Lors de leur réunion de rentrée ce jeudi 12 septembre, les membres du conseil de gestion du parc naturel marin du bassin d'Arcachon ont fait le point sur le dossier explosif de l'année : le réseau d'assainissement des eaux usées. À l'approche de l'automne et du retour de la saison des pluies, Thierry Lafon, ostréiculteur et président d'une association environnementale locale, craint nouveaux débordements.
C'était il y a presque un an. En automne 2023, de fortes précipitations se sont abattues sur le bassin d'Arcachon et ont fait déborder les bassins tampons du réseau d'assainissement des eaux usées. Celles-ci ont terminé dans le milieu naturel, contaminant au passage les huîtres. Résultat : une vague de gastro-entérite qui a rendu malade des centaines de consommateurs assortie d'une interdiction de vendre les huîtres durant trois semaines, en pleine période des fêtes de fin d'année. De quoi écorner sérieusement les revenus et l'image, des ostréiculteurs girondins.
"Droit à polluer"
Au printemps, la justice a ordonné au gestionnaire des eaux usées du bassin d'Arcachon, le Siba, la cessation de tout pompage dans le bassin de sécurité d’Audenge et la construction d'un déversoir d’orage sur les bassins de sécurité du réseau. Des travaux obligatoires, mais toujours en attente. Jointe par France 3 Aquitaine ce jeudi 12 septembre, la directrice du syndicat, s'en est justifié : "la décision administrative est en cours, donc ils n'ont pas été encore faits".
Thierry Lafon, ostréiculteur et président de l'Adeba, l’Association de défense des eaux du bassin d’Arcachon a, lui aussi, a porté plainte en janvier dernier pour écocide contre le Siba. D'après ce dernier, la décision de justice n'a pas été bien comprise et analysée sur le moment. Un malentendu qui se joue, selon lui, à une nuance près, très "subtile", qu'il détaille : la justice a ordonné au Siba de réaliser des travaux d'urgence, mais ne l'a pas condamné pour "pollution" du milieu marin.
"Ce qui est grave, c'est que le Siba n'a pas été condamné pour ce qu'il a fait, mais il a été condamné pour ne pas avoir demandé l'autorisation d'installer des déversoirs d'orage. Ce n'est pas pareil pour la suite".
Je suis inquiet, car cela veut dire, circulez, il n'y a rien à voir, c'est légal ! Cela revient à donner un droit à polluer le milieu naturel marin !
Thierry LafonOstréiculteur et président de l'Adeba
Il y a de l'écœurement chez Thierry Lafon. En décembre dernier, la crise de contamination des huîtres par un norovirus et les trois semaines d'interdiction de vente avaient été un véritable coup de massue pour la profession. "Je viens juste de finir de vendre le stock d'huîtres qui aurait dû être vendu fin décembre", raconte l'ostréiculteur. Si, après cette contamination, ses ventes au détail n'ont pas été impactées, ce n'est pas le cas pour les ventes en gros.
La vente en gros a vu les cours de l'huître chuter d'un tiers du prix.
Thierry LafonOstréiculteur, président de l'Adeba
Le réseau "n'est toujours pas fiable"
Un manque à gagner pour l'ostréiculteur, mais surtout l'inquiétude de se dire que rien n'est réglé. "La période est anxiogène. Je sais que les années se suivent et ne se ressemblent pas, mais quand même. Il y a déjà eu des débordements dans le passé, rappelle-t-il. Cette décision de justice ne va pas dans le sens de la qualité des eaux du milieu marin. Je ne suis pas serein, car aucune cause n'a été améliorée. Le facteur risque est toujours présent parce que le système d'assainissement n'est pas fiable".
Thierry Lafon continue de pointer du doigt un réseau des eaux usées sous-dimensionné et des défaillances de la gestion. Les déversoirs d'orage sont des trop-pleins, des sortes de soupape de sécurité du réseau d’assainissement. En période pluviale ou lorsqu’il est mal conçu, une grande partie des eaux usées s’en échappe n’est donc pas traitée. "Le réseau d'assainissement du bassin d'Arcachon est mal calibré et le niveau dégueule dans la nature. C'est contraire au code environnemental !", s'indigne l'ostréiculteur.
Déjections humaines en milieu naturel
Pourtant, l'ancien patron des ostréiculteurs du bassin d'Arcachon, qui se bat pour la préservation du milieu, avait déjà lancé l'alerte. En février 2021, un premier épisode de contamination au norovirus présentait un scénario identique. "On est très clairement en face d'un problème de pollution des rejets d'eaux usées, c'est-à-dire des déjections humaines dans le milieu naturel, explique l'ostréiculteur. Les causes de ces rejets, c'est une saturation du réseau, due à un problème de gestion des eaux pluviales."
"Laver la merde pour la consommer"
Face à une situation qui s'éternise, l'ostréiculteur ne peut s'empêcher d'imaginer un scénario pour la future ostréiculture du Bassin : une remise en cause du modèle de production de l'huître telle qu'elle est pratiquée, sous-jacente dans la décision de justice. "Cela favorise une culture de l'huître qui se pratique notamment en Charente-Maritime avec de grands bassins fermés de purification où l'on stocke les huîtres plusieurs semaines avant la vente", envisage le défenseur de l'environnement. Ces bassins fermés fonctionnent avec des forages d'eau de mer. "Pas satisfaisant au plan écologique et environnemental", pour l'ostréiculteur.
Cela va aux antipodes de ce pourquoi on s'est battu : un milieu sain pour faire un produit sain.
Thierry Lafon,Président de l'Adeba
D'autant que, selon lui, cette méthode de production n'est pas adaptée au bassin d'Arcachon. "Il n'y a que les grosses structures qui puissent le faire, les coûts de production sont énormes. Et puis sur le bassin, on n'a pas la place pour ce type de forage. On n'a pas le foncier comme en Charente-Maritime". L'amoureux du bassin ne décolère pas. "Sur le fond, on ne s'occupe plus du milieu et on prend l'option de laver la merde avant de consommer. Il y a un vrai problème d'éthique ! "lance-t-il.
L'enquête ouverte par le parquet de Bordeaux pour écocide est en cours d'instruction. À ce jour, Thierry Lafon n'a pas eu de retour de sa plainte à ce jour.