Livre : la Charente vue par Serge Sanchez, une balade fluviale moins bucolique qu'il n'y parait

Dans son dernier roman, "Voyage le long de la Charente", l'écrivain et journaliste littéraire nous convie à une randonnée baroque où se mêlent anecdotes historiques et fictions poétiques.

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Par définition, le lecteur est curieux. Certains le disent aussi faignant. En tout cas, celui dont le regard sera inévitablement happé par ce petit livre à couverture jaune canari, ne pourra que s'interroger sur le sous-titre de ce "Voyage le long de la Charente". "Avec un chat, un poney et un dauphin (ou pas) ", s'est donc cru bon de rajouter Serge Sanchez. Les éditions bordelaises Le Festin ayant eu l'obligeance de proposer l'ouvrage au prix modique de quinze euros, curieux ou faignant, ce lecteur donc sera sûrement tenté de débourser cette humble somme pour trouver réponse à ces interrogations. Et c'était justement l'objectif non avoué de l'auteur, un subterfuge marketing dont il se justifiera très vite dans "les réflexions liminaires" qui précèdent "le Voyage".

Selon lui, "Le Homard de Flaubert", son précédent forfait aux éditions Gallimard, ne s'était vendu qu'à vingt-sept exemplaires. "Je pouvais me vanter d’avoir pulvérisé le record des plus mauvaises ventes de l’année, peut-être même de la décennie", écrit Sanchez, "Mon éditeur n’en tirait pas la même satisfaction que moi". Le lecteur, curieux ou faignant, devrait toujours se méfier de l'écrivain menteur.

Quoi qu'il en soit, c'est ainsi que notre narrateur explique la présence de ce bestiaire en couverture : "Après quelques recherches dans l’argus de l’édition, j’eus la confirmation que les livres sur les chats se vendent admirablement bien, quelle que soit la médiocrité de leur auteur. En deuxième position, viennent les livres sur les poneys. Grosso modo, un livre suffisamment fourni en poneys peut vous permettre d’acheter une voiture neuve. En troisième position, on trouve les dauphins. Un dauphin bien placé appâte son lecteur aussi efficacement que de la cervelle de truie attire les brochets". CQFD.

En route donc sur les rives de la Charente. Cela fait bien longtemps maintenant que le journaliste et producteur radiophonique a élu domicile à Rivières, charmante bourgade située dans la vallée de la Tardoire à deux kilomètres au nord-ouest de La Rochefoucauld (16). Mais c'est à Chéronnac, à la frontière de la Haute-Vienne, que débute notre périple, là où le fleuve prend sa source, "un filet d’eau qui surgit timidement d’un tuyau et s’écoule dans une vasque de pierres aménagée par la municipalité". Le ton est donné. "C’est pas ben excitant, ton affaire, me dit Bettina en faisant la moue. J’ai la même chose sur l’évier de ma cuisine, sauf qu’en plus, je peux régler la température". Ah oui, au fait, on n'avait oublié de vous présenter, Bettina alias Betty, compagnonne de route.

A chaque étape, Civray, Mansle, Jarnac, Sanchez fait des détours mentaux, des circonvolutions littéraires, digresse avec des anecdotes locales mitonnées à sa sauce. Comme cette relique, "un morceau de chair rouge", précieusement conservée dans l'abbaye bénédictine de Charroux : "On disait que la Précieuse Viande n’était autre que le Prépuce du Christ ! Après la circoncision, qui avait eu lieu à Bethléem huit jours après la naissance du Sauveur, il n’était pas possible de le traiter comme un vulgaire morceau de gras abandonné sur le bord de l’assiette. C’était tout de même le Prépuce du Christ !"

"J’aime bien m’appuyer sur des connaissances objectives et ensuite improviser comme on ferait dans le jazz" nous confie le romancier, "je crois que tout est littérature en réalité et qu’on n’est jamais en dehors de ce qu’on écrit. Je ne suis pas historien et je ne voulais pas répéter ce qui a déjà été fait. D’autres sont capables de faire beaucoup mieux dans le domaine historique. Mon propos, c’était de raconter une histoire, d’opérer un dévoilement qui peut peut-être amuser dans une période assez sombre et finalement d’écrire des choses fausses pour dire des vérités".

Cette balade, c'est donc un road movie à la Hunter S. Thomson mais en mode rural, du gonzo journalisme un peu provoc dans un décor de désertification campagnarde. L'histoire avec un grand "H" y côtoie sans vergogne le fait divers le plus glauque comme le suicide de cette pauvresse à Nersac qui s'avance dangeureusement dans le lit du fleuve, une grosse pierre entre les bras. "Le courant va vous emporter. C’est pas beau à voir un noyé. Si vous êtes un peu coquette, pensez-y", intervient mollement le narrateur. Erudition, auto-dérision et plume acérée, Sanchez voyage léger et n'emporte que l'essentiel dans sa besace. Ce curieux de lecteur en aura pour son compte. 

Quant au risque de s'ennuyer avec, entre les mains, un mauvais guide touristique, on l'aura compris, il est fort minime avec Serge Sanchez. Il n'a pas prévu en tout cas de postuler à l'office de tourisme de Ruffec - "On est entrés dans la ville sans s’en apercevoir, en douceur, comme un suppositoire dans le derrière d’un évêque" - ou de Cognac - "un lieu de grisaille et non de griserie". Les paysages sont magnifiquement décrits, mais la dure réalité d'une campagne charentaise aussi. "C’est vrai que c’est joli, que c’est beau mais ça meurt. Il y a des difficultés, du chômage, des maisons à l’abandon, des gens dans la misère, tout ça existe et ça fait partie aussi du paysage", explique-t-il.

Et les chats, me direz-vous, les poneys et les dauphins promis sur la couverture ? Rassure toi, ô curieux lecteur, la route est longue et au bout du fleuve, il y a l'estuaire. Finalement, ce petit livre jaune canari est bien plus que la relation d'un court périple en terre charentaise. "Je me demandai s’il nous sera donné un jour de deviner la signification de nos vies et de nos voyages", s'interroge le narrateur. Nous aussi.

 

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