé Et si New York s'appelait Angoulême ? Florent Gaillard y tient un rôle de premier plan. "Elle a contribué à remettre en lumière cette partie méconnue de l'histoire de la ville de New-York, c'était passionnant de participer à son projet."
Aux archives de la ville, le responsable des lieux conserve nombre de documents qui attestent de la correspondance échangée entre les édiles, mais également des planisphères portant la mention Nouvelle-Angoulême, à l'emplacement de New York. "Entre 1524 et le début du XVIe siècle, globes et cartes indiquaient Angoulême. C'est extraordinaire !"
Un héritage encore visible
Encore aujourd'hui, la ville charentaise conserve des traces de ce lien particulier. Le square Kennedy, nommé en hommage au président assassiné en 1953. Les allées New York, bientôt décorées d'une plaque relatant le parcours de Verrazzano. Mais aussi une grande fresque, "face à la gare, réalisée par Nicolas de Crécy, et qui représente New-York-sur-Charente", une cité imaginaire, inspirée des deux villes.
Le 500ᵉ anniversaire de l'arrivée de Verrazzano à New York, sera célébré pendant plusieurs mois. Conférences, expositions, ateliers scolaires et bien d'autres activités doivent rendre hommage "au plus ancien lien entre la France et les États-Unis", sourit Florent Gaillard.