La question du devenir des vignerons français se pose de plus en plus sérieusement. Même dans le terroir privilégié de Monbazillac, en Dordogne, les vignerons s'interrogent sur leur avenir incertain
Fabrice Camus est né dans le vin. Il représente la troisième génération installée à Monbazillac. Ce fils et petit-fils de viticulteur a grandi ici, a consacré toute sa vie à ces terres, à ces vignes. Il s'y est taillé une belle réputation, s'est lancé dans des expérimentations innovantes, a gagné des concours, a connu des questionnements, mais aussi les grandes satisfactions du métier. Pourtant, il fait partie de ces professionnels qui commencent à remettre en question ce qu'ils ont toujours connu. Pas pour lui, plutôt pour ses enfants.
Plutôt aller voir ce qui se fait ailleurs
Les derniers événements ont fini par avoir raison de l'enthousiasme et de la confiance dans l'avenir de Fabrice. "Les choses ont tellement évolué, pas forcément dans le positif, qu'on se pose la question, à savoir si c'est judicieux d'envoyer nos enfants au charbon et savoir comment ça va se passer pour eux", confie-t-il. "Donc effectivement là, les directives familiales ne sont plus vraiment à la reprise, mais sont plutôt à aller voyager, à aller voir ce qui se fait ailleurs".
Il y a toujours eu les aléas climatiques, les cours fluctuants, les charges qui augmentent et les attaques de phylloxéra ou de mildiou, mais rien qui ne justifiait jusqu'alors d'abandonner le métier de la vigne. Aujourd'hui pourtant, le ton change. Même dans les terroirs dont la réputation semblait mettre les heureux producteurs à l'abri, comme dans cette belle région du bergeracois.
Le blues bio du blanc
Ceux qui ont parié sur le bio partagent aussi ces doutes sur l'avenir. Depuis le Covid, les ventes peinent à décoller, et les efforts n'ont pas été récompensés. Comme pour ce producteur qui a dû se résoudre à vendre son vin bio au prix du conventionnel. "C'est à la fois triste et rageant, parce qu'on a mis toute l'implication qu'il fallait pendant la saison pour produire du vin bio, pour cultiver du raisin bio, pour entretenir un vignoble en bio. Et au moment de le vendre, on est obligé de le déclasser", se lamente Grégoire Gillet.
Les vignes noyées dans la paperasse
Chez les plus jeunes professionnels, pas plus d'optimisme. Installé depuis 2018, le pari de Kévin Jarzaguet n'a guère été plus payant. Lui a misé sur l'accroissement de son activité pour faire décoller son chiffre d'affaires. Il n'est parvenu qu'à le maintenir au niveau précédent. Aujourd'hui, il doit exploiter 85 hectares, et ne se permet en contrepartie qu'un revenu de 1 800 euros mensuel. Dans le même temps, son travail est de plus en plus plombé par les tracasseries administratives. "L'an dernier, j'ai eu trois contrôles en un an. J'ai eu les Douanes, la Draf, la MSA et à chaque fois, ce sont des mois, des semaines de justificatifs à sortir", peste-t-il.
Je perds des semaines entières de travail aujourd'hui avec ça !
Kévin JarzaguetViticulteur
Les vins d'importation en embuscade
Et comme si les difficultés locales ne suffisaient pas, la menace la plus terrible vient des vins étrangers. Des vins moins régulés, dont la production coûte moins cher, plus offensifs commercialement et auxquels les revendeurs et la grande distribution font les yeux doux. Leurs intérêts financiers, sans états d'âme patriotique, les poussent à écarter la production locale au profit d'autres sources plus lucratives, et à détourner petit à petit les goûts des consommateurs.
Le vin, ultime bastion de l'agriculture française bientôt à terre ?
"La viticulture, on ne se sent pas autant dans le dur pour l'instant, mais ce n'est qu'une question de temps, de quelques années" prédit sombrement Matthieu Simon, un autre viticulteur qui tente de lutter avec ses collègues contre cet envahissement acharné de la concurrence étrangère.
Sans réaction rapide et surtout efficace, la France pourrait bien voir sombrer à son tour l'un de ses derniers fleurons agro-alimentaires les plus prestigieux. Le symbole d'une France qui rayonne à l'étranger, devenu un trophée de plus à ranger dans l'armoire des gloires passées du pays.