Le 14 mars 2024, Xavier Favre, président de l'association Charente Palestine Solidarité, a entamé un séjour de six jours en Cisjordanie. L'ancien enseignant connaît bien la zone : c'était la dixième fois qu'il se rendait sur place depuis 2005. Il a pu constater les changements depuis les attaques du 7 octobre. Récit.
Ce dimanche 24 mars 2024, Xavier Favre est encore secoué par les choses qu'il a vues et les personnes qu'il a rencontrées. Il est rentré l'avant-veille de Cisjordanie. Le président de Charente Palestine Solidarité connaît bien le terrain. En 1996, il se rend avec sa famille dans le Sud du Liban pour former des enseignants et devient bénévole le soir dans un camp de réfugiés palestiniens.
Au total, Xavier Favre a déjà effectué huit séjours dans la zone, en "mission civile de protection du peuple palestinien", explique-t-il. "J'avais aidé mes amis à défendre leurs maisons, j'avais participé aux manifestations du vendredi et aidé à protéger les plantations d'oliviers. Donc j'avais des amis en Palestine et depuis novembre 2023, il me trottait l'idée d'aller les voir."
Il s'agissait cette fois de son dixième voyage dans la zone depuis 2005. C'était aussi la première fois qu'il s'y rendait depuis les attaques du 7 octobre 2023. Récit mouvementé d'un séjour d'une semaine.
Jour 1 : Jérusalem
"Mon premier objectif, c'était retrouver mes amis, mais aussi, je me sentais un peu ambassadeur de la Charente, de ceux qui manifestent pour la paix", raconte-t-il. "Il n'y a pas besoin de visa pour un séjour de moins de trois mois, et j'ai dit que j'étais pèlerin."
Première destination : Jérusalem. Il faut faire vite et le temps est compté pour Xavier Favre, qui n'a pas revu ses amis palestiniens depuis plusieurs années. À Sheikh Jarrah, il retrouve Saleh, qu'il connaît de longue date. "Ça faisait cinq ans que je n’étais pas allé en Palestine. Pendant des années, j'ai campé devant chez eux pour empêcher l'armée et les colons de prendre leurs maisons", se rappelle-t-il. "Je n’étais pas du tout sûr de le trouver dans sa maison et son quartier. Ses voisins ont été expulsés par des colons israéliens."
Mon premier objectif, c'était retrouver mes amis, mais aussi, je me sentais un peu ambassadeur de la Charente, de ceux qui manifestent.
Xavier FavrePrésident de Charente Palestine Solidarité
Ces retrouvailles ont été l'occasion de se raconter leurs vies respectives. "Pour ses deux grandes filles de 20 et 22 ans, c’est un calvaire d’aller tous les jours à l'université, de passer des checkpoints. Saleh lui-même a fait de la prison, il a les jambes cassées, il est marqué dans son corps et son esprit aussi."
En arrivant, Xavier Favre est tout de suite confronté à l'hostilité des colons israéliens : "Je ne comprends pas l'hébreu, mais là, je suis sûr que ces enfants m'insultaient." Mais un autre moment l'a particulièrement marqué : la prière à la mosquée Al-Aqsa. "Saleh est très religieux, il va tous les jours prier à la grande mosquée de Jérusalem. Le flot des croyants est mis en joue, et moi aussi, je n'avais jamais vécu ça à ce point. Ça se passe porte de Damas, c'est une scène de la vie quotidienne."
Xavier Favre s'est approché au plus près des soldats israéliens : "Je m’aperçois en m’approchant d'une des guérites, les soldats chantaient une chanson légère. Ça me fait mal. Que se passe-t-il dans leurs têtes ?" Dans un message envoyé le soir-même à ses proches, Xavier Favre écrit : "Je me sens ce soir vidé et habité d'émotions contradictoires, entre l'horreur devant la violence et la joie d'être là, partageant un peu les murmures de ceux qui rêvent."
Jour 2 : Bethléem
Ce jour-là, Xavier Favre se rend à Bethléem pour rendre visite à Eyman, Rim et Salim. Ce dernier tient avec son épouse Rim un groupe de danse palestinienne. À l'été 2024, il est prévu pour eux de se rendre en Algérie. Xavier Favre les avait rencontrés lors d'une visite à Angoulême il y a quelques années. "On les avait reçus dans nos maisons. Ce qui est incroyable, c’est qu’ils ont toujours cette volonté, cet espoir", constate-t-il. Salim et son groupe de danse, nommé Joudhour, espère retourner en France en 2025 : "Un spectacle de danses palestiniennes, c'est aussi résister, offrir une éducation populaire, garder leur propre culture quand le projet de l’extrême-droite israélienne est aussi de l'annihiler."
Mais une fois sur les lieux, au camp de réfugiés de Dheisheh, il réalise que ses amis sont "presque enfermés chez eux". "Rim a perdu son emploi et reste chez elle. Leurs enfants, qui sont au lycée et à l'université, suivent des cours en ligne, c'est compliqué de sortir dès la nuit tombée. En face de chez eux, la police est venue arrêter deux jeunes. C’est une survie."
Salim, lui, a perdu le permis de travail qui lui permettait de travailler en Israël et de passer les checkpoints. Xavier Favre est lui aussi passé par ces points de contrôle. "J'ai pris les barrages miliaires en photo. Les soldats m’ont vu, il fallait avoir des gestes sereins et calmes pour sortir son passeport. Heureusement que j'étais Français..."
L'UNRWA, l'agence des Nations unies en charge des réfugiés palestiniens, a vu son financement suspendu à la fin du mois de janvier 2024. Conséquence : Eyman, salarié de l'agence, ne touche plus que les deux tiers de son salaire.
En raison de la présence de l'armée israélienne dans le camp, Xavier Favre n'a pas pu aller rendre visite à d'autres personnes. "Ils me disent qu'il n'y a aucun risque selon eux que je sois là, mais ce n'est pas sûr du tout. Ce n'est pas possible pour eux, par amitié, de me dire la vérité, je ne connais pas la réponse."
Xavier Favre a également pu donner à ses amis le fruit des collectes effectuées par Charente Palestine Solidarité. 3 500 euros en tout, qui serviront à financer le groupe de danse et également des actions dans la bande de Gaza, inaccessible.
Jour 3 : Idna
Étape suivante pour le Charentais, la ville d'Idna, située au sud de la Cisjordanie. "Là, les changements sont très frappants. En 2005, il y avait quelques colonies, isolées, et identifiables. Aujourd'hui, les colonies se sont multipliées, partout, partout, partout. Il n'y a plus de panneaux indicateurs pour les villages palestiniens. On connaît un peu l’horreur de Gaza, on connaît aussi la Cisjordanie mais moins."
Aujourd'hui, les colonies se sont multipliées, partout, partout, partout.
Xavier FavrePrésident de Charente Palestine Solidarité
Xavier Favre compare la situation en Cisjordanie à l’apartheid. "Ca rappelle de mauvais souvenirs, comme les bus avec Rosa Parks aux États-Unis. C'est de l'humiliation et du contrôle. La colonisation a mathématiquement quadrillé le territoire."
À Idna, Xavier Favre retrouve Jaber Abou Khalid, élu maire de la commune il y a deux ans et membre du Parti populaire palestinien. Xavier Favre écrit : "Avec ses 40 000 habitants, ses 23 écoles (qui restent ouvertes 3 jours par semaine par manque d'argent), ses 83 employés municipaux, Idna est entourée de colonies." L'élu recevait alors des représentants de l’ambassade italienne et représentants de l'ONU à Ramallah, pour parler de ce qui est l'équivalent d'une maison des femmes.
"On a à peu près le même âge, des enfants du même âge. Il n'a pas d'argent mais il se bat", détaille Xavier Favre. "J'ai constaté une vraie maturité politique."
Jours 4 à 6 : retour à Sheikh Jarrah
Pendant les derniers jours de son voyage, Xavier Favre s'est baladé dans la vieille ville de Jérusalem. Il a aussi constaté le contraste entre les deux parties de Jérusalem. "À Jérusalem-Ouest, les hôtels sont moins remplis car il y a moins de pèlerins, mais il n'y a pas de différences avec avant. En revanche, à Jérusalem-Est, les magasins de première nécessité seulement sont ouverts mais les magasins de tourisme sont fermés et le quadrillage militaire est absolument révoltant."
Je me sens messager de mes amis palestiniens, de leurs espoirs et de leurs souffrances.
Xavier FavrePrésident de Charente Palestine Solidarité
Les conditions économiques des Palestiniens sont elles aussi inacceptables : "Tout est très cher, toute l’économie de la Cisjordanie est contrôlée par Israël. L'eau est prise par Israël et revendue très cher aux Palestiniens."
Mais ce que le Charentais retient de son voyage, c'est la capacité de résilience de ses amis israéliens, comme Jaber Abou Khalid, qui ne manque pas de projets pour Idna. "Les amis que j'ai rencontrés, ce ne sont pas n’importe lesquels, mais parmi tous les Palestiniens rencontrés en six jours, aucun ne m’a dit du mal des Juifs. De Benjamin Netanyahu (Premier ministre israélien, ndlr), de ses ministres d’extrême-droite, oui, mais pas des Juifs. Ils attendent une reconnaissance de l’Etat palestinien, application du droit international pour enclencher la paix."
Maintenant de retour en Charente, Xavier Favre déclare se "sentir messager de mes amis palestiniens, de leurs espoirs et de leurs souffrances. Je ne veux pas garder tout pour moi, je me sens un peu comme obligé, mais dans le bon sens du terme, c'est-à-dire que je me dois de transmettre dans cette espèce de lien très fort, humain."
Le président de Charente Palestine Solidarité espère pouvoir organiser très bientôt des soirées de restitution dans les quartiers d’Angoulême. Ce mardi 26 mars, il doit rencontrer le maire d'Angoulême mardi et voudrait à long terme prendre rendez-vous avec des sénateurs et des députés.