Les lettres du corbeau ont plané sur la ville de Tulle de 1917 à 1921, sans que son auteur se fasse prendre. Du 4 au 7 décembre 1922, Tulle vit à l'heure du procès de "L'œil de tigre" un corbeau qui terrorise la ville. 100 ans plus tard le tribunal s'est replongé dans ce procès hors normes. Rencontre avec Francette Vigneron, auteure de L'oeil de tigre, éditions Maïade.
La salle d’audience déborde de curieux ce jour-là. 100 ans après, le procès du Corbeau de Tulle, attire toujours les foules. Certains prennent des notes, d’autres boivent le récit de la comédienne du jour, Francette Vigneron, auteure de "L'œil de tigre : La vérité sur l'affaire du corbeau de Tulle".
En décembre 1922, l’ambiance dans la salle d’audience du tribunal est électrique, comme le raconte la presse de l’époque, dont un extrait est lu par Francette Vigneron :
« Quand à l’entrée d’Angèle Laval, cette foule, pousse un soupir rauque, qui s’achève en grognement repu, on sent qu’elle a choisi sa proie ».
L'excelsior, journal d'époque
Une proie à l’apparence fragile, mais à l’esprit diabolique. À la barre, celle qui est soupçonnée d’avoir écrit 110 lettres anonymes clame son innocence.
« Elle nie tout, elle n’a jamais rien fait, rien écrit. Tout cela n’existe pas. Elle se demande pourquoi elle est là. Et elle se défend pied à pied. Chaque qu’on essaie de l’accuser de quoi que ce soit », détaille Francette Vigneron.
« Et ses avocats, Maître Hesse et Maître Filliol, eux, ils plaident la nullité. La nullité de la procédure dans son ensemble ».
Pourtant c’est bien cette discrète salariée de la préfecture de Tulle qui va de 1917 à 1921 terroriser la ville semant l’effroi et la suspicion.
Se faisant appelé L’œil de Tigre, elle dévoile dans un langage ordurier, vols, adultères et calomnies en tout genre. Des missives, semées, çà et là, aux 4 coins de la ville et qui conduiront au suicide d’Auguste Gibert, greffier à la préfecture
« Deux lettres vont être distribuées en novembre 1921, qui disent, moi l’œil de tigre, c’est madame Gibert, femme de monsieur Gibert, greffier du conseil de préfecture et je suis L’œil de tigre, avec procuration de mon mari. Il est dit, aussi, c’est moi Gibert, l’œil de tigre. La réaction de Gibert, c’est de déclencher une crise de panique tellement grave, que cela va tourner à de la démence », raconte Francette Vigneron.
L’émoi est tel, que la chape de plomb, qui couvre jusqu’alors cette affaire, éclate. Tous les médias de l’époque se penchent alors sur l’œil de tigre. C’est Edmond Locard, célèbre graphologue qui finit par confondre Angèle Laval après voir fait rédiger une dictée à 8 femmes plus ou moins suspectées. Il rend son rapport le 7 mars 1922.
« Aucune des personnes convoquées pour les dictées n’a manifesté une émotion particulière. Sauf Angèle Laval. Toutes ont écrit d’une façon spontanée, sans altérer leur lettre, par des reprises ou des retouches, à l’exception d’Angèle Laval.»
Le 20 décembre 1922 la justice, clémente, condamne Angèle Laval à 1 mois de prison avec sursis.
La population, elle, la condamne à perpétuité. Elle finira ses jours au banc de la société dans son appartement du 111, rue de la barrière à Tulle.
Affaire Hors Norme dans un huis clos tulliste, l'affaire inspire en 1943 le réalisateur Henri Georges Clouzot, qui signe « Le Corbeau ». Un film qui contribua à donner au réalisateur ses lettres de noblesse.