Née métisse aux Etats-Unis, Joséphine Baker fait de sa vie un combat pour la tolérance et l'humanisme contre le racisme et toute forme de discrimination. Pour mener cette croisade, elle s'installe dans son "village du monde capital" en plein cœur de la Dordogne, le château des Milandes. Cette semaine, nous vous proposons de découvrir tous les jours l'histoire de sa vie, à travers une série d'articles.
La jeune Américaine connaît l'engagement très jeune. Depuis sa naissance à Saint-Louis dans le Missouri aux Etats-Unis le 3 juin 1906, Joséphine est confrontée au racisme et à la ségrégation. Née d’un père espagnol et d’une mère afro-indienne, le métissage et l’idée d’une seule et même race humaine coulent dans ses veines, mais se confrontent au réel de la situation.
Arrivant en France en 1925 pour intégrer la Revue Nègre du théâtre des Champs Elysées, elle a alors 20 ans et s’amuse, se joue des codes et jubile de l’absence de ségrégation et de lois raciales. Elle se fait désigner "la reine noire" ou "la princesse noire" par un public médusé et conquis.
Cependant, elle reconnaît ne pas être totalement considérée à sa juste valeur du fait de sa couleur, et le chante.
De la libre "Reine noire" à l'icône militante
Peu de temps après avoir combattu la barbarie et la politique raciale nazies aux côtés des troupes de la France Libre , elle est une nouvelle fois confrontée à la politique raciale ségrégationniste aux Etats-Unis. Ce pays même qui combattait les thèses et les manoeuvres du 3ème Reich.
En 1947, Joséphine Baker se rend en tournée dans son pays natal aux côtés de son chef d'orchestre et désormais mari Jo Bouillon, elle fait une nouvelle fois l'expérience de la ségrégation en ne trouvant pas de chambre où loger. Trente-six fois elle se voit refuser l'accès aux établissements sous peine d' "interdiction d'entrer aux Juifs, chiens et Nègres".
Tandis qu'elle organise une nouvelle tournée aux Etats-Unis en 1951, elle fait inscrire une clause non négociable à ses contrats: "Il est entendu que les clients seront admis sans considération de couleurs, de race ou de religion". Elle déclare alors à l'adresse de son public.
Il semble que vous m'aimez, jamais je ne vous laisserai tomber mes sœurs et mes frères.
Joséphine Baker
Le Baker Day
Le 16 octobre 1951, elle se rend à New-York dans un restaurant très fréquenté par le Gotha, le "Stork Club".
Sa notoriété ne change rien aux comportements des serveurs du lieu qui l'ignorent ostensiblement et ne lui apportent pas le plat qu'elle a commandé.
Quand elle réalise ce qu'il se passe, elle interpelle un journaliste très puissant présent dans la salle, Walter Winchell qui ne bronche pas et contacte directement son avocat américain, secrétaire de direction de la NAACP (La National Association for the Advancement of Colored People), l'association nationale pour la promotion des gens de couleur, organisation américaine de défense des droits civiques.
"Je n'ai pas l'intention de subir une humiliation délibérée sans riposter", déclare-t-elle alors.
Dès le lendemain, des militants font le siège du restaurant, rejoints au fur et à mesure par des sympathisants. De cet évènement naît le Baker day, officiellement célébré dès le 20 mai 1951 à Harlem notamment.
Mais Joséphine Baker est, quant à elle très inquiétée, par le Klux Klux Klan et le président Hoover qui la fait inscrire au registre des personnes soupçonnées d’être communistes. Considérée comme persona non grata aux Etats-Unis, elle doit rentrer en France.
Les Milandes: berceau de la résistance Universaliste
Propriétaire des Milandes dès 1949, Joséphine Baker y trouve la paix et l'inspiration pour s'insurger à maintes reprises contre les discriminations en tout genre.
Tout commence par un rapprochement de la LICA de Bergerac en Dordogne (ancien nom de la LICRA), qu'elle côtoie depuis 1938, peu après son mariage avec Jean Lion, très ami avec Jean Pierre-Bloch l'un des membres du bureau de la Ligue internationale contre le racisme.
Emmanuel Debono, historien du mouvement antiraciste, précise.
A l'époque ce mouvement est extrêmement fort. Le congrès qui fonde le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples) le 1er mai 1949 remplit le Cirque d'hiver. On a compris à la LICRA que Joséphine Baker avait une parole très forte et qu'elle était une excellente ambassadrice.
Emmanuel Debono - historien du mouvement antiraciste
S'organisent ainsi des actions conjointes, comme sa participation à un grand meeting donnée à la Mutualité à Paris le 28 décembre 1953.
Discours de Joséphine Baker à la Mutualité à Paris le 28 décembre 1953
Mais son universalisme se donne également à voir dès 1951 et l' adoption d'Akio, née en Corée du Sud. Cette première maternité marque les débuts de la "tribu arc en ciel", symbole de tolérance et d'humanisme.
A terme, la tribu comptera 12 enfants.
Mais ces premières adoptions ne remettent pas en question son rôle au sein de la LICA. Elle est déléguée internationale à la propagande de la ligue et continue de militer activement.
Ainsi, elle organise plusieurs cycles de conférences avec l'aide de la LICA de Bergerac notamment, et avec l'aide du siège également, tant la demande pour y assister est forte.
Elle y évoque les drames de la déportation et stigmatise les lois de discrimination raciale.
Emmanuel Debono, en tant que rédacteur en chef du Droit de vivre (journal de la LICA , devenue plus tard la LICRA) s'est plongé dans les archives de la publication et précise "Pour une partie de ses conférences, elle est accompagnée d'au moins trois de ses enfants. Ça fait partie du spectacle. Mais il y a pour autant une vraie gravité dans ses discours. Il y a quelque chose de très éprouvant sur ses sévices aux Etats-Unis."
Déléguée internationale à la propagande à la LICA, Joséphine Baker se déplace à Châlons-sur-Saône, à Niort et un peu partout, et on a systématiquement des transcriptions de la presse qui suit tous ses mouvements. C'est difficile de se rendre compte à quel point cette femme a réussi à faire déplacer des foules sur cette question de l'antiracisme. Il y a avait à chaque fois, relate la presse, 600 à 1000 personnes, le Préfet, L'Evêque...Il y avait le ban et l'arrière ban. C'est un journal local qui écrit à l'issue de la conférence, je cite, "lors de cette soirée elle aura converti à l'antiracisme toute l'audience".
Emmanuel Debono, rédacteur en du Droit de VivreFrance 3 Aquitaine
Des Milandes à Washington
Joséphine Baker est connue pour ses prises de position. Elle est reconnue par Martin Luther King. Le pasteur lui demande ainsi de participer avec lui à l'historique marche des droits civiques sur Washington. Joséphine est encore une fois la seule femme, noire, à prendre la parole à la tribune. Mais pour cet évènement si particulier, elle donne le ton en revêtant son uniforme de femme de l'armée de l'air française, et entame son allocution par un vibrant « Dans mon pays en France, on vit en pleine liberté »
Je veux que vous sachiez que c'est le plus beau jour de toute ma vie. Vous voir réunis aujourd'hui est un baume pour les yeux. Unis comme le poivre et le sel, comme vous devez l'être, comme j'ai toujours voulu que vous soyez, comme tous les peuples de la terre l'ont toujours voulu. Vous êtes enfin un peuple uni. Vous êtes à la veille de la victoire totale. Continuez, vous ne pouvez pas échouer, le monde est avec vous.
Joséphine Baker, discours de Washington le 28 Août 1963
Des Milandes à Cuba
Elle n'a de cesse de continuer à essayer de collecter des fonds pour monter un Collège de la fraternité aux Milandes. Elle va jusqu'à échanger divers courriers avec Fidel Castro dont celui retranscrit ci-dessous:
"Je vous serais très reconnaissante si vous vouliez bien me faire l’honneur d’une entrevue à la date qui vous conviendrait le mieux cet automne. L’objet de cette entrevue est de vous entretenir de mon projet tendant à la construction, ici aux Milandes, du Collège de la fraternité universelle. Ma visite aura également pour but d’attirer l’attention du monde entier sur le fait que vous approuvez mon idéal dont mes enfants sont le symbole vivant. Au cas où vous le désireriez, je serais disposée à donner dans votre pays une ou plusieurs représentations au profit de vos œuvres philanthropiques nationales. Dans cette éventualité, vous voudrez bien me prévenir à l’avance en raison des préparatifs à prévoir à cet effet. Dans le ferme espoir d’une suite favorable à cette requête, et tout en formant à votre attention, celle de votre famille et de votre entourage les vœux les plus sincères, je reste, Monsieur le président, bien affectueusement à vous." Joséphine Baker, le 4 août 1965.
Après une réponse favorable du Lider Maximo, Joséphine s’envole vers la Havane le 29 décembre 1965 et atterrit en qualité d’invitée spéciale. Elle vient ensoleiller la Conférence tricontinentale : " De tous les voyages qu’elle a effectués depuis quarante ans qu’elle chante autour du monde, celui qui la mène à Cuba est le plus mystérieux ", écrit Roger Faligot, auteur de " Tricontinentale". Toujours est-il qu'elle revient sans les fameux fonds.
Au final, la vente des Milandes et son départ du Château en 1969, referment le chapitre du Collège de la Fraternité qui lui aura coûté déjà une débauche d'énergie. Mais " Elle n’a pas échoué. Ce Collège de la fraternité, elle l’a réalisé avec ses 12 enfants ", considère Angélique de Saint-Exupéry, l’actuelle propriétaire du château.
Et aujourd'hui encore, les Milandes restent un domaine porte-étendard de cet idéal de fraternité.
« Joséphine Baker : Du Music-Hall au Panthéon »
France 3 Nouvelle Aquitaine vous propose une émission spéciale de 52 minutes depuis le château des Milandes.
Elle est présentée par Emilie Bersars et préparée par Sébastien Bouwy.