Abbé Pierre. "C’est toute l’institution qui ramasse", entre condamnation et déni, les catholiques tentent de surmonter un nouveau séisme

Le 17 septembre, l’abbé Pierre était visé par 17 nouvelles accusations. Depuis deux mois, les témoignages et les plaintes s’accumulent. Si Emmaüs, l’association créée par l’ancien prêtre, est au cœur du séisme, la communauté catholique, tente, une nouvelle fois, de surmonter cette épreuve et de distancier l’affaire.

Elles sont désormais au nombre de 24. Ces plaintes déposées par des femmes accusent l’abbé Pierre de violences sexuelles, du baiser forcé au viol, en passant par des attouchements. Des plaintes qui restent pour l’instant sans poursuite judiciaire à cause d’une part du décès de l’accusé, 17 ans plus tôt, ainsi que de la prescription des faits, qui se seraient déroulés en 1950 et 2000.

Pour autant, si un procès contre l’ecclésiastique est peu probable, d’autres responsabilités pourraient être pointées, notamment en raison de “l’omerta”, révélée par l’enquête de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), où la volonté “d’étouffer l’affaire” pourrait être mise en cause.

Sans procédure judiciaire, ces révélations ont pour autant créé un séisme dans la communauté catholique, indubitablement liée à l’abbé Pierre. Entre déni, réparation et distanciation, les associations tentent de surmonter ce qui s’apparente à une nouvelle épreuve, “après déjà la révélation de nombreuses autres affaires”.

La statue de l'abbé Pierre bientôt déboulonnée

Au village Emmaüs de Lescar, dans les Pyrénées-Atlantiques, les figures de l’abbé Pierre sont encore visibles, mais plus pour longtemps. L’association, fondé par le prêtre, ne veut plus de lien avec celui qui, aujourd’hui, revêt une image plus sombre que celle véhiculée, depuis des décennies. “Quand on a vu ces nouvelles révélations, ça nous a surpris. Car ça montrait aussi l’omerta autour de cette réalité. On ne peut pas garder cette image, même si on continue de poursuivre ce modèle de vie alternatif, social et culturel”, explique Germain Sarhy, fondateur du village Emmaüs-Lescar.

On ne peut pas cautionner toute cette violence sexuelle qu’a fait subir l’abbé Pierre à des femmes et des enfants.

Germain Sarhy

Fondateur du village Emmaüs-Lescar

Dans la commune, la statue du prêtre, situé sur le rond-point face à village, va d’ailleurs être déboulonnée prochainement. Même sort pour la statue d’acier, qui trône sur un toit du village, ou encore une fresque. “À l’intérieur, on a retiré les bustes, les tableaux du réfectoire”, indique Germain Sarhy. 

Si ici, comme dans les autres centres Emmaüs, la figure du prêtre devrait progressivement disparaître, les bénéficiaires restent encore mesurés quant à leur position dans cette affaire. “Il a fait beaucoup de bonnes choses, c’est ce que j’en retiens”, indique l’une d’entre eux. “Par rapport à ce qu’on a vu, lu ou écouté, on ne sait pas. Il n’est plus là pour se défendre. On continuera à venir et à le respecter comme on l’a toujours respecté”, poursuit une autre. 

"Un travail de deuil"

Stupéfaction, déni ou sentiment de trahison, les répercussions des accusations essaiment au-delà des frontières de l’association Emmaüs. En Gironde, comme ailleurs, la communauté catholique est une nouvelle fois ébranlée par ces révélations. “C’est la double peine. C’est un drame humain que l’on partage tous, mais le fait que ce soit une icône religieuse, c’est encore plus honteux”, lâche Valérie Fayet, la présidente du Secours catholique en Gironde.

Son association se positionne clairement en défense des victimes. “Ceux qui souffrent le plus, ce sont les victimes et les compagnons d’Emmaüs qui ont été sauvés par l’abbé Pierre et qui apprennent aujourd’hui que celui qu’ils considéraient comme leur sauveur a commis ces actes. C’est extrêmement violent comme situation pour eux”, indique la présidente de l’association catholique.

Dans sa structure pourtant, les révélations ne semblent pas avoir perturbé les bénévoles. “On n'en parle pas particulièrement. C’est malheureusement une histoire de plus”, regrette Valérie Fayet. Pour elle, le doute en l’institution cléricale ne date pas des dernières révélations. “Il est présent depuis longtemps, depuis les rapports de la Ciase qui ont fait éclater la vérité dans l’église. Il y a tout un travail de deuil et de réparation qui a débuté depuis trois ans, mais ce travail fait aussi émerger de nouvelles plaintes et de nouvelles affaires”, précise la présidente du Secours Catholique.

"Une minorité de prêtres"

À quelques kilomètres de la capitale girondine, les associations rurales tentent aussi de se départir de cette image écornée de l’église. “C’est une situation délicate. On ne peut que condamner ces agissements. Mais il faut aussi laisser la justice faire son travail”, indique Amaury Bastard de Crisnay, le président de l’association des familles catholiques du Sud-Gironde. "L'abbé Pierre a fait de très belles choses dans sa vie, il faut garder ça en tête."

À l’instar du “différencier l’homme de l’artiste” à l’époque MeToo, la question de maintien de l’abbé Pierre comme icône, au travers de son œuvre, en dépit des dernières révélations, s’immisce dans de nombreux esprits de la communauté catholique et chrétienne. 

Je ne connais personne qui a remis en question la religion et l’Église parce qu’il y aurait trop de dossiers.

Amaury Bastard de Crisnay,

Président d'AFC Sud-Gironde

Dans cette association qui axe son travail sur les familles, l’enfance et la jeunesse, l'affaire a “attristé” les bénévoles, qui craignent que l’image de l’Église soit de nouveau mise à mal. “Ces accusés sont une minorité parmi les prêtres qui composent l’Église”, insiste le président de l’AFC du Sud-Gironde. 

Réparations

Soudée, la communauté catholique rappelle d’ailleurs qu’elle n’est pas aveugle pour autant. “Elle est meurtrie, mais l’Église a mis en œuvre des procédures, à la fois pour révéler ces affaires et donner un espace de parole, mais aussi pour indemniser les victimes et leurs familles, afin d’éviter que ces actes odieux ne se reproduisent”, affirme Amaury Bastard de Crisnay.

Depuis 2021 et la publication du rapport Sauvé, la Ciase (commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), a mis en place une commission Reconnaissance et Réparation (Inirr). Depuis trois ans, elle a indemnisé près de 600 victimes, sur les près de 1 200 déclarées.

“Meurtrie” selon le président de l’association catholique, l’Église serait surtout aujourd’hui “attaquée de toutes parts”. “Dès qu’il y a une affaire de pédophilie dans l’Église, c’est toute l’institution qui ramasse. C’est peut-être ce qui explique le nombre décroissant de prêtres ou de catholiques”, s’interroge-t-il.

Contacté, le diocèse de Bordeaux n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations. “Nous n’avons rien à dire au niveau institutionnel à ce sujet”, a-t-il indiqué.

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