La Dordogne, département le plus touché de Nouvelle-Aquitaine, est en train de connaître son troisième pic d'épidémie. Face à la demande, les laboratoires sont en limite de saturation, et les pharmacies ont aussi du mal à suivre. Parallèlement, un nouveau variant très contagieux est apparu
Plus de 51 000 primo-vaccinés, et plus de 20 000 personnes totalement vaccinées, et pourtant en Dordogne les chiffres sont de plus en plus inquiétants, les pires de toute la Nouvelle-Aquitaine. Ce mercredi 30 mars, le taux d'incidence (pour 100 000 habitants) a franchi la barre des 300. On en est à 315, et le taux de positivité augmente aussi à 8,1%. Les hôpitaux accueillaient ce matin 116 personnes.
Troisième pic épidémique
Parallèlement, les laboratoires dont l'activité est calquée sur l'évolution de l'épidémie, sont en limite de saturation. Hors hôpitaux, les 16 laboratoires de biologie Novabio assurent 90 % des tests covid effectués en Dordogne. Le président de Novabio, Henri-Pierre Doermann, est catégorique : nous sommes probablement en face du troisième pic d'épidémie dans le département.
On ne peut pas parler de saturation, mais il n'en faut pas beaucoup plus. Pour ne rien vous cacher, on gère les établissements. On y arrive, mais de temps en temps, il y a des jours où on est obligé de décaler, pour répartir un peu la charge analytique sur la semaine.
Ses laboratoires sont sur-sollicités. Le dépistage du virus occupe actuellement 30 à 40% de l'activité, soit près de 2 500 tests effectués chaque jour. Une activité qui s'est renforcée avec les dépistages massifs organisés dans le milieu scolaire, désormais très touché. L'exercice est coûteux en personnel, les praticiens doivent se rendre sur place pour vérifier la validité des prélèvements.
Variant anglais à 80%
Pour l'instant, pas de retard dans le rendu des résultats, qui intervient à 90% dans les 12 heures. Il est en revanche plus long de déterminer le type de virus covid, le séquençage demandant plusieurs jours. À l'heure actuelle, 80% des cas positifs le sont au variant anglais en Dordogne.
Un nouveau variant encore plus contagieux en Dordogne
L'Institut Henri Mondor de Recherche Biomédicale (Université Paris-Est, Créteil) a mis au jour le 12 février un nouveau variant, le HMN.19B, baptisé Henri Mondor du nom de l'Institut.
Ce variant a été décelé à Créteil, mais l'ARS affirme qu'il a également circulé en Dordogne. Il aurait également été détecté à Mayotte et dans d'autres pays européens. En France, dans l'étude flash du 2 mars, il représentait moins de 2% des cas. Si pour l'instant il n'apparaît pas comme résistant au vaccin, il serait en revanche encore plus contagieux que le variant anglais. Il s'agit d'un variant qui porte les mêmes mutations que les variants africains et brésiliens. Les foyers de Dordogne ont été détectés il y a un mois et demi et sembleraient être maîtrisés aujourd'hui.
Découverte d’un nouveau variant du SARS-CoV-2 à l’hôpital Henri-Mondor AP-HP https://t.co/ISbQE8ss8c pic.twitter.com/8KX3jzzJzI
— AP-HP (@APHP) March 31, 2021
La traque des variants
Pour dresser la cartographie des variants, des campagnes de séquençage flash sont organisées tous les 15 jours, et le seront bientôt chaque semaine. Tous les tests positifs sont analysés, triés, puis expédiés au Centre National de Référence à Lyon. La dernière étude a été expédiée hier mardi en soirée, le tri a été effectué aujourd'hui mercredi, et d'ici deux jours les résultats devraient permettre de savoir quels sont les types de virus présents selon les territoires.
Blues de pharmaciens
Autre corps de métier que la période met à l'épreuve, les pharmacies. Jean-Christophe Grenier tient la pharmacie de Mouleydier dans le Bergeracois depuis 23 ans avec 4 préparateurs, une conditionneuse et une assistante. Sept personnes dans son officine, et un travail qui ne manque pas. Surtout depuis un an.
Ici aussi, l'activité s'est recentrée sur la Covid : répondre aux questions, calmer les inquiétudes, tester, fournir pour les médecins et les infirmières, et même depuis peu, vacciner.
Avec mon métier je ne peux pas me plaindre. Un voisin stressé est venu dans ma pharmacie avec une ordonnance pour un anti-dépresseur. Il est propriétaire d'un bar, d'un restaurant et d'une boîte de nuit, avec 19 salariés !
Le problème, il ne le cache pas, c'est l'organisation. Et pas la sienne.
Des consignes gouvernementales qui changent du jour au lendemain, on reçoit un fax, et le lendemain on nous dit le contraire, la pénurie des masques l'an dernier, les gels hydro-alcooliques, maintenant on est en pleine pénurie de vaccins, notamment d'AstraZeneca : c'est le bazar ! Pour le quotidien ça devient lourd !
Vaccin au compte-goutte
Problème du moment : les vaccins. Les généralistes limités à un ou deux flacons de 10 doses chacun viennent s'approvisionner chez lui. C'est Jean-Christophe qui doit aller sur le site de l'ARS pour passer la commande.
Lors de sa première commande, il n'a pu obtenir que deux flacons pour sa pharmacie, aussitôt utilisés pour vacciner une vingtaine de clients. Pour sa deuxième commande, il n'a pu commander que trois flacons, deux pour lui et un seul pour son médecin. Mais il ne sait pas quand il les recevra !
Soixante demandes, et une liste d'attente qui s'allonge de jour en jour
Avec des approvisionnements aussi aléatoires, impossible de s'organiser. Et surtout de répondre à la liste d'attente de ses clients qui s'allonge tous les jours. Soixante à la date d'aujourd'hui. Et surtout, il sait que dans trois mois, il sera obligé de re-vacciner ses premiers patients, sans être sûr qu'il aura les doses ce jour-là. Alors que les rendez-vous sont déjà pris. Kafkaïen.
C'est le début, on sait pas trop comment ça va se passer. Le gouvernement nous a dit qu'il y aurait des doses qui vont se libérer. Mais entre les promesses et la réalité, il y a toujours un gouffre...
Et encore, ça, c'est pour les cas simples. Hier, sa pharmacie a vacciné un monsieur de 72 ans qui vit à mi-temps en Espagne. Il doit recevoir son deuxième vaccin le 29 juin. Sauf que le 29 juin, ce monsieur sera en Espagne... Il y a aussi ce couple qui a eu sa première vaccination en Bretagne, et qui demande à avoir sa deuxième vaccination dans son officine.
Succès des tests antigéniques... scolaires
Deux salariées ont pris l'initiative de faire les tests antigéniques. Gros succès. D'autant que la pharmacie n'est pas très éloignée du collège Eugène Le Roy, durement frappé par l'épidémie, qui a dû fermer ses portes. Depuis, profs, élèves, parents, frères et sœurs viennent toquer à la porte. Heureusement, il y a moins de cas que de tests. "Hier, contrairement à la semaine dernière, aucun positif sur les 10 tests réalisés !", se félicite Jean-Christophe.
Pas d'angoisse, mais un grand ras-le-bol
Côté moral, Jean-Christophe ne remarque pas vraiment de panique dans sa clientèle. Juste un énorme ras-le-bol, qui gagne aussi son équipe. "Surtout qu'on sait pas où on va, on ne peut même pas faire de projet à court terme". Du coup, il sera comme sa clientèle devant son poste ce soir pour suivre l'allocution présidentielle... et tenter de s'adapter une nouvelle fois.