"Nous sommes la tourbière qui se défend". Un collectif de naturalistes bouche les drains agricoles qui assèchent les tourbières

Une cinquantaine de scientifiques militants sont intervenus dans la tourbière du Bourdet, dans les Deux-Sèvres, afin d'obstruer les drains qui assèchent ce milieu humide pour les besoins de l'agriculture. Une action qui s'inscrit dans une démarche plus vaste de préservation du vivant.

Scientifiques dotés de solides connaissances des milieux naturels, habitués à réaliser des inventaires d'espèces vivantes, faune et flore, les naturalistes ne cessent de constater les dégâts des activités humaines sur la nature.

Ceux-là ont décidé de ne pas se résigner. Encore étudiants ou déjà en activité, ils ont fondé en ce début d'année le collectif Naturalistes Des Terres, déterminé à agir. "On voit bien tous les projets d'aménagement du territoire menés au détriment des espèces, et on ne veut pas se contenter d'être les témoins du catastrophique déclin de la biodiversité" explique Gabriel (le prénom a été modifié), membre du collectif. "On peut avoir des actions efficaces et joyeuses pour s'éloigner du marasme."

La tourbière du Bourdet, un symbole

Pour leur première action, ils ont choisi un site symbolique de leur combat pour le respect du vivant et le partage de l'eau : la tourbière du Bourdet, dans les Deux-Sèvres. Il y a quelques jours, en ce début avril, ils étaient une cinquantaine de naturalistes venus de toute la France, à mener " un chantier de renaturation au cœur de la tourbière".


A l'aide de bois mort, de pierres et d'un peu de ciment, ils ont " rebouché les drains alentours afin de restaurer la fonctionnalité écologique de la tourbière, maçonné l'entrée d'une buse pour y maintenir l’eau au service du milieu et des espèces qui le peuplent, plutôt qu’à celui de l’agriculture industrielle".

Nous sommes la tourbière qui se défend

collectif Naturalistes des Terres

VIDEO. Action de naturalistes dans la lignée de la lutte contre les méga-bassines.

"Cette tourbière, elle bénéficie normalement d'une double protection, explique Gabriel. Elle bénéficie d'un arrêté préfectoral de protection du biotope (APPB), et d'un classement à l'inventaire des zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF). Mais elle est entourée de champs de maïs dont la culture tue la tourbière, et rien n'est fait. C'est l'exemple typique d'une sanctuarisation qui dans la réalité n'existe pas."

Le conflit entre marais et maïs

Autour de la tourbière du Bourdet, comme dans les marais vendéen et poitevin, tout un réseau de drainage et de canaux a été construit par l'homme, afin de favoriser les cultures, celles du maïs notamment, dont les besoins en eau vont à l'inverse du cycle naturel de ces milieux.

On marche sur la tête. Au lieu de garder l'eau, on l'évacue, et après, on réclame des bassines artificielles. Où est le bon sens paysan ?

Jean-Jacques Guillet

Ancien maire d'Amuré

En ce début de printemps, tourbière et marais sont en eau, mais les agriculteurs ont besoin d'assécher les terres pour accéder à leurs parcelles avec leurs tracteurs, et semer le maïs. Toutes les vannes sont donc ouvertes pour chasser l'eau. Cet été en revanche, le maïs aura besoin d'eau pour pousser et il faudra irriguer. "On marche sur la tête. Au lieu de garder l'eau, on l'évacue, et après, on réclame des bassines artificielles. Où est le bon sens paysan ?", se demande l'ancien maire d'Amuré Jean-Jacques Guillet.

CARTE - Les Tourbières - Prin-Deyrançon (79)

L'ancien maire soutient l'action des naturalistes

Maire pendant 19 ans de la commune qui abrite la tourbière du Bourdet, Jean-Jacques Guillet a constaté les dégâts causés par ces pratiques, et en a alerté les représentants de l'Etat, sans succès. "Une tourbière, c'est une éponge faite de végétaux décomposés pendant des milliers d'années. Tant qu'ils sont sous l'eau, ils ne se dégradent pas. Exposés à la lumière, ils s'assèchent, commencent à pourrir, le niveau du sol descend, on perd en capacité d'absorption, les arbres se retrouvent avec 60 à 80 cm de racines découvertes et finissent par tomber" se désole-t-il.

"J'ai invité plusieurs fois la Préfète à venir voir les dégâts sur les tourbières, elle n'est jamais venue. Moi, je faisais respecter ce que je pouvais, mais c'est l'Etat qui autorise les prélèvements de volume d'eau, pas les maires." déplore encore l'ancien édile.

Dépité par la défaillance de l'Etat dans ce domaine, Jean-Jacques Guillet affirme sa compréhension et son soutien à l'action menée par les Naturalistes Des Terres : "L'Etat ne respecte pas la loi sur l'eau. La priorité est donnée à l'économie, à l'agriculture en particulier. Je comprends très bien que des jeunes inquiets de la dégradation des milieux et des espèces aient envie de réagir, et je pense qu'ils ont raison de le faire."

Naturalistes exigeants

Deux grands milieux professionnels s'offrent aux naturalistes :

- Les bureaux d'études privés, contraints de fournir une étude d'impact environnemental pour chaque projet d'aménagement, où le naturaliste a la très inconfortable, voire impossible tâche, de préserver les milieux sans nuire aux projets de l'entreprise qui l'emploie.

- Les Associations de Défense de la Nature et de l'Environnement, dont les critiques à l'égard de certains projets peuvent être muselées par la dépendance aux subventions qui les font vivre.

C'est pour faire face aux limites de leur pratique que les Naturalistes Des Terres se sont réunis. Pour mener des actions, et proposer leur savoir, leur expertise et leur légitimité en appui aux luttes locales pour la préservation du vivant.

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