Avec ses 35 % de surface forestière, dont deux parcs naturels régionaux (PNR), le Limousin mérite bien son image de territoire vert. Pas que pour l'agriculture donc. Mais ces forêts flamboyantes font face à toutes sortes de défis. Le risque climatique les fragilise de plus en plus.
Contrairement aux apparences, le Limousin n’est pas, à l’origine, une région forestière. Jusqu’au XIXe siècle, les bois n’occupaient que 3% de sa surface. Aujourd’hui, c’est dix fois plus. Le territoire était essentiellement occupé par des terres agricoles et des landes.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un boisement actif a été décrété. En particulier de douglas. Une espèce exotique venue des États-Unis. S’il semble roi par endroits, sur le plateau de Millevaches notamment, il ne représente en réalité que 15 % du paysage. L’épicéa, c’est 8 %. Les résineux ne composent qu’un tiers du paysage forestier en Limousin. Un tiers certes, mais dense, encore plus avec la replantation après la tempête de 1999. Ce sont les feuillus qui dominent largement (70 % de la surface forestière), le chêne en tête.
Aujourd’hui, on veut du bois, on veut construire en bois, en bois français mais on ne veut pas en couper. C’est ambivalent. Il faut savoir que pour chaque coupe, il y a systématiquement replantation. C’est obligatoire.
Isabelle Serena-Bonneau, directrice de Fransylva en Limousin
L’implantation de douglas dans la décennie 1950 a créé une filière (la deuxième industrie de la région). L’espèce fait beaucoup parler. "Si elle semble proéminente et qu’elle est mise en avant, c’est parce qu’elle arrive aujourd’hui à l’âge d’être coupée et exploitée", explique Isabelle Serena-Bonneau, directrice de Fransylva en Limousin, un gros syndicat de forestiers privés. Des coupes qui posent toujours question.
Nous consommons la moitié du bois que l’on produit en France. On coupe 50 % de l’accroissement de la forêt sur un an. Il n’y a donc pas de déforestation.
Isabelle Serena-Bonneau, directrice de Fransylva en Limousin
Si la demande du marché reste l’épicéa, le douglas tire son épingle du jeu. Certes, il est moins cher – bien que son prix augmente – mais, il pousse vite, se coupe rapidement. Selon France Douglas, l’essence n’occupe que 3 % des forêts en France mais fournit 20 % des bois d’industrie.
Quelles forêts pour demain ?
S’adapter au dérèglement climatique, c’est un travail sur le temps long. Les différents syndicats forestiers et l’Office national des forêts (ONF) mènent des expérimentations. Avec des essences plus résistantes à la sécheresse. Plus diverses pour favoriser la solidarité entre chacune. On parle de "forêt mosaïque" à l’ONF, "d’îlots d’avenir" à la coopérative Unisylva (1 500 propriétaires privés en Limousin). Ainsi, l’on voit en provenance du sud le cèdre de l’Atlas sur les massifs corréziens et creusois.
Ce que nous plantons aujourd’hui, nous saurons seulement dans 150 ans si l’espèce sera adaptée. Nous faisons un pari sur l’avenir.
Isabelle Serena-Bonneau, directrice de Fransylva en Limousin
C’est un jeu d’équilibriste. Car, explique l’ONF, « les espèces doivent aussi résister aux précipitations abondantes et aux gelées tardives ».
Bien que les gestionnaires connaissent la courbe du réchauffement, il leur est difficile d’anticiper : les choix d’aujourd’hui peuvent ne durer qu’un temps. La forêt donne des réponses à l’humain sur le temps long. D’autant qu’elle ne peut pas être la même sur un seul territoire. "Nous avons beaucoup plus d’inquiétudes en Haute-Vienne qu’ailleurs, avance Isabelle Serena-Bonneau. Autant, le douglas est adapté sur le plateau de Millevaches, autant nous voyons dépérir le châtaigner dans le parc naturel régional Limousin-Périgord. On parle d’une échelle de 20-30 ans. Ce qui est très rapide. Et l’on se demande déjà s’ils vont repartir au printemps car ils ont essayé de se protéger en se renfermant."
Les espèces doivent à la fois résister à la sécheresse mais aussi résister aux précipitations abondantes et aux gelées tardives
Office national des forêts
Le changement climatique a d’autres conséquences. Avec son lot de maladies (insectes, champignons etc.) entraînant d’office des coupes rases. Et des dégâts indirects : si l’on pense aux incendies, il y a aussi la grêle qui fragilise des jeunes arbres et la neige qui casse des branches, favorise des champignons.
L’avenir des massifs limousins passe par ses gestionnaires. Privée à 90 %, la surface forestière du Limousin implique d’abord les petits propriétaires. Et ils sont nombreux : 80 % des propriétés font moins de 10 hectares. Une des difficultés, c’est de les rassembler, de les faire travailler ensemble. Car la majorité n’est pas syndiquée. D’autant que certains sont âgés, ne peuvent plus entretenir, ou n’y ont pas été habitués quand ils en héritent. Résultat : aucune gestion durable n’est à l’œuvre sur certaines parcelles. Pour Fransylva, ce n’est pas forcément mauvais : "La diversité de propriétaires et de gestions est intéressante. Cela donne un contraste et des habitats différents pour la biodiversité. Car il y en a même dans les espaces coupés. Et puis, même si ce n’est pas le but, cela correspond au souhait de certains qui ne voudraient aucune gestion humaine en forêts."
Globalement, la forêt qui se porte bien. Elle est récente mais avec une certaine maturité. Face au défi climatique, pour l’instant, s’en sort pas trop mal, mais combien de temps cela va durer ? On peut aussi avoir de nouvelles maladies, nous ne sommes jamais à l’abri.
Isabelle Serena-Bonneau, directrice de Fransylva en Limousin
Par ailleurs, l’été 2022 a rappelé à quel point la coordination – et l’entretien – des forêts était essentiel face au risque incendie. En hausse régulière en Limousin. Mais, grâce à ses feuillus, bien moindre que dans les régions de résineux. "Nous n’avons pas de plan incendie en Limousin. C’est un gros chantier", conclut la directrice de Fransylva.