Ils ont été nombreux à œuvrer à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris. À la veille de la réouverture du monument samedi 7 et dimanche 8 décembre, charpentiers, scieurs, techniciens forestiers, propriétaires de forêt de Poitou-Charentes reviennent sur leur engagement pour sauver Notre-Dame.
C’est notre patrimoine à tous, une conjugaison des forces de toutes les régions de France. Ainsi, en Poitou-Charentes, on peut s’enorgueillir aussi d’avoir participé à la reconstruction de Notre-Dame.
L’entreprise Deya, dans les Deux-Sèvres, a fabriqué des échafaudages, les charpentiers d’Asselin à Thouars ont œuvré pour la flèche. Toute la filière bois s’est mobilisée : la Maison Hennessy, le groupement forestier Forey et l’ONF ont donné des chênes, la scierie Joslet à Chasseneuil-sur-Bonnieure, en Charente, a transformé ceux qui provenaient de la forêt d’Horte en poutres.
« C’était très plaisant de se dire que nos bois vont être placés là-bas », confie Mathilde Joslet, commerciale de la scierie. Cinq chênes de grande longueur. Une tâche ordinaire pour cette scierie spécialisée dans la transformation du chêne. « C’était un travail dans les critères standards de charpente ; c’est la destination qui était particulière. » Mais un travail qui a touché ceux qui l’ont réalisé : « Les gars ont été contents de participer à leur échelle. » Mathilde Joslet conclut : « Ils auraient été déçus de ne pas en être alors qu’ils entendaient que Notre-Dame allait de nouveau recevoir une charpente en chêne. »
Ces cinq chênes avaient été fournis par le groupement forestier Forey. Basé dans la Marne, il possède 270 hectares dans la forêt d’Horte, en Charente. Il appartient au groupe Frey, une foncière immobilière qui développe des centres commerciaux en extérieur construits en bois. « Lorsque nous nous sommes rendu compte qu’il allait falloir un bon millier d’arbres pour reconstruire Notre-Dame, il nous est apparu évident d’apporter notre pierre à l’édifice », se souvient Antoine Vignon, directeur de la gestion des actifs du groupe. « Cela avait une grande cohérence avec notre objectif qui est de faire vivre la filière bois française. Et on peut difficilement faire plus français que cette cathédrale. C’est une fierté pour notre groupe. »
"C'est un mystère, un joli mystère"
Parmi toutes les forêts que possède en France ce groupe immobilier, c’est celle de Charente qui a été choisie pour fournir les chênes de Notre-Dame. « Ils avaient besoin d’arbres avec des dimensions précises et d’un certain âge », poursuit Antoine Vignon. « Aujourd’hui, nous avons hâte de voir le travail accompli, même si nous ignorons où se trouvent nos chênes, dans la charpente ou dans la flèche. » Marine Giraud, directrice de la communication du groupe, ajoute : « C’est un mystère, un joli mystère. L’important, c’est de participer. »
Ce travail de sélection et de transformation des arbres a eu lieu en 2022. Et le temps a passé. Sébastien Allo a, depuis, arpenté bon nombre d’allées de forêts de la Vienne. Le voilà surpris lorsqu’on l’interrompt en pleine réunion en ce début décembre 2024. « Ah oui, c’est vrai ! Ça fait longtemps ». L’ancien responsable de l’unité territoriale de la Vienne de l’ONF retrouve vite ses souvenirs. Sa voix pleine de sourires trahit les petites étoiles qui passent dans ses yeux. Ce forestier avait supervisé le choix et la coupe de trois chênes en forêt de Vouillé. « Ces arbres ont été prélevés dans des parcelles qui étaient destinées à passer en coupe dans les années qui viennent », précise d’emblée le technicien. « Il n’y a pas eu de sacrifice. »
Des chênes qui sont aujourd’hui dans le tablier de la flèche de Notre-Dame. Elle a été reconstruite à l’identique, selon les plans de Viollet-le-Duc. « Même au moment de l’abattage, c’était une grande fierté de participer à la reconstruction de Notre-Dame. »
Les salariés de l’ONF ont eu le privilège de pouvoir se rendre sur le chantier de la cathédrale pendant les travaux. Sébastien Allo n’a pas pu prendre part à ces visites, pour raisons personnelle et professionnelle. Il en est encore un peu déçu. C’est par la presse qu’il a suivi l’avancée des travaux. « Le sujet m’intéresse énormément : tout ce qui a été réalisé, notamment du point de vue technique. J’ai aimé voir le devenir des chênes qui ont été prélevés et observé le savoir-faire des compagnons. Je suis admiratif de ce savoir. Même si c’est à l’occasion d’un événement dramatique, on a conforté ou retrouvé ces anciennes pratiques. »
"J'y monterai un jour !"
L’homme est particulièrement impressionné par la nouvelle « forêt », le surnom que porte la charpente de Notre-Dame avec ses deux mille chênes. « Et le travail aussi qui a été effectué à l’intérieur de la cathédrale, c’est bluffant ! »
Évidemment, Sébastien Allo a profondément envie d’aller la visiter. « Je m’y étais déjà rendu auparavant. Je souhaite voir l’avant et l'après. J’y monterai un jour. »
Lui, en revanche, il sait. Il a déjà pu se rendre dans la nouvelle Notre-Dame. Il fait partie des artisans chanceux, ceux invités le jour de la visite présidentielle vendredi 29 novembre parce qu’ils ont œuvré directement à la reconstruction. François Asselin est le dirigeant de l’entreprise de charpente Asselin à Thouars dans les Deux-Sèvres. « C’est très beau ! L’éclairage est particulièrement réussi. Pour ceux qui ont connu la cathédrale avant lorsque ses murs étaient gris, ils verront aujourd’hui que c’est une cathédrale de lumière. Elle est flambant neuve. » Le chef d’entreprise ne tarit pas d'éloges : « Le nouveau mobilier est très réussi, tout est restauré. La lumière transperce les vitraux, c’est un chef-d’œuvre. Nous pouvons être fiers ! »
"Notre-Dame, ça se partage"
Les charpentiers poitevins ont fabriqué la flèche de Notre-Dame. « Nous nous sommes associés avec trois autres entreprises de charpente et nous avons mutualisé nos équipes », raconte François Asselin. » Ils ont été soixante au total à refaire la flèche, vingt étaient originaires de Thouars dans les Deux-Sèvres. Et la partie ornementale de la flèche a été réalisée intégralement dans le Poitou au siège de l’entreprise. « Mais Notre-Dame, ça se partage car c’est Notre-Dame », précise François Asselin. « Il n’est pas question d’en faire un sujet d’orgueil. Ce qui doit être mentionné, c’est le métier, les compétences. Nous, en tant que personnes, nous devons disparaître derrière. »
Les quatre entreprises de charpente, d’ordinaire concurrentes, ont su travailler ensemble. « Nous avions signé une charte de bonnes pratiques entre nous. Et quand il s’agissait de Notre-Dame, nous utilisions le "nous" et pas le "je". »
"Cette charpente, c'était comme un Everest"
La reconstruction de la flèche a duré 18 mois et s’est achevée en octobre dernier. Un élément de 60 mètres de hauteur, pesant 380 tonnes, à assembler à 38 mètres au-dessus du sol sur une base, la croisée du transept, qui n’était pas plane. Avec des délais contraints. « Nous avions déjà ce savoir-faire dans l’entreprise. Ce travail ne nous a pas appris grand-chose mais il a fallu donner le meilleur de nous-même pour ériger la flèche. Mais c’était quand même "l’Everest" en terme de charpente ! »
Après « ce morceau de bravoure technique », la pression retombe peu à peu. « Maintenant que tout est échafaudé, monté, nous pouvons relever la tête. Et nous commençons à nous dire : « "On a fait un truc quand même génial !" »
Et le point d’orgue de cette aventure hors-norme, ce sera samedi 7 décembre. François Asselin fait partie des invités pour la messe de 10h30. « Je n’ai rien demandé, cela m’a été donné, comme à d’autres. Et je vais rendre grâce, je vais remercier. » Car l’homme est croyant.