Alcool chez les jeunes : la campagne de Santé Publique France est "une victoire du lobby de l'alcool"

Le 25 septembre, Santé Publique France sort sa nouvelle campagne de sensibilisation sur la consommation de l'alcool et des drogues chez les jeunes. Une opération largement décriée par les professionnels. Philippe Dauzan, président d'Addiction France Nouvelle-Aquitaine, regrette une “victoire du lobby de l'alcool”.

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Huit clips, de quinze secondes, mettent en scène des jeunes, dans un contexte festif. À chaque vidéo, un message est délivré. “Bois un verre d’eau à chaque verre d’alcool”, “garde un œil sur tes amis”, “mange avant de consommer de l’alcool”, tous ponctués du slogan “C’est la base”.

La campagne de Santé Publique France, diffusée jusqu’au 8 novembre, veut mettre en garde les jeunes sur leur consommation, d’alcool, mais aussi de diverses drogues, alors que 81% d’entre eux ont déjà expérimenté l’alcool à 17 ans. “Il y a deux objectifs : éviter les risques et les dommages liés aux consommations importantes d’alcool et de cannabis chez les jeunes et réduire leur surconsommation”, précise l’organisme de santé.

Pourtant, depuis une semaine, les critiques se multiplient, dénonçant une campagne “qui ne va pas au bout des choses”. En Gironde, Philippe Dauzan, président d'Addiction France Nouvelle-Aquitaine s’interroge sur le message. “On dit clairement qu’il n’existe pas de fête sans alcool”, regrette l’addictologue.

Pourquoi cette campagne fait-elle autant débat ?

Lorsque j’ai vu cette campagne, ma réaction a été frontale : "le lobby de l’alcool a encore gagné”. On peut se féliciter de la démarche de réduction des risques de cette campagne, mais elle transmet quand même un message qui dit “il n’y a pas de fête sans alcool, donc prend les mesures nécessaires pour ne pas faire d’excès”.

C’est peu ou prou le discours des alcooliers. Rappelons qu’en 2021, Pernaud Ricard lançait sa campagne “Buvez plus… d’eau”. C’est le même message ici. Il y a une forme de banalisation de la consommation. On fait perdurer la notion que l’alcool est une norme sociale, et que les fêtes sans alcool n’existent pas.

Comment expliquez-vous cette démarche ? 

Santé Publique France est d’ordinaire un acteur très engagé sur l’alcool, comme sur le tabac. Mais on sent réellement en France des freins à ces messages et à alerter sur les risques. Quand le Président dit qu’il boit un verre de vin par jour, il envoie un message. Quand le Ministre de l’Agriculture, il y a quelques années, disait que le vin n’était pas un alcool comme les autres, il envoie ce même message. Et quand le gouvernement refuse, non pas de subventionner, mais même de seulement soutenir nos campagnes de Dry January (ndlr. “janvier sec”, un mois, après les fêtes de fin d’année, où les Français sont incités à ne pas consommer d’alcool pour prendre conscience tant des effets que de leur consommation), le message est clair : l’alcool en France a une place vraiment particulière.

Cette campagne associe des influenceurs ou encore des médias populaires chez les jeunes. Est-ce la méthode à adopter pour transmettre ces messages aux jeunes ?

Je ne suis pas un ayatollah de la non-consommation. Nous sommes conscients des réalités. Mais d’autres messages, plus engagés sans être moralisateurs, ont fonctionné. C’est le cas des “Sam” qui ont eu un vrai écho chez les jeunes. 

Addiction France mise aussi sur la sensibilisation par les pairs, et c’est ce qu’on voit ici. Un message de prévention, quel qu’il soit, est toujours à saluer. Nous avons des services civiques, qui déambulent dans les villes, les soirs de week-ends pour aller à a la rencontre des jeunes pour diffuser ces messages de prévention. Ils leur parlent d’alcool, mais aussi de sexualité, de cocaïnes, d’ecstasy, sans discours moralisateur.

L’idée, c'est de poser des questions sur leur connaissance des produits, les risques qui sont liés. Ils distribuent des préservatifs, demandent comment les jeunes rentrent de leur soirée. On se rend compte qu’outre le fameux “ça va, je gère”, beaucoup de jeunes sont très conscients de ce qu’ils font, et des risques qu’ils encourent. Il ne faut surtout jamais les prendre pour des idiots.

La campagne veut alerter sur “toutes les substances psychoactives”. Peut-on aborder tous ces usages de la même façon ?

Oui, mais dans cette campagne, on ne voit finalement que de l’alcool. Il n’y a aucune représentation de cannabis par exemple, pourtant largement consommé en France (NDLR. La France est le premier pays consommateur d’Europe). Et d’ailleurs, je crois que ce discours, de “fais attention” plus que “ne consomme pas” n’est aujourd’hui pas audible en France, dans ce genre de campagne, alors qu’elle pourrait complètement s’y adapter. On se met la tête dans le sac.

Aujourd’hui, vis-à-vis des drogues, et notamment du cannabis (NDLR. Selon Santé Publique France, 30% des jeunes de 17 ans en ont déjà fumé), le seul angle d’attaque qui existe, c'est l’ultra-répression. Et si cette méthode, qu’ils utilisent depuis trente ans, fonctionnait, il n’y aurait pas autant de dealers, de consommateurs et de trafic. Il y a même des méthodes de marketing agressives, comme des jeux concours, du click & collect. On ne fait que criminaliser, mais on ne s’attaque jamais au fond. On ne fait pas de campagne de prévention, et il n’y a d’ailleurs pas d’argent pour cette prévention-là.

Quels sont aujourd’hui les usages des jeunes ?

On a eu, il y a quelques années, ce phénomène de binge drinking (consommer beaucoup d’alcool, très rapidement). C’est encore un peu le cas aujourd’hui. On boit chez soi ou sur les parkings, avant d’aller dans un bar ou en boite de nuit, où les prix sont très élevés. On est encore face à de l’alcoolisation massive.

Au-delà, il y a de nouvelles drogues qui arrivent, et qui sont de plus en plus accessibles. Il y a une diversification des consommations, des mélanges de plusieurs drogues, et notamment avec l’alcool qui sont réellement à risque.

La consommation de cocaïne des jeunes explose et c’est particulièrement lié, comme le binge drinking au prix. Aujourd’hui, pour cinquante euros, vous pouvez vous procurer un gramme de cocaïne, ce qui fait environ deux “rails” par personne si vous êtes cinq. Pour dix euros, vous avez une substance bien plus forte qu’un verre de whisky-coca que vous auriez consommé en bar ou en boite de nuit. Et sur ces usages, il y a encore très peu de prévention.

Y a-t-il des raisons à ces usages dangereux ?

Il y a toujours une raison. On ne prend pas des risques sans qu’il y ait un problème au départ. C’est toujours difficile à déterminer et surtout à généraliser. Il y a les histoires personnelles, les traumatismes d’enfance ou d’adolescence. Il y a aussi le climat anxiogène de la société avec les interrogations environnementales, l’inflation et les problèmes d’argent. Ces comportements, c’est tout simplement mettre un pansement sur une douleur. 

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