Dans son rapport rendu mardi 14 novembre, la commission d'enquête parlementaires sur les "groupuscules violents" point la "responsabilité écrasante" des trois organisateurs de la manifestation à Sainte-Soline le 25 mars dernier, Bassines Non Merci, les Soulèvements de la Terre et la Confédération paysanne. Ces derniers s'inquiètent du respect de la séparation des pouvoirs.
Deux semaines avant le procès de neuf personnes, dont des membres de Bassines Non Merci !, des Soulèvements de la Terre et de la Confédération paysanne, la commission d'enquête parlementaire pointe la "responsabilité écrasante" de ces trois structures "dans le déferlement des violences constaté à Sainte-Soline le 25 mars 2023."
Dans le détail, l'enquête porte sur "les violences commises à l’occasion des manifestations et des rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces derniers." Créée sur une proposition des groupes Renaissance et Horizons le 10 mai 2023, elle est constituée de 30 députés issus des dix groupes de l'Assemblée nationale. Son objectif est de mieux comprendre "la structuration, le financement, les moyens et les modalités d’action des groupuscules auteurs de violences" au cours de cette période.
Groupuscules violents : les députés @FlBoudie et @patrickhetzel ont présenté, ce matin, le rapport de la commission d'enquête sur les "groupuscules auteurs de violences" lors de manifestations. Conclusions et propositions ⤵️ (Par @RaphMarchal) #DirectAN https://t.co/sfS2ptCBOd
— LCP (@LCP) November 14, 2023
La commission s'est penchée sur un grand nombre de manifestations survenues au printemps, incluant ainsi les événements de Sainte-Soline, tout en lui attribuant une "place à part" dans les travaux parlementaires, en raison de "la cause défendue, la rupture entretenue et même assumée vis-à-vis des institutions d’État, les modes opératoires et la juxtaposition organisée de manifestants de bonne foi et d’activistes violents".
Le député LREM Florent Boudié, rapporteur de la commission d'enquête, souligne que "la ruralité [devient] un nouveau théâtre de combat pour des activistes cherchant à s’emparer de la cause environnementale." Le rapport souligne la présence, selon les acteurs de la sécurité publique, de "800 à 1 000 individus extrêmement violents et organisés, dont près de 500 black blocs", et rappelle l'inventaire d'au moins 800 objets "présentant une capacité offensive", découverts lors des contrôles routiers et fouilles.
Toujours dans le rapport, Florent Boudié indique que "tout laisse à penser que les organisateurs de la manifestation de Sainte-Soline se pensent avant tout comme des « soldats » d’une cause intégrant pleinement l’enjeu et la nécessité de la radicalité violente." Il ajoute qu'au terme de la commission d'enquête, il a "acquis la conviction que loin d’être un tragique dérapage, les violences commises le 25 mars, en particulier contre les forces de l’ordre, s’inscrivent dans une démarche assumée de confrontation, au risque d’atteintes à des vies."
Si on commence à chaque manifestation à attribuer la responsabilité des violences aux organisateurs, quel est le prochain pas ? On dissout l'Intersyndicale ?
Lena LazarePorte-parole des Soulèvements de la Terre
La séparation des pouvoirs en question
Alors que le procès de neuf personnes, membres de Bassines Non Merci !, des Soulèvements de la Terre, de la Confédération Paysanne, de la CGT et de Sud-Solidaires doit se tenir le 28 novembre, les trois principaux organisateurs dénoncent une enquête à charge. Ils alertent : "La commission d'enquête n'est pas une instance judiciaire", martèle Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, qui fustige le fait de se faire qualifier de groupuscule.
En effet, ces trois organisations reprochent aux parlementaires d'avoir effectué un travail similaire à la procédure d'enquête judiciaire effectuée en vue du jugement de plusieurs de leurs membres. Dans une lettre adressée à la présidente de l'Assemblée nationale (versée à la page 313 du rapport d'enquête parlementaire), le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti a lui-même mis en garde les députés : "J'appelle votre attention sur l'articulation de l'enquête parlementaire avec ces procédures judiciaires qui ne doit pas conduire à mener des investigations sur des aspects relevant de la compétence exclusive de l'institution judiciaire."
Le 27 septembre dernier, plusieurs personnes se revendiquant de Bassines Non Merci ! se sont présentées devant les députés, au cours d'une longue audition (dont le compte rendu et la vidéo sont publics). Julien Le Guet était présent et il a refusé de répondre à plusieurs reprises en raison de l'enquête judiciaire en cours : "Presque toutes les questions correspondaient à peu près à des questions posées en garde à vue par des juges ou le procureur", dénonce-t-il.
Pour la même raison, les Soulèvements de la Terre affirment avoir répondu par écrit, mais ne se sont pas présentés à leur audition. Ils avaient reçu une liste de la commission d'enquête en amont : "La quasi-intégralité des questions posées porte sur l'enquête en cours", souligne l'équipe juridique du mouvement. Les membres convoqués des Soulèvements de la Terre pourraient être poursuivis pénalement pour ne pas s'être présentés, et le président de la commission d'enquête, le député Patrick Hetzel (Les Républicains), a requis le procureur de la République de Paris en ce sens. Les Soulèvements de la Terre n'ont à l'heure actuelle pas été notifiés de ces poursuites, mais ils confient leur étonnement d'être les seuls poursuivis, alors qu'ils ne sont pas les seuls convoqués à ne pas s'être présentés.
Menaces sur la liberté de manifester ?
Dans son rapport, la commission d'enquête formule 36 recommandations à l'issue des travaux parlementaires. Elles ont pour objectif d'adapter les méthodes de maintien de l'ordre pour améliorer le déroulé des manifestations.
Certaines consistent à systématiser le port de la caméra piéton lors des opérations de maintien de l'ordre, à doter les forces de l’ordre de moyens techniques comme des panneaux indicateurs et des dispositifs sonores pour mieux communiquer avec les manifestants, ou encore renforcer les formations sur le maniement des armes employées dans les manifestations et les rassemblements.
Les Soulèvements de la Terre et Bassines Non Merci ! s'inquiètent pour leur part de certaines recommandations qui pourraient avoir un impact sur la liberté de manifester parmi les propositions 21 à 28 :
- Recommandation n° 21 : Modifier l’article 141-4 du Code de procédure pénale afin d’intégrer l’interdiction de manifester dans le champ des obligations dont la violation peut justifier la rétention de la personne concernée, pour une durée maximale de vingt-quatre
heures - Recommandation n° 25 : Expérimenter une obligation de pointage au commissariat ou à la gendarmerie des personnes condamnées à une interdiction de manifester, selon des
modalités déterminées par l’autorité judiciaire - Recommandation n° 28 : Créer un régime spécifique de dévolution des biens et de gel des avoirs des associations et groupements de fait dissous sur le fondement de l’article L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure.
"La manœuvre, c'est de renforcer le contexte légal. Quand la loi bloque, on change la loi", conclut Julien Le Guet.