La BD, une affaire d'hommes ? Avant les années 70, assurément. Mais depuis la pionnière Claire Brétécher, les femmes ont mis le pied dans la porte et investi ce domaine artistique si masculin. A l'occasion des 50 ans du Festival de BD d'Angoulême, cinq autrices retracent leur parcours avec humour et détermination, et le chemin à parcourir.
Qu'ont-elles en commun ? Laureline Mattiussi, Sandrine Revel, Jeanne Puchol, Claire Gaudriot sont dessinatrices. Marie Bardiaux-Vaïente est scénariste. Toutes ces femmes vivent de leur art, le dessin, et témoignent devant la caméra de Laurent Tournebise de la place du deuxième sexe dans le 9e art.
Pour passer d'une discipline artistique exclusivement masculine au sacre de la canadienne Julie Doucet, Grand Prix de la dernière édition d'Angoulême en 2022, il y a un monde. Un monde dont les lignes ont bougé et toutes les cinq en sont les témoins privilégiées.
Les clichés sur les femmes dessinatrices ont la peau aussi dure que ceux des héroïnes de bande dessinée, femmes fatales à la beauté plastique trop parfaite, ou, à l'inverse, figures maternantes d'un monde limité au foyer familial.
La pionnière Brétécher
Mais, comme le rappelle Jeanne Puchol, Claire Brétécher est apparue dans les années 70 comme un diable surgissant dans sa boîte et a donné un coup de pied dans la fourmilière. Sa première héroïne ? Cellulite. Rien que son nom plante le décor et donne le don.
L'irrévérence a trouvé son visage : Claire Brétécher renverse la table. Agrippine est la reine des punchlines, avant même que le mot existe.
Et l'homme en prend pour son grade.
Et pourtant, vivre de son art ne lui paraissait pas évident.
Ce métier me paraissait inaccessible, mais j'ai toujours dessiné depuis l'âge de trois ans, et toujours sous forme de bande dessinée.
Claire Brétécher
Mais il fallait du cran pour s'engouffrer dans une brèche ouverte par Brétécher. Laureline Mattiussi rappelle que rien que le mot "autrice" a été difficile à faire passer. La place des femmes dans la bande dessinée ne leur a pas été accordée avec une révérence. Il a fallu la gagner, aller la chercher. Chacune de nos cinq témoins a en mémoire des phrases de la misogynie ordinaire.
Tu dessines bien pour une femme.
Jeanne Puchol, autrice de BDDocumentaire "9e Art et deuxième sexe"
Féminisme assumé
Toutes assument leur féminisme, dans leurs propos, dans leurs dessins.
Laureline Mattiussi, dans L'île au poulailler, s'amuse à créer une héroïne flibustière, dont le charme n'est pas physique et le langage plutôt vulgaire.
Sandrine Revel, originaire de Langon et ancienne élève du Conservatoire des Beaux-Arts de Bordeaux, après avoir travaillé dans l'univers jeunesse, a publié l'année dernière l'adaptation en BD du livre d'Annick Cojean, Grand Reporter au Monde, sur le procès de 1972 à Bobigny. Ce procès emblématique sur le droit à l'avortement gagné par l'avocate tout aussi emblématique Gisèle Halimi.
Le dernier d'une belle lignée d'ouvrages consacrés aux droits des femmes, comme Résurgences, femmes en voie de désociabilisation ou un portrait de Marylin Monroe.
Jeanne Puchol n'y est pas allée par quatre chemins. Le titre de son premier album ? Ringard !
Si elle a consacré un album à François Mitterrand ou plus récemment à Malik Oussekine, sa contribution au mouvement féministe est le fil rouge de son oeuvre. L'acmé de son engagement étant sans doute celui sur Jeanne d'Arc en 2012, scénarisé par Valérie Mangin, qui pose une question presque blasphématoire : et si Jeanne d'Arc était une sorcière ?
L'humour pour servir leurs valeurs
En 2015, elle fait partie du tout nouveau collectif BD Egalité, une association non mixte qui permet aux autrices de se regrouper, d'échanger et de s'épauler.
La scénariste et historienne Marie Bardiaux-Vaïente fait également partie de ce collectif. "La BD est un art populaire dans le sens noble du terme. Elle permet de porter à la connaissance du plus grand nombre des sujets politiques ou de société. Et le féminisme en est un." témoigne-t-elle ainsi de son engagement
Si je suis une activiste féministe, c'est parce que le féminisme est une quête de justice.
Marie Bardiaux-Vaïente, autrice de BDDocumentaire "9e Art et deuxième sexe"
Féminisme également revendiqué par Claire Gaudriot. Issue du milieu de la BD jeunesse, elle a consacré plusieurs albums à des portraits de femmes, héroïnes de la vie réelle, qui ont choisi la liberté plutôt que le chemin tout tracé qui leur était imposé. A commencer par Calamity Jane.
Ou encore Ada Lovelace, comtesse anglaise de son état, célèbre pour avoir inventé le premier programme informatique ... au 19e siècle.
Sans y être invitées, les femmes ont investi le monde de la BD. Elles lui ont apporté un côté sérieux et lui ont permis de sortir de ses deux univers imposés : la jeunesse et la fantaisie. De manière frontale, elles ont profondément influencé la perception de la BD, du scénario au graphisme. Avec détermination, nous l'avons vu, mais aussi avec une arme plus pernicieuse : l'humour. Un humour parfois subtile, en écho inversé aux remarques souvent balourdes du machisme ordinaire.
La subversion des femmes passe par le rire.
Jeanne PucholDocumentaire "9e Art et deuxième sexe"
Le long chemin de la reconnaissance
Aujourd'hui, une nouvelle génération arrive, plus nombreuse, plus audacieuse, rendue confiante par les combats de leurs aînées. Si les lignes ont indubitablement bougé, les stéréotypes ont la peau dure, dans la BD comme ailleurs.
En cinquante ans, le Festival d'Angoulême n'a distingué que quatre femmes : Claire Brétécher en 1982 avec le Prix spécial du 10e anniversaire, et trois Grands Prix pour Florence Cestac en 2000, Rumiko Takahashi en 2014 et Julie Doucet en 2022. La parité est encore loin.
Les planches racontant l'histoire des femmes et de la BD restent nombreuses à écrire.
Le festival sur France 3
France 3 Nouvelle-Aquitaine se mobilise pour fêter avec vous les 50 ans du Festival de BD d'Angoulême et vous faire vivre ses temps forts, rencontres, dédicaces entre autres. A voir et revoir sur notre plateforme France.tv.
