Dans ce village corrézien, l'Histoire avait complétement occulté la rafle des réfugiés juifs et leur déportation. Un long travail d'enquête a permis de retrouver les descendants de ces victimes, qui ont renoué avec leur histoire familiale. En ce dimanche, journée nationale du souvenir de la déportation, les habitants de Beynat ont vécu une commémoration très émouvante.
C'est un moment extrêmement fort qu'on partagé les descendants des victimes de la rafle des réfugiés juifs du 2 avril 1944 à Beynat (Corrèze) par la division nazie Brehmer. Dix personnes sont mortes dans les camps, trois femmes ont survécu. Un événement que l'Histoire avait complètement occulté. Ce sont des années d'obstination et un peu de chance qui ont permis à la famille Gold de se réunir autour de photos, de visages.
La parenthèse qu'a été Beynat a été écrasée par la suite, par la vie dans les camps, l'extermination.
SophieNièce d'Annie Gold
"C'est une chance de pouvoir récupérer cette mémoire mais c'est douloureux à la fois, tu ne peux pas t'imaginer ce qu'ils ont pu vivre, tu ne peux pas te mettre à leur place malgré tous les films, toute la littérature...", explique Annie Gold.
"Je suis enfant de déportés. On rebatit l'histoire exacte, on passe du fantasme à la réalité. Quand on n'a pas de témoignages, on imagine. Et là, on se retrouve avec une histoire vraie", renchérit Paul Gelbhart, cousin d'Annie Gold.
C'est ce dimanche 28 avril 2024 que les descendants découvrent pour la première fois cette date du 2 avril 1944. "Ma mère me disait qu'ils s'étaient réfugié dans un village dans le centre de la France, près de Brive, mais je n'ai aucun souvenir du nom de Beynat. Elle ne parlait pas beaucoup. Il y a beaucoup de rescapés qui ont voulu faire un black out. En étant ici, ça devient tangible, plus réel, ce n'est plus ce qu'on te raconte", nous confie Annie Gold.
C'est un voyage de bonheur car nous sommes vivants.
PabloFils d'Annie Gold
Si Beynat renoue avec son passé, une famille retrouve son histoire. "C'est une partie de l'histoire familiale très importante, qui commence avec un tatouage qu'avait ma grand-mère sur le bras. Je ne comprenais pas ce qu'il signifiait. Je me souviens que ma mère m'a raconté l'histoire de ce tatouage et ce qu'il représentait quand j'avais 10 ans, dans le train. Je ne pouvais pas m'arrêter de pleurer. Ces larmes de douleur m'accompagnent encore", se souvient Pablo, le fils d'Annie. "L'autre jour, je parlais du peuple juif avec ma mère et je n'arrêtais pas de pleurer, je ne sais pas pourquoi. C'est à ce moment que je me suis senti attaché au peuple juif, que je me suis senti Juif. C'est un voyage de bonheur car nous sommes vivants", sourit le jeune homme.
Seules 37 personnes sur 1 004 ont survécu au convoi 72
Sarah Sztajnbuch et sa fille Fanny seront sauvées par un soldat allemand qui va les aider à s'enfuir. Elle reviendront à Beynat trois à quatre jours plus tard saines et sauves. La petite Suzanne Tempel, elle, sera cachée et prise en charge par la sage-femme de Beynat, Hortense Puyaubert.
Hermance et Jeanne Roueff, Blanche et Théophile Hirtz et Jacques Gold n'auront pas cette chance. Ils seront amenés vers les camps d'extermination et exterminés dans les chambres à gaz dès leur arrivée à Auschwitz.
Seules trois femmes, Renée Gold-Sztajnbuch, sa mère Rose Gold et sa tante Dora Berger survivront aux camps d'extermination. Elles connaîtront et résisteront, avec Simone Veil, aux "marches de la mort" d'Auschwitz en Pologne jusqu'à Bergen-Belsen en Allemagne, où elles seront libérées par les forces anglaises. Du convoi 72 comprenant 1 004 hommes, femmes et enfants, survivront seulement 37 personnes, dont 25 femmes et parmi elles, ces trois femmes raflées à Beynat.
Le devoir de transmission a résonné : des centaines de personnes sont venues écouter ce récit, pour se souvenir.
VIDEO ⇒ reportage signé Jean Perrier, Noa Thomas et Sophie Spielvogel.