Village de l'eau à Melle : une guerre de la communication entre les organisateurs, l'État et les agriculteurs

La construction de mégabassines en Poitou-Charentes déchaîne les passions entre pro et anti. Le village de l'eau, installé à Melle dans les Deux-Sèvres, est l'objet d'une bataille de la communication entre les organisateurs (Bassines Non Merci et le collectif Soulèvements de la Terre), l'État et les agriculteurs voisins. Au milieu, nos journalistes essaient de vous relater la situation.

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L'événement était annoncé depuis plusieurs semaines : un nouveau village de l'eau allait s'implanter à Melle, dans les Deux-Sèvres, entre le 16 et le 21 juillet 2024. Les organisateurs, notamment les emblématiques collectifs Bassines Non Merci et le mouvement Les Soulèvements de la Terre, avaient l'autorisation du maire écologiste Sylvain Griffault.

Objectif : organiser des conférences et s'opposer à la construction des mégabassines. La couverture de l'événement s'annonçait compliquée.

Acte 1 : l'annonce des manifestations le 10 juillet

Le communiqué de presse du collectif Bassines Non Merci du 10 juillet précise le programme de cette semaine de mobilisation. Pour les journalistes, c'est le début d'une bataille de communication jamais vue.

Outre le village de l'eau à Melle, deux manifestations sont annoncées : le vendredi 19 juillet, un pique-nique et une marche à Saint-Sauvant ; le 20 juillet, une manifestation au terminal agro-industriel portuaire de la Pallice à La Rochelle, décrit comme "la source du ravage". Même si le communiqué appelle à une "manifestation-fleuve" "dans une ambiance de carnaval", le mot d'ordre "Bloquons les méga-bassines à la source !" fait ressurgir le spectre des événements violents de Sainte-Soline.

Le collectif annonce d'ailleurs que "Gérald Darmanin et la FNSEA tentent d'agiter les peurs et de criminaliser le mouvement". La guerre des communiqués de presse commence.

VIDÉO. Installations du Village de l'Eau

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{} ©France télévisions

Acte 2 : l'inquiétude des irrigants, des élus locaux et des forces de l'ordre

Le 11 juillet, la FNSEA, l'association des irrigants de la Vienne, les jeunes agriculteurs et le réseau CLAIN sont les premiers à répondre. Leur communiqué est anxiogène : "Durant six jours, des milices (..) pourraient sillonner nos territoires et se livrer à des destructions qu'ils ont clairement annoncées et listées (matériels, d'irrigation, machines agricoles, granges, hangars, silos, locaux des entreprises para-agricoles...) alors que des agriculteurs sont en train de moissonner avec retard..." Ils en appellent directement aux élus et à l'État. Comment ne pas entendre leur inquiétude ?

Le 12 juillet, les acteurs locaux répondent à cette interpellation.

200 élus, dont la députée de la 2ᵉ circonscription des Deux-Sèvres Delphine Batho, se réunissent à Melle pour clamer leur inquiétude et leur refus de la violence à l'appel du président de la communauté de communes du Mellois Fabrice Michelet.

Écoutez l'interview de Delphine Batho - députée de la 2ᵉ circonscription des Deux-Sèvres

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{} ©France télévisions

Les préfectures de la Vienne et des Deux-Sèvres prennent les premiers arrêtés pour confisquer les armes par destination, interdire le transport de carburant ou d'artifice et interdire tout rassemblement festif sur le passage des convois de l'eau.

La Confédération paysanne appelle au dialogue et alerte sur la "stigmatisation de ce rassemblement consacré à la préservation et au partage de l'eau".

Acte 3 : la bataille des mots

Chaque parti choisit ses termes pour se présenter auprès du grand public et défendre son point de vue.

La FNSEA a lâché le mot "milices" dès le 11 juillet.

Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin vient en personne à la préfecture de Niort le lundi 15 juillet, mais pas question de filmer son arrivée. Il s'engage sur la présence de 3 000 gendarmes et policiers. Sur franceinfo, il dit des futurs participants au village de l'eau :  "Nous attendons entre 6 000 et 8 000 manifestants, dont un millier de personnes extrêmement violentes, qu’on pourrait qualifier de radicalisées », anticipant « des actes d’une très grande violence ».

Les mots de "blackblocs", de "casseurs" reviennent dans la bouche des opposants.

VIDÉO. Présence de Gérald Darmanin - Ministre de l'Intérieur

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Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin vient présenter le dispositif de sécurité mis en place autour du village de l'eau. ©J. Vilain/ M. Knoll/ C. Grivet - Francetelevisions

Pas question de perdre la bataille du langage pour le collectif Bassines Non Merci : l'événement du 19 juillet est désormais présenté comme "une marche populaire" depuis la forêt de Saint-Sauvant (Vienne). "Les agriculteurs et agricultrices, et leurs fermes, n'ont pas été et ne seront pas visés. Ce sont les lobbys agro-industriels qui promeuvent les mégabassines..."

Contrairement à une rumeur qui a couru via une publication de nos confrères du Parisien, les organisateurs nous ont assuré qu'il n'était pas question de se rendre à Sainte-Soline ou dans un lieu où des travaux ont déjà commencé. Sur place, jeudi, à l'ouverture officielle du village de l'eau, les militants rencontrés sont venus de l'europe entière pour partager leur préoccupation autour des ressources en eau.

VIDÉO. Arrivées des militants internationaux au Village de l'Eau à Melle

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{} ©France télévisions

Certains refusent d'être filmés, se méfient des médias. Difficile de trouver le juste équilibre.

VIDÉO. Ouverture du Village de l'Eau à Melle

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{} ©France télévisions

Acte 4 : la bataille juridique

Les arrêtés se succèdent : les préfectures interdisent toutes les manifestations, celle de Saint-Sauvant, confirmé par le tribunal administratif de Niort le 15 juillet, comme celle de la Rochelle. La ville de La Rochelle a annulé la braderie et le marché aux puces. Son maire Jean-François Fountaine (PRG) déclare "qu'hélas, l'expérience montre qu'aux côtés de manifestants pacifiques, des blackblocs ultraviolents peuvent générer des dégradations et des incidents graves." La peur des débordements est partout.

Le résultat des fouilles systématiques de véhicules, présenté ce jeudi 17 juillet par le procureur de Niort Julien Wattebled, ne calme pas les esprits : "5 000 personnes ont été contrôlées jusqu'ici. 400 objets dangereux ont été saisis : couteaux, haches, barres de fer, lunettes, boules de pétanque, liquides inflammables…". Certains voyageurs se défendent et parlent de matériel de camping comme "des sardines de tente ou des réchauds". Mais les événements de Sainte-Soline ont brouillé la frontière entre objets du quotidien et arme par destination.

Ce 18 juillet au matin, les chiffres gonflent encore. À Chauray, dans les Deux-Sèvres, le général de gendarmerie Samuel Dubuis affirme lors d'une conférence de presse que "450 personnes connues pour leur activisme violent ou leurs antécédents judiciaires en lien avec des manifestations, incluant 123 fichés S, ont été contrôlées par les forces de l'ordre". Elles ont effectué "10 000 contrôles, saisissant 1 600 objets". À La Rochelle, nouvelle conférence de presse en ce début d'après-midi de jeudi et de nouveaux chiffres : "entre 6 000 et 10 000 personnes sont annoncées à Melle et 4 000 à La Rochelle. Parmi eux, 3 à 4 % seraient des individus violents." Autant de chiffres difficilement vérifiables pour les journalistes même si les sources sont officielles.

Ce 18 juillet, la bataille juridique devient personnelle : un communiqué de l'association des irrigants de la Vienne informe la presse que 145 agriculteurs ont porté plainte nominativement contre le maire de Melle Sylvain Griffault qui a "mis à disposition des commandos anti-bassines un terrain qui leur servira de camp de base, voire de zone à défendre (ZAD)". Il est tenu pour responsable de la situation et du risque que cela fait peser sur leurs exploitations.

VIDÉO. Interview de Nicolas Giraud, le président de l'association des irrigants de la Vienne

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Invité de l'édition ICI 12/13 de France 3 Poitou-Charentes, Nicolas Giraud, le président de l'association des irrigants de la Vienne, livre son sentiment sur l'organisation du village de l'eau à Melle et ses craintes de débordements. ©Interview réalisée par Clément Massé pour Francetélévisions

Acte 5 : vers une bataille rangée ?

Malgré leur interdiction, les appels à manifester les vendredi 19 juillet et le samedi 20 juillet sont maintenus par le collectif Bassines non merci et Les soulèvements de la Terre.

Des rendez-vous sont donnés aux manifestants afin de converger vers le lieu de rassemblement. Les journalistes sont conviés à suivre l'événement... comme ils sont invités par la préfecture de la Rochelle pour découvrir le dispositif de sécurité mis en place pour sécuriser la ville samedi. Il s'agit d'essayer de comprendre comment les uns et les autres s'organisent.

Ce vendredi, à l'aube, la tension va encore monter d'un cran...

Le syndicat agricole de la Coordination Rurale appelle à une action d'autodéfense. Pour faire échouer la marche de Saint-Sauvant, elle appelle ses adhérents à un rassemblement à Melle dès 6 h ce vendredi 19 juillet : "La présence de centaines de tracteurs et de milliers de paysans mobilisés sera un signe fort de notre détermination à sauver nos fermes, à empêcher la constitution d’une potentielle ZAD agressive." Certains seraient prêts à encercler le village de l'eau avec tracteurs et lisier. Est-ce une intox comme cette peur viscérale de l'installation d'une ZAD ?

Ce face-à-face fait en tout cas craindre le pire alors qu'on attend entre 6 000 et 8 000 personnes autour de Melle et que 3 000 gendarmes devraient être mobilisés. Nos équipes seront sur place pour témoigner, comme à Sainte-Soline en mars 2023. Il y avait alors eu plus de 200 blessés.

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