Mégabassines : "Comment est-ce qu’on peut avancer avec autant de détermination sur des projets qui proposent autant de résistance ?" Benoit Biteau, député européen écologiste

Les évènements du 25 et 26 mars 2023 à Sainte-Soline ont été marqués par les graves affrontements entre forces de l'ordre et manifestants. En colère envers l'État sur la gestion du dossier, le député européen écologiste Benoît Biteau, estime que les anti-bassines ont "gagné la bagarre de l’opinion". Il interroge d'autant plus l'entêtement des pouvoirs publics et soulève les incohérences du projet dans une gestion de l'eau durable et équitable.

Après le week-end de mobilisation du 25 et 26 mars 2023 à Sainte-Soline, la contestation contre les "mégabassines" à pris un tournant. Si environ 10 000 personnes étaient attendues à la manifestation, interdite par la préfecture, c'est près de 30 000 personnes qui étaient sur les lieux selon les organisateurs. Un rassemblement qui a tourné au cauchemar après l'affrontement avec les forces de l'ordre qui a fait plusieurs blessés, dont certains gravement. Le député européen Benoît Biteau du groupe écologiste Les Verts/Alliance libre européenne était présent sur place en soutien au mouvement anti-bassine. Pour France 3, il revient sur ce week-end agité teinté d'évènements "insupportables" mais également sur les enjeux de la gestion de l'eau dans cette affaire.

France 3 : Le week-end du 25 et 26 mars 2023 a été marqué par les manifestations et les heurts à Sainte-Soline. Quel regard vous portez sur ce week-end ?

Benoît Biteau : Ce que j’ai vu ce week-end, m’a vraiment bouleversé. Je suis père de famille, j’ai vu des gamins complètement déchiquetés qui ont l’âge de mes enfants. Ils sont venus là juste pour défendre une ressource qui est un bien commun : l’eau. Et ils se sont fait massacrer par les forces de l’ordre. Ce gouvernement, cet État, cette préfète auraient mieux fait d’imaginer que l’État puisse remplir son rôle de structure qui consulte, qui ouvre des espaces de médiation plutôt que d’interdire la manifestation comme seule réponse à la juste et légitime volonté de ces manifestants, au nombre de 30 000, qui réclament une gestion de l’eau partagée. Les bras m’en tombent, je me dis que ces gens sont complètement hors-sol. Ils sont juste les perroquets de la FNSEA, ils n’ont pas potassé leurs dossiers, ils ne savent même pas de quoi ils parlent et ils engagent l’argent public sur des fuites en avant, des fausses bonnes solutions, et en plus, ça se traduit par des affrontements.

En lançant les hostilités, bien sûr, les forces de l'ordre ont permis à des individus radicalisés de pouvoir riposter.

Benoît Biteau

Député européen du groupe Les Verts/Alliance libre européenne

C’était insupportable ce que j’ai vu ce week-end et je ne suis pas sûr que les forces de l’ordre étaient bien avec ça. Il y avait 3 200 personnes pour protéger un trou, un trou vide de tout équipement pouvant être abîmé. Il n’y avait absolument aucun danger qu’il y ait des dégradations. Pas moins de 3 200 personnes qui tirent 4 000 grenades et qui mettent deux personnes en urgence vitale, des personnes qui sont avec un pronostic fonctionnel sévèrement engagé. Ces gens-là sont aussi des pères ou des mères de famille, ces gens-là, je suis sûr, ne sont pas bien dans leur peau aujourd’hui, d'avoir participé à la protection d’un trou vide. On est dans du grand délire.

Avez-vous avez été surpris de la stratégie des forces de l’ordre ?

Ils ne pouvaient pas en avoir une autre, mais ils auraient pu aussi éviter de lancer les hostilités. En lançant les hostilités, bien sûr, ils ont permis à des individus radicalisés de pouvoir riposter. Je vous rappelle ce qui s’est passé : on se tenait par la main, on chantait, et l’objectif, c'était de faire une chaîne humaine autour de la bassine, pour dire : "Voilà, c’est notre eau, c’est notre argent public, on est là pour vous dire que ça nous appartient aussi un peu". Cela ne justifie pas qu’on ait été en proie aux tirs de grenades et de grenades lacrymogènes. À partir du moment où on commence à fonctionner comme ça, je vous assure que les radicaux, ils s’y livrent à cœur joie, ils ripostent. Mais le début des hostilités, ce ne sont pas les radicaux. Et s’il n’y avait pas eu d’hostilités, on aurait probablement fait notre chaîne humaine, on serait repartis, en tout cas ceux qui étaient dans une approche pacifique de la manifestation, je ne dis pas que quelques blacks blocs n'auraient pas tenté d’en découdre avec la police ensuite, mais au moins, les blessés qu’on déplore aujourd’hui ne seraient pas dans l’état où ils sont aujourd’hui, c’est absolument insupportable.

Malgré tout, avez-vous quand même une satisfaction de voir que ce sujet, qui était quasiment inconnu du grand public, il y a quelques mois, a rassemblé 30 000 personnes ?

Bien sûr, c’est une démonstration que le sujet inquiète. Aujourd’hui, les gens ont compris que tout ça était hors la loi et ne répondait pas aux réglementations en vigueur, que ce soit en France ou en Europe. Que tout ça dépensait beaucoup d’argent public pour une minorité d’agriculteurs pour ne rien régler du problème de la gestion de l’eau. Donc ça, c'est sûr, on a gagné la bagarre de l’opinion, et on a la société civile avec nous. Mais cela participe d’autant plus à ma colère. Comment est-ce qu’à ce point on peut piétiner l’attente des citoyens et comment est-ce qu’on peut avancer avec autant de détermination sur des projets qui proposent autant de résistance, aussi peu d’acceptation citoyenne et sociétale ?

À Sivens, c’était aussi le stockage de l’eau, et il y a les mêmes mobilisations, les mêmes résistances. Ce gouvernement n’a même pas été capable de tirer les enseignements de ce qu'il s'y est passé. Il nous refait exactement le même cinéma. Rémi Fraisse est mort sous les tirs de forces de l’ordre qui protégeaient un Algeco ! Un Algeco de chantier ! Et là, on a 3 200 personnes des forces de l’ordre qui protègent un trou vide. Cela me dépasse.

Benoît Biteau

Député européen du groupe Les Verts/Alliance libre européenne

Pensez-vous qu'à terme, cette mobilisation citoyenne puisse faire pencher la balance ?

Alain Rousset [le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, NDLR] a dit qu’il était capable d’évoluer, d’écouter, d’entendre. Je sais qu’il est très attentif à l’acceptation citoyenne des projets et je pense qu’il a entendu le message. Mais pour autant, il y a peut-être la vie de deux personnes qui va basculer par rapport à cette mobilisation. Je suis vraiment traumatisé par rapport à ce que j’ai vu à Sivens, et on est dans le bis repetita d’un drame qui a déjà eu lieu sur le même thème. À Sivens, c’était aussi le stockage de l’eau, et il y a les mêmes mobilisations, les mêmes résistances. Ce gouvernement n’a même pas été capable de tirer les enseignements de ce qu'il s'y est passé. Il nous refait exactement le même cinéma. Rémi Fraisse est mort sous les tirs de forces de l’ordre qui protégeaient un Algeco ! Un Algeco de chantier ! Il n’y avait rien à détruire à Sivens, rien du tout ! Et là, on a 3 200 personnes des forces de l’ordre qui protègent un trou vide. Cela me dépasse.

Après le week-end de mobilisation, le gouvernement ne semble, lui, pas enclin à faire marche arrière...

Tous les recours juridiques ont été perdus par les porteurs de projets. Tous les scientifiques, aujourd’hui, y compris le BRGM qui a conduit l’étude qui n’était d’ailleurs pas à vocation de pouvoir déclencher ou pas le stockage de l’eau, disent que ce n’est pas la bonne réponse. Des citoyens disent : "Nous, on paye des impôts, il y a de l’argent public sur la table et on aimerait bien qu’il serve à autre chose que d’alimenter le délire productiviste de 6 % des agriculteurs". On est très loin d’une acceptation citoyenne et sociétale. Quand on a ces trois pans-là qui sont complètement piétinés par ces projets de bassines, la seule solution pour éviter le carnage auquel on a assisté ce week-end, ce n’était pas d’interdire la manif.

Avant d’imaginer des bassines, tout mettre en œuvre pour que les nappes souterraines se rechargent. Et c’est ce qui manque dans ce que nous proposent la Coop de l’eau et l’État.

Benoît Biteau

Député européen du groupe Les Verts/Alliance libre européenne

Je suis très en colère à l’endroit de l’État. Je suis très en colère des réactions que j’entends depuis hier de gens qui sont censés nous diriger, qui sont ministres comme Monsieur Fesneau, comme Monsieur Béchu, qui racontent des énormités incommensurables. M. Béchu qui nous ressert qu’il n’y a pas d’agriculture sans irrigation alors que ces projets de bassines s’adressent à moins de 6 % des agriculteurs. M. Béchu qui parle du BRGM [Bureau de recherches géologiques et minières] alors que le BRGM lui-même dit que l’étude sur laquelle s’appuie la Coop de l’eau ne peut pas être une étude qui peut servir à la justification des bassines suite au travail d’Anne-Morwenn Pasquier.

Selon vous, les réserves de substitution ne peuvent pas contribuer à résoudre la problématique de l'eau ?

Je ne suis pas contre l’irrigation, je ne suis pas contre le stockage de l’eau, mais si on doit faire du stockage, on doit créer les conditions pour que ça fonctionne. On nous promet, derrière le stockage, une amélioration de la situation, de la gestion quantitative de l’eau, et pourquoi pas de la gestion qualitative avec des engagements des agriculteurs avec des évolutions de pratiques qui feraient qu’ils utiliseraient moins de pesticides. Mais il faut créer les conditions pour que ça fonctionne, et c’est tout le problème : les conditions pour que la gestion quantitative soit améliorée n’y sont pas.

Il faut, avant d’imaginer des bassines, tout mettre en oeuvre pour que les nappes souterraines se rechargent. Et c’est ce qui manque dans ce que nous proposent la Coop de l’eau et l’État. Tout n’est pas réuni, pour que les nappes souterraines se rechargent. C’est seulement à cette condition qu’on pourra imaginer utiliser de l’eau pour tous les usages. Rien n’est fait pour que le rechargement des nappes soit optimal. Et qu’on ne vienne pas me dire que les nappes superficielles se rechargent très vite, ce ne sont pas les nappes superficielles notre sujet, ce sont les nappes souterraines et plus profondes. Il faut absolument qu’on s’appuie sur un rechargement complet des nappes souterraines et ce n'est pas le cas. Tout simplement parce qu’on ne sait pas retenir l’eau sur les bassins-versants. On va faire des bassines qui, au fil du temps, ne pourront pas être remplies, ou elles pourront être remplies au détriment d’autres usages comme par exemple la fourniture d’eau potable.

Mégabassines dans les Deux-Sèvres (25 août 2021) avec nom des communes

Mégabassines dans les Deux-Sèvres (25 août 2021) avec nom des communes Source :commons.wikimedia.org

Dans le protocole, il y a des conditions de remplissage qui s’appuient sur le niveau piézométrique. Ils disent : "On déclenche le remplissage des bassines quand les niveaux des piézomètres sont assez hauts." Mais là aussi, il y a un biais dans la lecture de ce qu’est un niveau piézométrique. Ils nous disent : "Quand les piézomètres ont atteint un certain niveau, cela veut dire que les nappes sont rechargées". C’est absolument faux, ce n’est pas du tout ça que ça veut dire. La lecture d’un piézomètre haut, veut dire qu’on dispose du volume nécessaire pour recharger la nappe, certes. Mais comme on ne met pas de temporalité derrière ce relevé piézométrique, que l'on n’intègre pas que pour que la nappe se recharge, il faut que le piézomètre reste à ce niveau-là pendant un certain temps afin que le volume nécessaire au rechargement atteigne vraiment la nappe, on tape dans ce volume pour remplir les bassines. Sauf qu’en tapant dans ce volume pour le mettre dans les bassines, on enlève une partie du volume nécessaire pour recharger la nappe. Cela aura forcément un impact terrible sur le rechargement de la nappe, et on sortira de l’hiver avec des bassines pleines, et une nappe qui ne sera pas rechargée parce que la temporalité n’aura pas été respectée. Le diable est dans les détails.

Quelle serait donc la bonne approche ?

Pour que ça fonctionne, il faut d’abord sauver les zones humides, ralentir l’eau dans les cours d’eau, replanter des haies. Il faut le faire sur des zones stratégiques, de manière à ce que cette eau, retenue sur les bassins-versants, ait le temps de recharger les nappes. Et cela nécessite du temps. Il faut qu’on inverse la tendance qui amène au constat que l’eau part à la mer, on inverse les pratiques qu’on a développées depuis 60 ans, on recrée les conditions pour que l’eau ne parte pas à la mer trop vite, qu’elle soit retenue sur des bassins versants, sur des zones humides, sur des zones d’épandage de crue, pour que les cours d’eau soit ralentis, pour que l’eau ait le temps de traverser les différentes couches pour qu’elle réussisse à atteindre les nappes souterraines, et là on aura les conditions pour développer les pratiques d’irrigation.

Aujourd’hui, on est en train de faire des bassines pour une population d’agriculteurs qui représente à peu près 6 % de la population des agriculteurs.

Benoît Biteau

Député européen du groupe Les Verts/Alliance libre européenne

Plutôt que de faire ça, on ne veut rien changer, et on considère qu’on peut prendre cette eau qui part à la mer trop vite, on peut la mettre dans les retenues de substitution. Sauf qu’au fil du temps, on va faire le constat que cette eau qui part à la mer trop vite n’a toujours pas rechargé les nappes, et qu’en plus, le volume qu’on pourrait mobiliser pour recharger les nappes a été mis dans des bassines et que donc on va accentuer la difficulté de rechargement des nappes. Cette fuite en avant ne peut qu’aggraver la situation qui est déjà très alarmante sur la problématique de la gestion de l’eau.

La Coop de l'eau ne semble pas le voir de cette manière...

Ce qui me gêne, c’est que les promoteurs des bassines, qui sont regroupés dans la Coop de l’eau, sont précisément ceux qui depuis 60 ans, ont créé les conditions de l’impossibilité de recharger ces nappes souterraines. C’est-à-dire que : qui a effacé les méandres des cours d’eau ? Qui a recalibré les cours d’eau pour que l’eau parte très vite à la mer ? Qui a arraché les haies ? Qui a retourné les seuils ? Qui a rasé les arbres dans les champs ? Ce sont ceux qui, aujourd’hui sont des irrigants, qui ont créé toutes les conditions pour que l’eau parte à la mer le plus vite possible et ne soit pas retenue sur les bassins-versants afin que l’eau puisse recharger les nappes.

Les écologistes, en vérité, par leur positionnement, sont les meilleurs alliés des agriculteurs, même s’ils ne s’en rendent pas compte.

Benoît Biteau

Député européen du groupe Les Verts/Alliance libre européenne

Aujourd’hui, on est en train de faire des bassines pour une population d’agriculteurs qui représente à peu près 6 % de la population des agriculteurs. C’est-à-dire qu’on est en train de mettre beaucoup d’argent public pour une population d’agriculteurs extrêmement restreinte, ce qui disqualifie complètement les propos du ministre de l’Agriculture, du ministre de l’Écologie voire même du président de région Nouvelle-Aquitaine qui disent qu’il n’y a pas d’agriculture sans irrigation. C’est absolument faux. Seulement 6 % des agriculteurs ont aujourd’hui recours à l’irrigation, ce qui veut dire en creux que 94 % des agriculteurs arrivent à produire sans avoir recours à l’irrigation. Ceux-là peuvent être victimes de la gestion de l’eau telle qu’imaginée avec les bassines aujourd’hui, ils vont être les première victimes de l’effondrement des niveaux des nappes qui auront servi à remplir les bassines plutôt qu’à remplir les nappes phréatiques. Ces 94 % d’agriculteurs vont être les victimes collatérales de cette gestion désastreuse de l’eau.

Le dialogue vous semble-t-il encore possible ?

Il faut insister sur le fait qu’il n’y a pas d’anti-irrigation, il n’y a pas d’anti-bassines, on veut juste que ça se passe bien et que si on doit utiliser de l’eau en agriculture, il faut créer les conditions de la réussite de tout ça. Je dis souvent que les écologistes, en vérité, par leur positionnement, sont les meilleurs alliés des agriculteurs même s’ils ne s’en rendent pas compte. Les solutions qu’on propose peuvent sortir l’agriculture de la mauvaise ornière dans laquelle elle est enlisée.

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