Situation inédite en France, le groupe privé Médicharme devrait être placé en liquidation judiciaire ce jeudi. Medicharme accueille 2 000 personnes âgées en France. Il possède sept établissements en Nouvelle-Aquitaine
Il flotte de l'incertitude parmi le personnel et les 65 résidents du petit Ehpad "Les chênes verts" d'Agonac en Dordogne. Un mail a été adressé aux familles des résidents lundi 26 février pour leur faire part de la situation financière et juridique de la structure.
Dans deux jours, le 29 février prochain, le groupe Médicharme, qui dirige l'établissement, passera devant le tribunal de commerce de Nanterre, en région parisienne, pour sa mise en liquidation. Conséquence des difficultés financières du groupe qui a accumulé 150 millions d'euros de dette. Un événement inédit jusqu'alors pour ce type d'établissement.
Je suis inquiète, je me dis qu'est-ce qui va arriver ?
Christelle Druillole, maire d'Agonac
Les chênes verts dans le doute
L'Ehpad d'Agonac faisait l'objet d'une gestion plutôt familiale jusqu'à son rachat, il y a quelques années, par le groupe Médicharme. Jusque-là, personnel compétent et service efficace, la commune était très satisfaite de la gestion de l'Ehpad. "C'est un établissement qui fonctionne très bien, qui a une bonne réputation, liée notamment à un personnel présent depuis une vingtaine d'années", explique Christelle Druillole, maire d'Agonac.
En revanche, depuis la reprise par Médicharme, les directeurs se sont succédé. Et avec une nouvelle reprise, la mairie craint de perdre cette fois complètement le lien avec la future direction. "C'est vrai que moi, je suis toujours inquiète, parce que là, on a quand même de l'humain et à chaque fois, je me dis qu'est-ce qui va arriver ? Il ne faudrait pas, s'il y a un repreneur, qu'il y ait une fuite des personnels en place, parce que je pense que ça pourrait avoir des incidences désastreuses."
Un géant du secteur
Une situation qui se répète partout en France. Avec une capacité de plus de 2 000 lits répartis dans 43 établissements dont 34 Ehpad, Médicharme est le neuvième groupe le plus important du secteur. Il est implanté dans six régions et emploie 1230 personnes. La Nouvelle-Aquitaine compte sept établissements, dans le Lot-et-Garonne à Villeneuve-sur-Lot, Tonneins et Casteljaloux, ainsi qu'en Dordogne à Payzac et Agonac. Il y a aussi des établissements en Charente, à Marthon et en Charente-Maritime, à Saint-Pierre d'Oléron.
Le quotidien assuré
Pour l'heure, Médicharme maintient une activité normale, en attendant la décision du tribunal de Nanterre, le 29 février prochain et la fin de la procédure. "En fait, la procédure qui a été enclenchée, c'est une liquidation judiciaire avec maintien de l'activité " explique un responsable des relations presse du groupe Médicharme.
"Jusqu'au bout, dans les semaines qui viennent, nous avons une absolue garantie que les salaires seront payés, que les résidents seront pris en charge comme d'habitude. " rassure-t-il.
L'objectif a été d'avoir suffisamment de trésorerie pour tenir jusqu'à la fin, il n'y a aucun soucis à se faire sur ce plan-là
Direction du groupe Médicharme
1 100 propriétaires de chambres d'Ehpad
Médicharme a été créé en 2015, en rachetant des Ehpad dont les chambres étaient revendues à des investisseurs. Ces derniers pouvaient ainsi défiscaliser et toucher des loyers. La vente de ces chambres permettait de dégager un bénéfice et d'acheter d'autres établissements. Médicharme compte actuellement 1 100 propriétaires, des investisseurs institutionnels ou particuliers.
Une chute due à la crise
La machine s'est enrayée avec la crise Covid et le scandale Orpea qui ont fait baisser le taux d'occupation des Ehpad. Les bénéfices de Medicharme ont été fortement réduits. Dans le même temps, l'inflation a plombé les charges, le personnel en manque a été remplacé par des intérimaires plus coûteux et les loyers ont continué à être versés.
L'exigence de rentabilité des actionnaires a entraîné une baisse de la quantité de personnels et de la qualité des soins. Le plan de contrôle des 7 500 Ehpad français, lancé en septembre 2022 après le scandale Orpea, va révéler "les difficultés au niveau opérationnel" de Médicharme. L'ARS fait fermer un Ehpad en région parisienne pour défaut de personnels. Des manquements graves sont aussi relevés dans la Résidence de Beurre à Villeneuve-sur-Lot qui échappe de justesse une mise sous administration provisoire.
Reprise en main
À son arrivée en janvier 2022, la nouvelle direction découvre une situation critique, stoppe l'achat de nouvelles résidences et entame une première conciliation auprès du tribunal de commerce de Nanterre, dans l'objectif de mettre un terme à la fuite en avant. Il y a aussi une remise en cause de la rentabilité forcée, mortifère à long terme pour la qualité des soins. Malheureusement, à l'époque, l'arrivée de 20 millions d'euros prêtés par un fonds d'investissement nord-américain ne suffira pas à sauver l'entreprise.
Offres de reprise sérieuses
Pour cette nouvelle échéance à Nanterre, la direction se dit confiante "Il y a plusieurs offres de reprise qui ont été faites", explique le service presse du groupe. "Toutes les offres déposées viennent d'acteurs très sérieux du secteur, et elles concernent tout ou partie de l'établissement," précise-t-il. "De toute façon, le juge n'aurait aucun intérêt à transférer les établissements à un autre opérateur qui n'aurait pas les reins solides.
Si c'est pour se retrouver dans la même situation que celle de Médicharme dans quelques semaines ou quelques mois, ça n'aurait vraiment aucun intérêt.
Service Presse du groupe Médicharme
Privilégier la reprise globale
C'est dans le type de reprise que se jouera la différence. Si le tribunal de Nanterre retient une offre globale viable, l'opération devrait être transparente pour les résidents et les personnels. Le changement serait un simple transfert de patron. Ce qui, dans un premier temps du moins, ne remettrait en cause ni l'existence des établissements, ni les séjours des résidents, ni le travail des employés." Ça ne changerait strictement rien pour les salariés ou les résidents, il y aurait continuité d'activité, il n'y aurait même pas de pause entre les deux opérateurs", confirme la direction.
Trouver une solution pour tous
C'est l'objectif privilégié pour éviter l'absence de reprise ou des reprises partielles qui pourraient mettre en difficulté les sites les moins rentables. Si certains sites n'avaient pas de repreneur et étaient amenés à fermer, les emplois ne seraient pas tous garantis. L'ARS devrait prendre en charge et replacer les résidents concernés. Une issue que ni Médicharme, ni le tribunal, ni les ARS, ni le Ministère de la Santé, qui depuis l'été dernier fait inspecter les comptes et le fonctionnement de Médicharme, ne souhaite voir se présenter.
Le 29 février, lors de la première audience, le tribunal aura les différentes offres devant lui. Il disposera de trois semaines pour faire le meilleur choix. En cas d'absence de repreneurs, il faudra tenter de trouver des solutions sur le terrain, avec des collectivités locales ou des associations, pour éviter à tout prix des fermetures. Le scénario pourrait malheureusement ne pas être isolé. Après avoir connu un âge d'or, d'autres gestionnaires d'Ehpad, confrontés à la même conjoncture, se retrouvent, eux aussi, aujourd'hui en grande difficulté financière.