C'est un homme discret, un écrivain peu prolixe, un creusois qui pèse chaque mot dès qu'il prend la parole ou qu'il écrit. L'écouter parler de lui, de son écriture, de sa vie et du monde qui l'entoure est donc un privilège rare. Deux documentaires lui sont consacrés.
Quand écrire fait voir
Pierre Michon est né en 1945 en Creuse. Il est le fils d'un couple d'instituteurs. Abandonné par son père à l'âge de deux ans, il lui faudra attendre 38 années pour réusir à trouver les mots justes en écrivant l'oeuvre majeure, essentielle, qui était enfouie en lui : Les Vies minuscules.
Cet ouvrage, lauréat du prix France Culture en 1984, est devenu un livre culte de l'écrivain qui lui a permis de tenter de dépasser le traumatisme d'un enfant qui a grandi avec l'absence de son père.
Après les Vies minuscules, où j’avais mis tellement de moi-même, j’ai été longuement en panne, j’ai cru que je ne pourrai plus écrire. Et c’est en partie grâce à la peinture que j’ai pu redémarrer. Je me suis dit : ce détour que j’ai si souvent fait par la peinture, pourquoi ne pas le mettre à l’orée du texte, en faire le départ, le support, le prétexte du texte même ? C’est ce que j’ai fait …
Le hameau creusois dans lequel il a grandi, Les Cards, a ajouté à une écriture inscrite dans un milieu rural, modeste et rude. Son village natal, est devenu un lieu favori d'écriture, il s'y est installé à demeure dorénavant.
Pour la critique, quasi-unanime, Pierre Michon est considéré comme un des plus grands écrivains français contemporains. L'ensemble de son oeuvre est profondément autobiographique même si ses réflexions sur l'art lui ont aussi permis de mûrir les thèmes qui l'habitaient. Nous pourrions alors penser que cela aurait pu nourrir une écriture opulente, des livres en nombre. Il n'en est rien. C'est même tout l'inverse. Depuis 1984, il n'a publié qu'une petite dizaine de livres.
Pour l'ensemble de son oeuvre, Pierre Michon a reçu en juin 2015 le prix Marguerite Yourcenar. Il lui a été décerné par les membres de la commission de l’écrit de la Scam, la société des auteurs multimédia. Dans son communiqué, la SCAM précisait que "la lecture des œuvres de Pierre Michon peut se faire à voix haute, tant la musicalité et l’oralité y sont sensibles et prégnantes. Sa poésie en prose pourrait incarner une version moderne des chansons transmises jadis par les troubadours".
Il fut le premier lauréat de ce prix qui a pour ambition chaque année, de mettre en lumière un auteur pour l’ensemble de son œuvre, afin de mieux appréhender son univers et de (re)découvrir son talent.
On connaît très mal un écrivain par un seul de ses livres : les harmoniques de l’œuvre nous échappent.
En 2015, Culturebox proposait un nouveau rendez-vous : Les Grands lecteurs ; il s'agissait d'une collection de vingt films, d’une durée de 3 à 4 minutes, où un comédien lisait un extrait de son livre préféré. Eric Caruso a aisi lu un passage du « Corps du roi », dans lequel son auteur Pierre Michon raconte la mort de sa mère :
Depuis les Onzes, grand prix de l'Académie Française en 2009, il n'avait plus rien fait paraître. Alors qu'il écrivait un nouveau livre, Pierre Michon a donné rendez-vous à Sylvie Blum pour de nouveaux échanges.
L'écriture pour consolation
Il y a chez Michon ce qui le meut et ce qui l'empêche. Au fond, c'est cela qui rend l'homme touchant et l'écrivain bouleversant. Pour lui, rien n'est jamais définitif, même la reconnaissance. Pour autant, le lauréats de nombreux prix littéraires a accepté de recevoir le 31 août 2018, la médaille de commandeur des Arts et Lettres.
La croyance peut ne pas durer, elle peut même s'achever et il le sait, alors il l'écrit. Sur les sujets qui l'intéressent, il se documente, il cherche, sa quête semble redémarrer à chaque réponse. Il veut multiplier les sources pour rendre l'écriture possible. Il accumule sans cesse un savoir en amassant des données, en consultant des archives, en lisant, beaucoup. Sa démarche n'a pas pour objectif de restituer le passé, ni de le reconstituer. Il s'agit d'entrer en contact avec des époques passées, halluciner le passé et transformer sa foisonnate documentation en tremplin pour son imagination, car pour voir selon lui, il faut inventer.
Et quand il écrit sur les autres, c'est encore sur lui qu'il pose des mots. Ce qui attire Pierre Michon, ce sont les portraits.
Ce vers quoi je vais d’abord dansun musée, ce sont les portraits : ces simples regards venus de très loin qui vousattirent d’emblée et vous font délaisser les grandes machines picturales, les mises en scène.
C'est dans la peinture que Pierre Michon trouve la force de travailler, dans la contemplation active. L'écrivain interroge l'art pour sublimer le sien.
Michon n'est pas insensible à la photographie. L'une des plus célèbres au monde, celle de Rimbaud le fait s'interroger sur un regard, celui du jeune Arthur et sur le sien posé sur un monde.
Pierre Michon n’aime rien tant écrire que des portraits, des Vies minuscules à Joseph Roulin, de Maitres et serviteurs à l’Empereur d’Occident, de Corps du roi à Trois auteurs, de Rimbaud le fils au Roi du bois, ce qu’il met en texte ce sont des figures, des vies, des visages, des corps, fixes et en mouvement, et ce qu’ils portent chacun comme intériorité.
Le 22 décembre 2020 sur France Inter dans l'émission L'heure bleue de Laure Adler, Pierre Michon l'auteur de Rimbaud, le fils (Gallimard, 1991) parle du poète et explique que selon lui "cette puissance des messages renfermés dans les mots de Rimbaud a quelque chose d'exceptionnel, d'unique en littérature, qui rapproche sa poésie de la prose des prophètes de l'Ancien Testament".
Michon est fidèle à la Creuse. En 2006, il fonde avec Huges Bachelot : "Les rencontres de Chaminadour". Chaminadour, c'est Guéret, c'est ainsi que Marcel Jouhandeau qui y était né, nommait le chef-lieu du département. En 2017, devant des Lycéens de la ville, Pierre Michon évoque encore d'un autre auteur. Il s'agit de Blaise Cendrars et de sa main coupée. Ci-dessous, écoutez comme il en parle :
Conversation dans le désert
Sylvie Blum est réalisatrice. En 2006, elle réalisait un film sur Pierre Michon, chez lui, aux Cards en Creuse. Il s'agissait d'un documentaire sous forme d'abécédaire.
Plus de 15 ans se sont écoulés. Que s'est-il passé depuis ? L'écrivain a-t-il fini sa quête de lui-même ? Comment faire un film différent tout en respectant l'esprit du précédent et sa continuité ?
Lors de notre dernier rendez-vous, à Paris fin juillet, nouvelle surprise : Il me dit qu’il doit aller voir sa fille de 20 ans actuellement en stage dans un kibboutz au sud du désert du Néguev en Israël. Et il ajoute : « Et si on allait filmer là-bas ? ». Et je me suis mise à rêver…
Un autre lieu donc : déplacer le propos, filmer autrement, écouter différemment dans ce désert Israëlien, à mi-chemin entre Jérusalem et La Mecque.
J’ai pensé que là-bas, feraient irruption les thèmes qui hantent tous ses livres, à travers cette documentation historique dont il se nourrit constamment, et que toutes les questions que je souhaitais qu’il évoque de manière plus classique dans sa maison des Cards trouveraient là un cadre pour s’élargir et en même temps se faire plus précises, sans risque d’académisme.
Et ce fut le cas. L'homme devant la caméra de Sylvie Bum n'est plus le même ; il a connu plusieurs temps forts dans sa vie. La mort de sa mère, la naissance de sa fille en furent deux très importants.
A Sylvie Blum il confie que dans le désert il n'y a pas de prolifération qui empêche la paix essentielle d'être en nous ; Selon lui, le monde se résigne à ne plus bégayer quand on est dans le désert.
Ainsi Pierre Michon dit qu'auparavant il était un vide souffrant et que maintenant il est sur la voie de la douleur moindre.
Les mots de Michon ne sont jamais choisis au hasard, ils sont tous le résultats d'un travail, d'une réflexion et d'une organisation spécifique les uns par rapport aux autres.
Pour autant, il traîne en lui, au plus profond cette noirceur fondatrice dont toute oeuvre doit payer le prix.
De son combat contre l'alcool, de cette part noire en lui et avec laquelle il ne peut que cohabiter, il parle. L'écriture permet au creusois d'explorer d'abord et d'exorciser ensuite.
Sylvie Blum a fait un choix, elle aussi, celui de la simplicté, du respect du temps qui passe suspendu à des paroles qui ne sont loin d'un discours académique. Face à l'écrivain, une seule caméra, puis une équipe qu'elle connait bien. Travailler en confiance pour donner confiance, et recueillir des propos autour de l'écriture. C'est le premier film "Pierre Michon, écrire".
Le second, comme le premier, commence par Pierre Michon qui contemple le désert du Néguev. A quoi pense-t-il ? Réfléchit-il ? La contemplation demande-t-elle un effort pour lui ?
Nous ne le saurons jamais et grâce à ce deuxième film "Pierre Michon, imaginer", nous en apprenons pourtant encore plus sur celui qui reçoit les éloges de la critique.
C’est ma première expérience du désert, quelque chose dont je ne reviens pas, une espèce de simplicité qui touche à ce qu’il y a de plus complexe en l’homme. (...) C’est un sentiment infiniment supérieur à celui que me donne la mer par exemple,qui est fort mais la mer c’est quand même le comble de la vie grouillante, ça n’a pas cette pureté de l’éternité.
Dans cette deuxième partie, Sylvie Blum filme le jour qui s'enfonce vers la nuit. On y écoute des mots simples, au milieu des étendues de sables et de pierres. La beauté des paysages n'a d'égal que les histoires nées ici, la mer morte n'est pas loin. Michon le sait, ses phrases trahissent un recherche perpétuelle pour comprendre ces textes qui trouvent leur origines en ce lieu si vaste et si riche.
Dans les films de Sylvie Blum, la conversation est libre. Libre et articultée à la fois. Si loin de chez lui, il se souvient de sa Creuse qui n'est pas celle de tout le monde. C'est sa fontaine de Jouvence, et sa source d'enthousiasme. Pierre Michon peut devenir euphorique quand il a trouvé la bonne phrase.
Grâce aux deux films-documentaires de Sylvie Blum, nous avons écouté un écrivain parler. Lecteur, nous ne n'aurions jamais dû avoir accès à la voix de Michon, nous aurions pu nous contenter de ses mots, silencieux sur une page blanche et assourdissants en prenant le temps d'écouter notre voix qui les lit.
Après avoir regardé ces deux films, on sait alors que la réalisatrice n'a trahi ni l'écrivain, ni l'homme. On prend conscience que Pierre Michon n'a pas envie d'être abandonné une nouvelle fois. Pour cela, il cherche encore à apprendre, puis il écrit.
Mon plus grand malheur, ce serait découvrir que mon activité littéraire a été totalement insignifiante mais de découvrir et de l'intérioriser vraiment, pour plus longtemps que pour 3 jours ou 3 mois de dépression. D’en être certain. Que Dieu m’apparaisse et dise, tu n'as fait que des conneries dans tes livres, c'est pas ça qu'il fallait faire , il fallait t'occuper de tes semblables , il fallait aimer ton prochain, il fallait lire d’un peu plus près Bernanos etc. Là…., je répondrais : excusez moi Seigneur ! - Oui d‘accord… mais c’est l'enfer.
Pierre Michon, deux documentaires à voir sur France 3 Nouvelle-Aquitaine
- Lundi 17 mai 2021 à 23.35 : Conversation dans le désert avec Pierre Michon, écrire
- Lundi 24 mai 2021 à 23.35 : Conversation dans le désert avec Pierre Michon, imaginer
Réalisation : Sylvie Blum
Production : INA - France Télévisions
La bibliographie de Pierre Michon :
Vies minuscules, Gallimard (1984)
Vie de Joseph Roulin, Verdier (1988)
L'Empereur d'Occident, Fata Morgana (1989)
Maîtres et serviteurs, Verdier (1990),
Rimbaud le fils, Gallimard "L'un et l'autre" (1991)
Le Roi du bois, Éditions infernales (1992)
La Grande Beune, Verdier (1995)
Mythologies d'hiver, Verdier (1997) )
Trois auteurs, Verdier (1997)
Abbés, Verdier (2002)
Corps du roi, Verdier (2002), prix Décembre
Les Onze, Verdier, 2009, Grand prix du roman de l'Académie française