La municipalité d'Audenge, en Gironde, vient d'être condamnée pour avoir délivré des certificats d'urbanisme dans des zones protégées par la loi Littoral, où les constructions sont pourtant interdites. Depuis trois ans, de nombreux propriétaires se retrouvent coincés avec des crédits contractés pour l'achat et la construction sur des terrains où ils ne peuvent finalement plus bâtir leur maison.
Chaque mois, Gérard Caubet rembourse 1 500 euros de crédit pour "trois parcelles d'herbe" inutilisables sur le Bassin d'Arcachon. Les terrains, acquis en 2018 pour le premier et 2020 pour les deux autres, devaient accueillir sa future maison. Le quinquagénaire envisageait de quitter l'Ain, où il est encore domicilié, pour s'installer à Audenge avec sa fille de 11 ans. Le rêve d'une vie tranquille au bord de l'Atlantique qui a rapidement tourné au cauchemar.
En 2021, Gérard Caubet reçoit une lettre de la municipalité girondine. "On me dit que je dois stopper mon projet, ne plus investir d'argent. La zone est protégée par la loi Littoral et n'est en réalité pas constructible. Je suis tombé des nues", raconte l'acheteur, accompagné par un avocat spécialisé dans cette législation. Instaurée en 1986, la loi Littoral permet de limiter les nouvelles constructions pour préserver les côtes des constructions et des abus de la spéculation immobilière.
Lotissement de 17 maisons
À Audenge, où la population est passée de 6 000 habitants en 2010 à 9 400 en 2021, trois secteurs éloignés du centre sont particulièrement concernés : Pointe-Émile, Hougueyra ainsi que Bas-Vallon et sa très prisée rue des Trucails, où a acheté Gérard Caubet et où un promoteur voulait construire un lotissement à 17 maisons.
C'est ce projet qui a tout fait basculer en 2021, lorsque les agents de la préfecture de Gironde découvrent lors du contrôle de légalité que la mairie a signé d'autres certificats d'urbanisme pour des terrains pourtant non constructibles.“Les mairies ont la compétence urbanisme, mais n’ont aucune formation. Elles rejettent la faute sur l’État. Les préfectures n’ont pas les moyens de suivre tous les permis. En réalité, très peu sont soumis au contrôle de légalité”, déplore Bruno Hubert de l’association Audenge Citoyenne, qui défend les acheteurs, mais également l'arrêt de la "bétonisation" du territoire.
► CARTE. Rue des Trucails, 33980 Audenge (2006-2010 vs. aujourd'hui)
La préfecture de la Gironde assure, de son côté, que “tous les actes d’urbanisme passent par un contrôle de légalité” bien que les agents ne peuvent pas toujours "regarder de façon précise". Les services de l’État feraient preuve d’une “vigilance accrue, depuis plusieurs années” concernant les communes du Bassin d’Arcachon, mais invite “à se renseigner auprès des notaires” et à consulter le PLU en mairie pour vérifier la constructibilité d’un terrain avant l’achat.
Près de 200 parcelles concernées
L’association Audenge Citoyenne estime à environ 200 le nombre de certificats d’urbanisme délivrés, sur les dix dernières années, pour des terrains concernés par la loi Littoral. “Si personne ne dit rien aux acheteurs, il n’y a aucune raison qu’ils se posent des questions. S’il y a une catastrophe naturelle, il n’y aura probablement pas de reconstruction possible sur ces terrains. On ne sait pas non plus s’ils pourront être indemnisés par leur assurance”, développe Bruno Hubert.
Les acheteurs sont blousés.
Bruno HubertMembre d'Audenge Citoyenne
Gérard Caubet a déposé plainte contre la mairie d'Audenge. Le tribunal administratif de Bordeaux lui a donné raison, la semaine dernière. Il est le premier propriétaire à obtenir justice. La municipalité doit lui verser près de 860 000 euros d'indemnisations, comprenant les intérêts qu'il aurait dû percevoir s'il avait placé l'argent de son achat dans une banque. La mairie a fait appel. “Une décision que nous estimons injuste et disproportionnée”, indique la maire Nathalie Le Yondre. Selon elle, “le statut d’inconstructibilité ne peut être affirmé de manière définitive”. Un SCOT (Schéma de cohésion territorial) pourrait assouplir le PLU ainsi que la révision de ce dernier, prévue pour 2027. En parallèle, l'édile pointe une “double valorisation foncière” en indemnisant le particulier, qui resterait propriétaire de son terrain.
Trois associations attaquent la mairie
Une deuxième plainte devant le tribunal administratif de Bordeaux a été déposée pour préjudice écologique, en juin, par trois associations : Notre affaire à tous, qui défend la justice climatique, La Coordination Environnement du bassin d’Arcachon (CEBA) et Audenge Citoyenne. Elles mettent directement en cause la responsabilité de la mairie dans ces affaires. “Des lois existent pour protéger notre environnement et elles ne sont pas respectées. On ne peut plus continuer à fermer les yeux sur ces pratiques”, s'indigne Bruno Hubert.
Le bassin est surmédiatisé, mais l’envers de la carte postale n’est pas beau. Le territoire est sacrifié pour du béton et ces décisions vont avoir des incidences écologiques sur le long terme. C’est dramatique que des élus n’en aient pas conscience.
Bruno HubertAssociation Audenge Citoyenne
Un lotisseur du quartier Lubec aurait aussi attaqué la mairie en justice. L'urbanisation de ce hameau doit “être limitée au strict comblement des dents creuses (terrain coincé entre deux habitations, ndlr)", rappelait la préfecture de Gironde, dans une lettre à la mairie d'Audenge, lors de la révision de son PLU en 2011. Au même moment, le président de l'Association de défense et de promotion de Pyla sur Mer (ADPPM) alertait lui aussi dans un courrier : "Les élus ont le devoir de refuser de développer une urbanisation diffuse au sein des espaces naturels et des secteurs vulnérables à l’incendie ou à l’inondation.”
► CARTE. Lubec, 33980 Audenge (2006-2010 vs. aujourd'hui)
Alors que les associations martèlent que "la municipalité savait" ou "avait été prévenue", cette dernière explique les invalidations de la préfecture par "l'évolution de l'interprétation de la loi Littoral par les services de l'État, qui a impacté les droits à construire sur des terrains situés dans des secteurs pourtant identifiés comme déjà urbanisés.”
Dans un communiqué de presse du 24 septembre 2024, la maire Nathalie Le Yondre appelle ainsi “l’État à assumer ses responsabilités” et à ne pas laisser les collectivités seules “face à des changements imprévus dans la législation”.
Ces difficultés ne sont pas propres à la commune d’Audenge, il en va de même pour toutes les communes du littoral français (PACA, Corse…). Le sujet est particulièrement sensible sur le Bassin d’Arcachon, notamment à cause du prix du foncier dans la région.
Nathalie Le YondreMaire d'Audenge
De nombreux propriétaires lésés espèrent qu'une révision du PLU en 2027 jouera en leur faveur. La constructibilité sur des terrains en "dent creuse" pourrait en effet être revue et autorisée, grâce à la loi Elan qui assouplit la loi Littoral. Au sein de l'association Les Audengeois Sacrifiés, une vingtaine d'acheteurs ou vendeurs de terrain revendiquent leur "droit à construire". Preuve d'un sentiment d'injustice qui gagne les résidents ayant vu leurs voisins vendre leur terrain au prix fort alors que le leur est désormais déclaré inconstructible.
De son côté, Gérard Caubet n'a pas oublié l'idée de venir vivre à Audenge, mais la bataille juridique pour y parvenir s'annonce longue. "On va voir l'évolution des choses. Tous les PLU sont attaqués aujourd'hui, par des associations qui veulent que ça se construise ou d'autres qui ne veulent pas. Ce qui est valable aujourd'hui, peut être différent dans six mois. C'est un innommable bazar", souffle-t-il.