La description précise de l'exécution de 47 soldats de la Wehrmacht le 12 juin 1944 à Meymac ressemble beaucoup à un crime de guerre. Mais les faits dévoilés par Edmond Réveil, ancien résistant, sont prescrits et surtout à replacer dans leur contexte historique.
Edmond réveil a aujourd'hui 98 ans. En juin 1944, il en avait seulement 19. Il s'est engagé chez les francs-tireurs partisans (FTP), les résistants communistes, par conviction, pour lutter contre le nazisme.
Pour libérer sa conscience, il a raconté un épisode qui le hantait depuis cette époque lors de l'assemblée générale d'une association d'anciens combattants en 2019.
Philippe Brugère, le maire de Meymac, a alors proposé au vieux résistant d'enregistrer son témoignage. Il a accepté de le faire le 2 septembre 2020. Edmond Réveil a alors livré des éléments très précis laissant penser à un crime de guerre. Nous avons eu accès à la bande son.
Le contexte
Les 7 et 8 juin 1944, Edmond Réveil a participé à la prise de Tulle par la Résistance. Il a combattu à l'école normale où étaient stationnés des soldats de la Wehrmacht. C'est à ce moment que les FTP ont fait 54 prisonniers.
Ces derniers ont été transférés dans une grange près de Meymac : "Trente maquisards étaient mobilisés pour les garder. Quand ils ont été tués, sept ont été mis de côté parce qu'ils n'étaient pas allemands. La gestapiste française a été la treizième à être tuée."
D'après Edmond Réveil, l'ordre d'exécution serait venu du Général Koenig, qui chapeautait alors les forces françaises de l'intérieur : "Le groupement international des Américains, Anglais, Canadiens et Français venait régulièrement à Saint-Fréjoux, près d'Ussel (en Corrèze NDLR). Pourquoi Saint Fréjoux, parce que c'est ici que se trouvait un camp militaire et le terrain d'aviation de Thalamy. C'est eux qui ont donné l'ordre de les tuer, car on ne pouvait ni les garder ni les nourrir. Et puis à Caen, les Allemands avaient fusillé tous les prisonniers politiques".
En 1944, le général Koenig était le chef des forces françaises de l'intérieur (FFI), c'est-à-dire la résistance unifiée par le Général de Gaulle. Mais rien ne dit que l'ordre d'exécution n'est pas venu d'un de ses officiers subalternes.
Les Francs-tireurs partisans étaient des maquisards armés, qui ne portaient pas l'uniforme. Mais ils recevaient effectivement des ordres d'une hiérarchie constituée.
L'exécution
Le chef de la résistance de Meymac était un professeur de collège alsacien d'origine et parlait couramment l'allemand. Selon Edmond Réveil, "il a parlé à tous les soldats avant de les fusiller. Il a pleuré comme un gamin. C'est pas marrant de fusiller quelqu'un. On ne voulait pas les tuer."
Toujours selon son récit, les soldats ont été tués, un par un, d'une balle dans la nuque :" C'est nos chefs qui l'ont décidé pour nous aguerrir. J'ai personnellement refusé de tuer qui que ce soit. J'étais pacifiste et antimilitariste."
Les Allemands auraient creusé eux-mêmes leur tombe et ont été enterrés en uniforme avec leurs plaques d'identification et leurs papiers. Les fosses se trouveraient au lieu dit "Le Vert" : "On ne les a pas déclarés à la mairie. Car si les Allemands l'avaient appris, ils auraient pu commettre un massacre".
Les maquisards auraient recouvert les corps de chaux vive avant de les enterrer. Six corps auraient été exhumés peu après et conduit au cimetière de Rochefort.
La capitaine des maquisards ayant parlé à tous les condamnés, il est possible qu'une liste de ces derniers existe. Mais personne ne sait où elle pourrait se trouver pour permettre d'éventuelles identifications.
L'armée allemande a-t-elle conservé la liste de ses effectifs tullistes en 1944 ? C'est une vraie question.
Crime de guerre
La convention de Genève dicte les règles de conduite à adopter en période de guerre pour la protection des prisonniers. Un "crime de guerre" est une infraction grave à cette convention. L'homicide intentionnel entre dans cette catégorie.
Les Allemands prisonniers des maquisards de Meymac étaient désarmés et ne pouvaient plus être considérés comme des combattants. Il aurait fallu qu'ils soient détenus dans des conditions décentes et nourris.
La hiérarchie des FTP était constituée et ils recevaient des ordres d'un commandement unifié, selon Edmond Réveil. L'exécution ne peut donc pas être assimilée à une vengeance ou un meurtre classique. Il pourrait donc bien s'agir d'un crime de guerre, selon Jean-Pierre Massias, professeur de droit à l'université de Pau : "Les FTP n'avaient pas l'obligation d'appliquer un ordre illégal".
Mais ce crime est prescrit, les faits ayant eu lieu il y a plus de trente ans. Aucun procès ne sera donc organisé. Seuls les crimes contre l'humanité et les génocides sont imprescriptibles.
Le contexte
Jean-Pierre Massias ajoute qu'il est nécessaire de tenir compte du contexte historique de cette affaire : "l'analyse juridique n'est pas suffisante. Les nazis de la Das Reich menaient une politique de terreur en Limousin. Il faut replacer tout cela dans un contexte de violence global. À l'époque, le droit était un concept relatif, et les maquisards étaient traumatisés par un ennemi infiniment plus cruel, qui a violé tous les principes de la guerre".
Il ne faut pas introduire une dimension juridique à cette histoire qui ressurgit du passé, mais plutôt penser éthique et traitement politique.
Jean-Pierre Massias, professeur de droit à l'université de Pau
Philippe Brugère, le maire de Meymac, évoque aussi ce contexte si particulier : "Les maquisards étaient dans l'impasse vis-à-vis de ces prisonniers. Ils ne pouvaient ni les relâcher ni les garder. Ils n'avaient pas la logistique pour cela. Pas assez de nourriture et de gardes en nombre suffisant."
Des recherches seront prochainement menées pour retrouver ce qui reste des dépouilles des soldats, afin de leur donner une sépulture décente.