La méthode n'a toujours pas détrôné les systèmes d'épuration traditionnels, mais gagne du terrain. La phytoépuration, traitement des eaux usées par les plantes, fait de plus en plus d'adeptes. Elle a même séduit les JO de Paris 2024.
La phytoépuration, c'est un peu le retour à une époque où l'homme ne se souciait pas encore de ses déchets. Eau de vaisselle ou de lessive, toilettes : pendant des siècles, les effluents de l'activité humaine étaient tout simplement rejetés dans une nature qui se chargeait de les transformer.
Aujourd'hui, les 37,8 millions de foyers français sont obligatoirement raccordés à un système d'épuration : collectif type "tout-à-l'égout" et station d'épuration dans les zones urbanisées, ou individuel type fosse septique dans les zones rurales peu urbanisées, le tout avec une épuration principalement mécanique et chimique.
Face à ces méthodes modernes, la phytoépuration propose d'absorber, filtrer et dépolluer les eaux usées via les plantes et les bactéries, en reproduisant l'écosystème naturel. Encore marginale, cette tendance offre pourtant une alternative plus écologique, moins coûteuse sur le long terme, et souvent bien plus esthétique.
Alternative verte
En Dordogne, certains ont osé sauter le pas, malgré les a-priori. Jean-Louis Viargues, propriétaire de la Chartreuse du Bignac, à Saint-Nexans fait partie de ces précurseurs. Pour son gîte d'une trentaine de personnes, il a fait installer ce système des eaux usées. "Au début, j'étais un peu dubitatif quand on m'a expliqué que les eaux usées arrivaient à l'air libre. Je me suis demandé ce qui allait se passer niveau olfactif"", se souvient le propriétaire. Après une visite sur un autre chantier, le constat est clair. "Je n'ai senti que de l'humus, donc ça m'a plu", indique-t-il.
Ce système de phytoépuration fonctionne comme une collaboration entre les micro-organismes qui fixent et transforment les principaux polluants contenus dans l'eau sale et les plantes qui assimilent cette eau via leurs systèmes racinaires. À la sortie des bacs contenant les plantes et les masses filtrantes, l'eau sort biologiquement dépolluée et peut être envoyée dans les sols via un drain.
Avec ces plantes, on va composter les matières à l'air libre grâce à des vers de terre, des bactéries et des champignons.
François L'Humeau,expert en phytoépuration d'Aquatiris
“On va reconstituer un écosystème hyper favorable avec du gravier, on va le complexifier avec des super plantes qui sont très résistantes au sec, à l’eau, à l’excès de matière organique", illustre François l'Humeau, expert en phytoépuration d'Aquatiris.
Il existe plusieurs déclinaisons possibles, en simple ou double bac, roseaux uniquement ou roseaux et autres plantes, fleuries par exemple. Dans ce cas, un premier bassin rempli de petits cailloux est chargé de retenir et dégrader lentement les macro-particules, avec des roseaux (phragmites), des massettes ou encore des laîches. Plantes et cailloux effectuent ainsi un pré-filtre sur les matières et l'eau brute qui, par gravité, descendront progressivement en se décomposant en un compost liquide partiellement épuré.
L'eau se dirige alors vers un deuxième bac rempli de pouzzolane, une pierre volcanique propice au développement des bactéries. Là, s'opère une filtration et une transformation des polluants ménagers, en nitrates, phosphates et métaux absorbés par les racines de souchets, carex, arums, menthe aquatique, salicaire ou différentes variétés de joncs. À l'issue du traitement, l'eau restante est potentiellement réutilisable pour l'arrosage.
Quelles contraintes pour les particuliers ?
Bien sûr, il faut disposer d'espace pour installer les bacs. Et au cas où la gravité ne suffit pas à évacuer les eaux usées, il faut une pompe de relevage. En contrepartie, contrairement aux fosses septiques, la phytoépuration ne nécessite pas de vidange, coûteuse et polluante, d'ajout de produits pour réactiver la dégradation des matières ou de changement de masse filtrante. Un entretien annuel des plantes suffit à vie. Le tout, pratiquement sans aucune odeur puisque les eaux usées ne fermentent pas.
Quel coût ?
"Un surcoût d'environ 10 à 15 % est à envisager par rapport à une installation classique", explique François l'Humeau, expert en phytoépuration d'Aquatiris, concepteurs français de "jardins d'assainissement", l'un des premiers professionnels dans ce domaine. Un surcoût qui s'explique notamment par la construction des bassins en dur, le terrassement, le réseau à installer, qui nécessitent de faire appel à un professionnel.
Mais de plus en plus d'autoconstructeurs se lancent eux-mêmes pour réduire la facture. 58% des installations de ces jardins d'assainissement se font aujourd'hui en autoconstruction avec ou sans le recours partiel d'un entrepreneur.
Bassins règlementaires
Attention toutefois, les normes sont strictes et doivent être respectées. Posé par un professionnel ou en autoconstruction, cet assainissement non collectif (ANC) doit être contrôlé par les Services Publics d’Assainissement Non Collectif locaux (SPANC), qui vérifient scrupuleusement les travaux, le fonctionnement et l’entretien des installations.
Une histoire récente
La première station française de ce type a été conçue en 1978 dans un centre éducatif à Saint-Bohaire, dans le Loir-et-Cher, par Käte Seidel, une botaniste allemande. En 2003, Aquatiris monte une station expérimentale en Bretagne qui permettra de valider un agrément faisant de son Jardin d'Assainissement un dispositif d'assainissement réglementaire.
Depuis, plus de 20 000 phytoépurations ont été installées en France, dont 2143 en Nouvelle-Aquitaine et 370 rien qu'en Dordogne. Pour l'entreprise, 95% de ces installations sont réalisées par les particuliers, le reste concerne des campings, gîtes ou domaines agricoles. Et la vitesse de croisière s'accélère. "En 2012, j'ai réalisé 13 études en Dordogne et Lot-et-Garonne qui n'ont abouti qu'à une seule station", se souvient François L'Humeau. Aujourd'hui, la société réalise 130 études qui aboutissent chaque année à cinquante réalisations.
Des Jeux Olympiques 2024 phytoépurés
Preuve que la phytoépuration est une solution d'avenir : pour assainir la Seine à l'occasion des épreuves de natation des Jeux Olympiques Paris 2024, Aquatiris a été chargée de traiter les eaux usées de certaines péniches habitées à l'aide de barges de phytoépuration. Un concept sur lequel elle travaille depuis 2015.
En Europe, la France est pionnière dans le domaine de la phytoépuration et les Jardins d'Assainissement sont le premier système d'assainissement tout confondu à obtenir la certification AFNOR "Origine France Garantie". "C'est simplement un système qui n'est pas assez connu parce que les gens n'ont pas l'information", regrette tout de même François L'Humeau.
Pas à pas, Aquatiris travaille à lever les dernières réticences : celles des installateurs face à un système qu'ils ne connaissent pas, celles des particuliers à qui il faut démontrer que les à-priori sur une station d'épuration "à ciel ouvert" et les risques d'odeur sont sans objet, et surtout d'une administration pointilleuse qui prend son temps pour normaliser et mettre les jardins d'assainissement sur un pied d'égalité avec les fosses septiques, plus polluantes, mais plus traditionnelles.