Le 16 novembre, la notion d'écocide a été reconnue par l'Union Européenne. Juriste et écologiste, la Périgourdine Valérie Cabanes s'est battue pendant dix ans pour que nos sociétés se dotent d’un droit international capable de sanctionner les crimes contre l’environnement
Ce jeudi 16 novembre, après des mois de négociation, l'Union européenne a entériné un accord sur la criminalité environnementale, qui reconnaît l'écocide (sans le nommer ainsi) comme infraction aggravée en droit européen. L'écocide se définit par "des atteintes graves à l'environnement (...) soit irréversibles, soit durables, conduisant à des conséquences environnementales catastrophiques".
Le vote officiel aura lieu début 2024 et les 28 États membres auront deux ans pour adapter leur législation à cette directive européenne. Une victoire pour les parlementaires européens unis derrière la députée écologiste Marie Toussaint. Et un combat, mené, entre autres, par la Périgourdine Valérie Cabanes.
Valérie Cabanes, juriste militante
"Nous sommes interdépendants des autres espèces, des autres systèmes vivants. Vivre de façon écologique, c'est simplement reconnaître cet état de fait et respecter une vision plus écosystémique en harmonie avec la nature." Cette phrase à elle seule résume les convictions qui animent Valérie Cabanes. Cette juriste internationale a travaillé pendant vingt ans sur des conflits en rapport avec les droits humains. Alors qu'elle défendait des peuples autochtones, menacés par des projets industriels, elle a pris conscience de l'urgence écologique et son combat a changé de cap.
En 2015, elle co-fonde Notre affaire à tous, association pour la préservation de la nature et la justice climatique à l'origine de la pétition L’Affaire du siècle, soutenant l’action en justice d'ONG contre l’État accusé d’ « inaction climatique ».
Faire reconnaître l'écocide
En tant que juriste, c'est le combat pour la reconnaissance en droit de l’écocide qui l'anime depuis plus de dix ans. Une notion qui fait référence bien sûr au génocide. Le crime d'écocide, ce sont "des actes illicites ou arbitraires, commis en connaissance de la réelle probabilité que ces actes causent à l’environnement des dommages graves qui soient étendus ou durables". Valérie Cabanes est ainsi devenue porte-parole du mouvement End Ecocide on Earth, militant pour l'inscription de l'écocide sur la liste des crimes internationaux. Elle fera partie du groupe d'experts qui ont donné sa définition précise à l'écocide.
Il faut défendre les droits de la nature à exister pour défendre les droits fondamentaux de chacun des humains
Valérie CabanesJuriste et militante
Donner des droits à la nature
L'enjeu est de donner une existence, une personnalité juridique à des notions, des actes ou des entités qui n'en avaient pas jusqu'alors. Un préjudice écologique, un écosystème, la nature, un fleuve, un territoire : on ne peut défendre cela en justice que si on peut le définir, reconnaître une atteinte qui lui est faite, en faire un sujet de droit. Une manière de pousser les politiques et les États dans leurs retranchements, de les sortir de l'impunité pour les confronter à leurs obligations de respecter la loi, au nom de l'intérêt général. "Si les politiques ne font rien, alors allons chercher le courage des juges", dira Valérie Cabanes. Un premier pas vient d'être franchi dans ce sens, il devra être suivi de nombreux autres.
Encore tant à faire
La juriste militante qui vit en Dordogne mesure aujourd'hui le chemin parcouru, mais ne considère pas pour autant la partie gagnée, il s'agit maintenant d'agir vite pour tenter de limiter les dégâts. Sans penser, non plus, que cette victoire à un haut niveau nous exonère d'une démarche personnelle. "On n'a même plus le temps aujourd'hui de se poser la question : nous devons tous, à titre individuel, en fonction de nos compétences, en fonction de nos possibilités, agir pour préserver les conditions de la vie sur terre."
Lente reconnaissance mondiale
Le crime d'écocide progresse de 5 à 7% chaque année et entraîne, outre des dommages irréversibles, entre 110 et 281 milliards de dollars de pertes. Dans le monde, une dizaine d'États ont déjà intégré cette notion dans leur droit interne, mais l'Union européenne est la première instance internationale à le faire. Elle doit maintenant faire reconnaître ce crime par la Cour Pénale Internationale. Qualifier le crime permettra de pouvoir poursuivre en justice les auteurs, individus ou entreprises, responsables de marées noires, de catastrophes nucléaires, de déforestation, d'assèchement, ou encore d'utilisation de pesticides tuant la biodiversité.