Ce n'est pas une question d'âge, mais une question d'autonomie. Sans permis de conduire, difficile d'avoir une vie sociale, d'accéder à l'emploi ou d'aller au spectacle quand on vit dans un département rural. Un film documentaire tourné en Creuse raconte le quotidien de celles et ceux qui souhaitent conduire pour se sentir libres.
Dans la voiture-école de Jean-François Ranquet, on rit beaucoup, parfois les yeux se troublent, car l'émotion nous envahit. Liberté, Egalité, permis B est un film documentaire qui ne ressemble à aucun autre. La majorité du film se déroule dans la voiture d'une auto-école creusoise, située à Jarnages, à l'est de Guéret.
Depuis 1981, Jean-François Ranquet a accueilli dans ses véhicules un grand nombre d'élèves, ce qui représente des centaines de personnes, qui pour les plus anciens, ont obtenu le fameux sésame en papier rose et pour les derniers le permis au format de carte bancaire.
Le point commun entre ces deux documents ? L'accessibilité à la liberté de se déplacer. Cela peut paraître banal pour beaucoup, mais lorsque l'on vit en Creuse, comme dans d'autres territoires ruraux, cela devient essentiel et un moyen d'émancipation.
⇒ CARTE : La Creuse, départemental rural dans le centre de la France, accueille 115 702 habitants. (recensement 2021)
Ce documentaire a été tourné durant l'été 2023, quelques mois avant que le moniteur apprécié de plusieurs générations ne goûte à une retraite méritée depuis décembre 2023. Quarante-deux ans d'activité, cela représente près de 4000 personnes qui ont obtenu leur permis de conduire grâce à lui et à ses enseignements.
Guillaume Estivie, la Creuse d'abord
"Conduire n'est pas forcément un moyen de fuir la Creuse, c'est avant tout "une nécessité pour vivre et mieux vivre ici" a confessé le réalisateur sur France Bleu Creuse.
Le nombre d'auto-écoles dans ce département de l'ex-région Limousin a beaucoup diminué en quelques décennies, au point que certains élèves doivent parfois parcourir quarante kilomètres pour venir prendre des cours de conduite.
Ce film montre bien plus que des heures d'apprentissage. On découvre que le moniteur est aussi doué d'un sens de l'écoute et de l'empathie extraordinaire. S'impose alors en nous la certitude que celui que tous appellent Jean-François, a mis de nouveaux conducteurs sur les routes creusoises, mais qu'il les a aussi et souvent assurément mis sur des routes de vie apaisées.
Grâce à un choix de tournage au cœur de l'habitacle, nous suivons les joies des apprentis conducteurs, leurs craintes et aussi leurs confidences souvent très personnelles. Leur intimité devient la nôtre.
Pour le réalisateur Guillaume Estivie, bien connu des Creusois pour avoir réalisé le film documentaire "I love Guéret", il n'était pas envisageable de tourner Liberté, Égalité, permis B ailleurs que sur les routes creusoises. Ses parents vivent encore aujourd'hui dans ce département dans lequel il est né. Il s'est confié récemment à nos confrères de La Montagne :
J’ai toujours voulu faire une série sur les auto-écoles. J’avais déjà fait une série sur les taxis (Taxi Show) dans les grandes villes du monde et je voulais faire la même chose en Creuse. Avec l’auto-école, ça me plaisait encore plus parce qu’il y avait ce côté feuilleton.
Guillaume Estivie, réalisateurLa Montagne - Bureau de Guéret
Pour la coproductrice du film, Mélissa Theuriau (416 Prod) il aurait été sûrement plus compliqué de tourner ce film ailleurs qu'en Creuse.
D'abord, parce que Guillaume Estivie est sur ces routes-là chez lui. Ensuite parce qu'il connait mieux que n'importe qui ce sentiment d'obligation de se déplacer alors que les transports en commun ne desservent pas tous les villages. Et enfin parce qu'elle savait que le regard de Guillaume Estivie porté sur les apprenants serait, sans aucun doute possible, attentif et respectueux.
L'auto-école, lieu de confidences
Geneviève avait essayé de passer le code de la route quand elle avait 25 ans, mais cinq échecs et un coût financier non négligeable l'ont poussé à abandonner, a fortiori quand une fois mariée, son mari pouvait la véhiculer. Après le décès de celui-ci, elle n'avait plus le choix. Aller faire ses courses, honorer un rendez-vous chez le médecin, aller voir des amis... sans permis de conduite, ce n'est pas envisageable.
Alors, elle a franchi le pas et Jean-François l'a accompagnée. Conduire n'est pas inné et ni le besoin ni l'envie ne rendent la chose facile quand on est inscrite dans la catégorie des seniors. Victime d'un accident vasculaire cérébale, elle fait preuve d'un courage qui nous touche. Elle n'a pas obtenu son permis, mais le simple fait d'avoir eu l'envie de le passer suffit à faire de Geneviève une femme remarquable.
Une autre élève est montée dans la voiture de Jean-François comme on pénètre dans un lieu protecteur, avec le besoin de ne pas être chez elle, d'oublier un compagnon violent. Elle le dit, elle le verbalise et elle nous bouleverse. Une heure de conduite, c'est aussi pour elle une heure hors de son quotidien bouleversé. Sans le dire, elle sait qu'elle peut compter sur la discrétion de son moniteur d'auto-école. Des histoires de vie, il en a entendu des milliers. Il pourrait en raconter autant, mais ce qui se passe dans cette voiture qui avale les kilomètres des routes de Creuse ne part pas ailleurs. Confidence pour confidence, c'est aussi ce que Jean-François aime dans ce métier exercé si longtemps : le contact humain. Chaque heure de conduite est différente de la précédente.
Le moniteur une fois de plus trouve les mots justes, ceux de la réconciliation avec soi-même. L'auto-école devient alors bien plus qu'un lieu d'apprentissage et on comprend très vite que cela tient à la personnalité de celui qui donne les instructions, comme un guide, comme un conseiller.
Avec le temps, il a appris à savoir si celui ou celle avec qui il va partager un peu de temps est en forme ou non, est disponible ou non. Ça ressemble à un don, à moins que cela ne tienne en une phrase, simple, efficace, imparable : aimer les autres.
Un conducteur doit repasser son permis, une histoire un peu idiote d'un ou deux verres en trop et d'une ceinture de sécurité oubliée, puis d'une rencontre avec la gendarmerie sur le bord d'une route pour un contrôle routier. Jean-François ne juge pas, il accompagne en rappelant les règles du code de la route et de la sécurité routière, il lui fait promettre d'être raisonnable dorénavant. Personne n'a envie de décevoir un moniteur qui dit les choses comme on aurait aimé les entendre plus tôt dans sa vie. Et tant pis si lorsque Jean-François demande de tourner à droite, l'apprenti conducteur tourne à gauche.
Une projection en avant-première à Guéret
Avant sa diffusion sur France 3 Nouvelle-Aquitaine, le film a fait l'objet d'une projection en avant-première à l'espace André Lejeune à Guéret devant presque 300 personnes.
Il y avait les protagonistes du film, d'anciens élèves de Jean-François Ranquet mais aussi des élus, des commerçants ou encore Anne Frackowiak-Jacobs, préfète du département de la Creuse qui a rappelé combien le permis était une manière d'accéder à l'emploi et aux loisirs, tout en soulignant la facture très humaine de ce film.
Nous en avons profité pour demander à Jean-François Ranquet ses souvenirs à l'obtention de son permis B
Si ce film a été tourné en Creuse, sa problématique est bien plus large et concerne toutes les zones rurales dans lesquelles le permis B est en effet synonyme de liberté et d'égalité.
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Liberté, Egalité, permis B un documentaire réalisé par Guillaume Estivie
Une co-production 416 Prod - France Télévision
Diffusion sur France 3 Nouvelle-Aquitaine jeudi 28 mars à 22 h45
Disponible sur france.tv dès le vendredi 22 mars