En dix ans, la consommation de viande par les Français stagne. Selon un rapport de Réseau Action Climat publié en février dernier, la consommation totale brute de viande a même légèrement augmenté de 7 % à l’échelle nationale par rapport au début des années 2000. Une tendance inquiétante selon les experts, qui pourrait entraver la capacité du pays à atteindre ses objectifs climatiques.
À la veille du festival de l’élevage de Brive, un débat citoyen était organisé pour interroger les consommateurs limousins sur leur rapport à la viande.
“Il faut que l’on se pose la question sur la façon dont l’on gère le meurtre alimentaire”, clame Jean-Pierre Poulain, sociologue et animateur du débat citoyen en marge du festival de l’élevage à Brive. “Le rapport à la viande a changé, notre rapport aux animaux s’est transformé”, poursuit-il. “Les animaux de compagnies se sont anthropomorphisés, les animaux sauvages se sont idéalisés. Et entre les deux, on a du mal à penser les animaux que l’on mange. Cela explique la difficulté des mangeurs contemporains qui sont mal à l’aise dans leur assiette”, conclut le sociologue.
“On est des mangeurs de viande en France”
Des mangeurs “mal dans leur assiette”, mais une consommation de viande qui ne faiblit pas depuis le début des années 2000. Le rapport "Comment concilier nutrition et climat ?", publié en février dernier par Réseau Action Climat, une fédération d'associations impliquées dans la lutte contre le réchauffement climatique, et la Société française de nutrition, alerte sur une légère augmentation de la consommation française. “Culturellement, on est des mangeurs de viande en France”, affirme Geneviève Cazes-Valette, anthropologue, et autre animatrice du débat citoyen. “On ne change pas comme ça, on ne change pas d’habitude si facilement”. Réduire sa consommation de viande : une idée qui germe dans l’esprit de certains consommateurs, mais pas dans leur panier. “Il y a ce que les gens disent et ce que les gens font”, indique-t-elle. “Ce que les gens disent a évolué parce que le discours ambiant a évolué. Par exemple sur le bien-être animal, sur l’importance de manger moins de viande. Mais quand vous regardez les statistiques de vente de viande, c’est étale”, conclut-elle.
Les consommateurs affirment manger moins de viande, mais quand on regarde les consommations globales, on en mange autant, même un peu plus qu’il y a dix ans.
Jean-Pierre PoulainSociologue
En 2000, la France consommait 5 290 milliers de tonnes équivalent-carcasse (TEC), une unité qui permet de prendre en compte le poids de viande des animaux abattus et des produits transformés contenant de la viande. En 2023, ce chiffre a atteint 5 672 milliers de tonnes, soit une augmentation d'environ 7 %. “Les consommateurs affirment manger moins de viande, mais quand on regarde les consommations globales, on en mange autant, même un peu plus qu’il y a dix ans”, confirme Jean-Pierre Poulain.
La consommation de viande bovine à la baisse
Le bœuf est remplacé progressivement par la volaille, car on substitue une viande chère à une viande moins chère.
Jean-Pierre PoulainSociologue
Alors que la consommation de viande par habitant s'est, elle, stabilisée autour de 84 kgec (kilogrammes équivalent-carcasse) depuis 2010 selon le rapport de Réseau Action Climat, des changements de comportements de la part des consommateurs sont observés, notamment en raison de l’inflation. “Le bœuf est remplacé progressivement par la volaille, car on substitue une viande chère à une viande moins chère”, explique Jean-Pierre Poulain. “L’enjeu économique est majeur”, affirme quant à elle Geneviève Cazes-Valette, anthropologue. “Il explique en grande partie les choix de consommation au détriment de l’enjeu environnemental et sociétal”, conclut-elle.
À l’échelle nationale, la consommation de viande bovine est à son plus bas niveau depuis 20 ans. Elle était en moyenne de 26,3 kgec par habitant en 2003, contre 21,3 kgec l'an dernier, soit une baisse de 19 %.
L’importance d’une viande bovine locale
Selon le dernier rapport du Réseau Action Climat, l'une des conditions nécessaires pour que la France soit en mesure de respecter ses objectifs climatiques serait de diviser sa consommation de viande par deux.
La production de viande bovine a beaucoup d'atouts pour les territoires comme la création d’emploi ou encore la gestion de la biodiversité avec les prairies.
Jean-Louis PeyraudChercheur à la section scientifique agriculture, INRAE
Jean-Louis Peyraud, chercheur à la section scientifique agriculture à l'INRAE, insiste sur l’importance de la viande bovine, notamment en Limousin. Il invite les Français à se questionner sur l’origine de la viande qu’ils consomment. “Il faut informer les consommateurs, leur dire que si on commençait à produire de la viande chez nous, on émettrait moins de gaz à effet de serre que si on l’importait comme c’est le cas aujourd’hui, notamment du Brésil. Si la consommation n’évolue pas énormément, essayons de produire chez nous”, affirme-t-il. “La production de viande bovine a beaucoup d'atouts pour les territoires comme la création d’emploi ou encore la gestion de la biodiversité avec les prairies. Il ne faut pas réduire les effectifs de bovins pour ces raisons-là, mais il faut tout de même faire attention aux gaz à effet de serre”, poursuit le chercheur.
Manger moins de viande, tout en produisant localement, un défi immense alors que l'alimentation représente 22 % de l'empreinte carbone nationale, rappelle le rapport du Réseau Action Climat. À lui seul, l'élevage représente ainsi 46 mégatonnes d'équivalent CO2. "Si on ne fait rien, le secteur de l'élevage sera le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre de France dans 30 ans", conclut Jean-Louis Peyraud.